Sur fond politico-mystique Entre le PJD et Al Adl Wal Ihsane, les temps sont au désamour. Une réelle confrontation se joue actuellement sur le plan politique, où tout est permis : insinuation, ironie et.. petites phrases assassines. Abdelilah Benkirane ne trouve pas les mots assez durs pour ironiser les propos, du moins certains d'entre eux, des maîtres à penser de la Jamaâ de Yassine. Celui qu'on présente comme étant l'artisan de l'entrisme islamiste ne mâche pas ses mots. " Croire que la chute du régime monarchique aura lieu en 2006 est burlesque. C'est une fable, hilarante et honteuse à la fois ". De là à dire que c'est une chimère, il n y a qu'un pas que le directeur d' " Attajdid ", l'organe du Mouvement unification et réforme (MUR), franchit aisément. " Dire que certaines choses verront le jour en 2006 est plutôt de la voyance ", a-t-il déclaré à la presse. Tantôt franc et incisif, tantôt allusif et sémantique, Abdelilah Benkirane dit haut et fort ce qu'il pense de Nadia Yassine et de sa dernière sortie. " C'est avec écœurement que j'ai lu ses propos ", a-t-il déclaré à Assahifa de 13 au 19 juillet courant. Mariant le cursus historique à l'appréciation politique, il trouve " incompréhensible " ses dires. Plus " il m'est difficile d'en déceler les visées ". Anachroniques, ses préférences " blanquistes " ne font plus recette, laisse-t-il entendre. Le " scénario catastrophe ", promis pour 2006, est davantage " une bourde qui fait sourire ", qu'un programme politique : " des prophéties qui puisent leur essence dans les rêves et les visions sont loin de leurrer les Marocains. Ces derniers sont assez intelligents pour hypothéquer leur avenir et partant, croire aux hallucinations ". La condamnation, qui ne manque pas de style, est sans appel. On ne le voit que trop, le PJD rejette en bloc et les tenants et les aboutissants des positions de la Jamaâ. A satire, satire et demie. Car c'est Nadia Yassine qui, la première, voue aux gémonies les choix des islamistes de Saâdeddine Othmani. Le premier coup de feu est ainsi parti de sa… bouche. Anathème Dans sa désormais fameuse interview, la passionaria de Salé tire dans le tas ; le parti de la Justice et du développement en aura pour son grade. A la question " quelle est votre évaluation de la participation du PJD au jeu politique après toutes ces années ? ", la réponse de Nadia Yassine fait grincer les dents de Benkirane et de ses amis. Et pour cause : " d'habitude avoue-t-elle, mes propos sont " crus ", aussi mes ennemis sont-ils nombreux ". Déjà ! Et d'ajouter " Ils (les membres du PJD) ont un fond de sincérité considérable. En entrant dans l'arène politique, ils croyaient pouvoir changer le régime qui a réussi à déformer l'essence même de leur participation ". Plus : " ils ont été manipulés de la pire des manières, pire que les autres partis ". Cette manipulation a un but dont pâtit, vraisemblablement, la mouvance d'Al Adl Wal Ihsane. Le PJD a donc péché par " déviationnisme ". La preuve : " ses partisans ont permis au Makhzen de promouvoir une fausse image, celle d'un pouvoir démocratique qui a réussi à assimiler ces islamistes " belliqueux ". Une " trahison ", paraît-il, qui, d'une part n'a pas servi la stratégie de tension entretenue par les Adlis. Et a, d'autre part, fourni une sortie au " système ". En clair : " un gain inestimable dans la politique internationale. Ultime traîtrise, les frères de Saâdeddine Othmani "ont pris la place de Alaoui Mdaghri et adopté un islam officiel "salafisé " pour que, en fin de compte, l'aile du Makhzen couvre-Dieu merci-le soufisme et le salafisme!". Impardonnable, donc. Ces longues parades en disent long sur l'état belliqueux entre les deux fractions. Du tac au tac : Bassima Hakkaoui, la députée et non présidente de l'Association féminine d' " Attajdid ", lance la polémique. Et avec quels termes ! " En se targuant d'un esprit scientifique et académique tout membre d'une communauté laisse entendre que cette communauté en est dépourvue ". A peine voilée, l'attaque ne laisse aucune embrouille " quand on a peur pour sa virginité politique, on se la boucle ! ". Plus décapitant, le mot de la fin s'inscrit davantage dans l'acrimonie que dans le débat politique : " il ne faut pas prendre toutes les mouches qui volent pour des idées " ironise-t-elle. S'ensuit un communiqué du MUR qui, publié en mois de juin, marque une ligne de démarcation on ne peut plus très claire. Le MUR a en effet " réitéré son attachement à la monarchie, basée sur la commanderie des croyants ". Encore une fois, le référentiel doctrinal, soufi dans un cas, fondamentaliste dans l'autre, montre que l'intégrisme des uns n'est pas forcément assimilable à celui des autres. Les considérations, mystiques ou politiques, y sont pour beaucoup. Si le MUR juge l'intégration du champ politique national un passage obligé, Al Adl n'a eu cesse de répéter qu'elle rejette cette éventualité. Au moins, pour le moment. Une différence de taille, cependant : la Jamaâ de Yassine ne reconnaît pas la Commanderie des croyants, et n'hésite pas à "reconsidérer le statut religieux du Monarque". La déclaration humiliante de Nadia Yassine à l'égard du PJD, et donc du MUR, ne fait que creuser davantage le hiatus qui sépare les deux voies islamistes. La réplique d'Attajdid, officieusement l'organe du MUR et officiellement celui du PJD, n'y va pas de main morte " les déclarations de Madame Nadia ne font même pas sourire " y lit-on. En clair : la patronne d'Al Adl est déphasée. Plus personne ne met en cause la légitimité de la monarchie. Bref, l'interview incriminée avait au moins la vertu de démontrer l'isolement d'Al Adl et l'unanimisme du PJD.