Pour se remettre en selle, le Parti de la justice et du développement (PJD) a mis en place une stratégie axée sur quatre points… Révélations. «Le parti s'est réveillé de sa torpeur», indique avec enthousiasme un militant très engagé du Parti de la justice et du développement (PJD) quand on lui demande ce qui se passe au sein de sa formation depuis quelques semaines. En effet, même si tout semble fonctionner d'une manière normale et ordinaire, le parti de Saâd Eddine El Othmani connaît un bouillonnement sans précédent. Depuis les élections législatives du 7 septembre 2007, tout est remis en cause, tout est sujet de débat et tout le monde est interpellé. «Nous ne voulons plus revivre la débâcle du 7 septembre», ajoute ce militant. Par débâcle, il désigne la conquête de 46 sièges à la première Chambre du Parlement, soit une progression de 4 sièges par rapport aux élections de 2002. Pourtant, ce qui semble être une aberration pour le commun des analystes politiques, est justifiable chez les islamistes. Leur logique est totalement différente. «Pour nous, les dernières législatives n'étaient pas une étape parmi d'autres. Nous n'étions pas au milieu de l'échelle, nous étions sur le point de nous installer sur le haut du podium», explique-t-il avant d'ajouter : «Notre cas ressemble à un athlète qui est arrivé à un certain âge où il ne lui restait plus qu'une seule édition des Olympiades s'il veut décrocher le titre olympique et qui, malgré le fait qu'il soit le meilleur, et qu'il se soit bien entraîné, il a raté l'occasion et s'est contenté du bronze». Comme la majorité des dirigeants et des militants du PJD, ce militant considère le score électoral du PJD comme un désastre. Une situation qui s'explique par le fait que, durant toute l'année qui a précédé le scrutin, la direction du parti, ses militants les plus en vue, certains médias, des pseudo-sondages étrangers… ont fomenté l'idée selon laquelle le Maroc s'orientait vers un raz-de-marée islamiste. Une sorte de «rumeur urbaine» que tout le monde a fini par croire. D'où l'état de choc général qui a marqué la soirée électorale du 8 septembre. «Le PJD a utilisé la méthode Coué pour gagner les élections», ironise un observateur. «Se répéter tout le temps que le raz-de-marée est acquis ne suffit pas pour gagner les élections et cela, tout le monde au sein du PJD semble l'avoir compris, aujourd'hui», explique-t-il. En effet, après une brève période de confusion où la direction du parti barbotait à la recherche d'une justification de son «échec» et rejetait tout sur le dos d'une prétendue «manipulation des élections», tout a fini par rentrer dans l'ordre et la direction a reconnu ses erreurs d'appréciation. «Nous leur disions que la stratégie d'El Othmani et Daoudi allait nous conduire inévitablement vers l'échec», indique un membre influent. «La stratégie Othmani-Daoudi» à laquelle il fait allusion est celle de l'aile modérée du parti. Elle consistait à tout miser sur une participation au gouvernement au lendemain des élections de 2007 et à y parvenir à travers trois actions. Premièrement, rassurer le pouvoir en réorientant le discours idéologique vers le politique et l'éloigner le plus possible du religieux. D'où le départ de l'idéologue de la mouvance, le fquih Ahmed Raïssouni, de la présidence du Mouvement unicité et réforme (MUR) et l'éloignement de l'avocat et polémiste Mustapha Ramid de la direction du groupe parlementaire. En plus du détournement du débat politique avec les autres formations vers des thématiques ordinaires comme la loi de Finances, l'emploi, la politique sanitaire, le programme d'éradication des bidonvilles … etc. Fin connaisseur des thématiques économiques, Lahcen Daoudi excella d'ailleurs dans son rôle de contradicteur du ministre des Finances durant la dernière législature, le socialiste Fathallah Oualalou. Deuxièmement, rassurer le patronat marocain quant à l'engagement du PJD à ne pas bousculer le système socioéconomique en place une fois arrivé au gouvernement. «Lors de nos rencontres avec certains de leurs dirigeants, ils insistaient, surtout, sur leur volonté de conférer plus de transparence à la passation des marchés publics et à renforcer la politique de moralisation de la vie publique. Pour le reste, rien ne changerait, assuraient-ils. Ni le système bancaire ni le tourisme n'étaient dans leur ligne de mire », raconte un membre de la Confédération générale des entrepreneurs du Maroc (CGEM). Leur discours était-il crédible ? « Non », répond un membre du conseil national du PJD. «Nous atténuions notre discours dans les coulisses du pouvoir économique et politique et nous faisions tout à fait le contraire lors de nos tournées dans les provinces. Non seulement, nous n'étions pas crédibles, mais nous suscitions la méfiance. Notre stratégie était très mauvaise», explique-t-il. Le troisième élément de la stratégie Othmani-Daoudi était de renforcer l'action sur le front syndical. À ce niveau aussi, l'échec était au rendez-vous. Au moment où le schéma classique du parti politique adossé à un syndicat a été abandonné même par les partis de gauche, la direction du PJD a voulu en faire toute une stratégie. «Les revendications d'ordre moral peuvent être confondues avec celles d'ordre politique, mais jamais avec celles ayant un caractère syndicaliste», critique un détracteur de l'actuelle direction du parti. Tous ces reproches ont été examinés lors du dernier conseil national du PJD qui s'est tenu du 28 au 30 décembre. Mais, les débats qui ont eu lieu dans les coulisses n'ont rien à voir avec ce qui s'est passé en public. Réunis au domicile du président fondateur du parti le docteur Abdelkrim El Khatib, en décembre dernier, à l'occasion de l'Aïd El Kébir, les membres influents du secrétariat général, notamment ceux qu'on avait délibérément mis au placard, ont profité de cette réunion au même endroit qui a vu naître leur parti, la villa d'El Khatib sise route de Zaër à Rabat, pour accuser le duo El Othmani-Daoudi d'avoir conduit le parti vers une situation catastrophique en le «vidant de son sens idéologique» et «en se laissant faire par le pouvoir». Ces débats houleux auguraient de ce qui allait se passer quelques jours après, lors du conseil national, où Lahcen Daoudi fut carrément poussé vers la porte de sortie. Lâché par Saâd Eddine El Othmani, qui, lui, fut épargné pour des raisons stratégiques, Lahcen Daoudi, le symbole et la cheville ouvrière du parti, allait servir de bouc émissaire. Il annonça lui-même son intention de quitter son poste de secrétaire général adjoint en laissant entendre même son intention de renoncer à son siège de député. Son poste est désormais convoité par Mustapha Ramid, qui symbolise, lui, l'aile radicale et «politiquement» agressive du parti. «Ramid a toujours adoré être en première ligne, aujourd'hui, le terrain est balisé devant lui», explique un ancien membre du parti, «un repenti» comme il préfère s'appeler lui-même non sans humour. Pour ce qui est d'El Othmani, il devra se contenter du rôle pour lequel il a été désigné la première fois : une façade qui dégage une image de sérénité et de calme mais qui cache le bouillonnement de tout un mouvement islamiste avec des milliers de militants qui débordent d'envie et d'ambition de conquérir le pouvoir. Pour satisfaire cette demande, la direction réelle du parti, celle qui le gérait jusqu'au 16 mai 2003 - date des attentats de Casablanca - a rebondi et a repris les rênes du pouvoir. «El Othmani et Daoudi espéraient arriver en tête lors des élections grâce à un discours rassurant et pariaient sur le fait qu'ils allaient être invités à faire partie du gouvernement. Or, pour un mouvement islamiste, le pouvoir s'arrache - même à travers les urnes - mais il n'est jamais donné», explique un membre d'Al Adl Wal Ihssane, le frère-ennemi du PJD. Aujourd'hui, toute la politique des quatre dernières années a été remise en cause. Une stratégie a été mise en place pour «remettre en selle le PJD ». Sa mise en exécution a déjà démarré. Elle est axée autour de quatre points : fomenter la polémique lors des séances publiques au Parlement, essayer de rallier les oulémas de la nation à «une cause commune», mobiliser la rue et établir une alliance stratégique avec Al Adl Wal Ihssane. La désignation de Mustapha Ramid à la tête du groupe parlementaire du parti dès l'ouverture de la nouvelle législature était un message clair. Le PJD veut renouer avec ses anciennes méthodes : faire de la polémique et du discours populiste le cheval de bataille du groupe. «Pour le clan Ramid, ce sont les questions à caractère polémique et leur médiatisation qui font que les gens découvrent la spécificité islamiste du PJD. Les questions de politique ordinaire ne sont jamais relayées par la presse et n'ont donc aucune utilité», explique un ancien député du parti. Il faut donc s'attendre, durant les cinq prochaines années, à des attaques virulentes à l'encontre de la francophonie, la modernité, le système bancaire, le cinéma, les festivals…Bref, du Ramid. Le deuxième point de la nouvelle stratégie islamiste est celui concernant les ouléma. Le seul point qui inquiète les autorités compétentes qui, pour le moment, observent de très près ce qui se passe. En effet, depuis plusieurs semaines, une action offensive mais qui se veut discrète a été engagée en direction des ouléma. La politique de recrutement des petits imams de mosquées ayant échoué puisqu'elle s'est heurtée à la percée réalisée par le ministère des Affaires islamiques en matière de formation des prédicateurs et des prédicatrices, il fallait revoir tout le système et aller au-delà en essayant de toucher directement les «érudits de la Ouma (nation musulmane)» en leur rappelant d'une manière systématique «leur obligation et leur devoir de lutter contre la dépravation de la société ». Le quotidien arabophone Attajdid joue à ce niveau un rôle de premier plan. Durant le mois de décembre, ce journal a passé pas moins de sept appels aux oulémas à « ne pas rester les bras croisés face à la débauche qui gagne du terrain au sein de la Ouma». Le message a pris plusieurs formes allant du simple article à un appel lancé par l'ancien président du Mouvement Unicité et réforme (base idéologique et militante du PJD), Ahmed Raïssouni. Le retour de ce dernier sur scène fait d'ailleurs partie du projet dans sa globalité. Idem pour l'éviction de Abdelilah Benkirane de la direction de la publication qui signifie que le MUR compte reprendre son action d'exploitation de la Daâwa (appel à la religion) en faveur du discours politico-islamiste du PJD tout en simulant une indépendance entre les deux. La mobilisation de la rue est l'épine dorsale de la nouvelle stratégie. Ce qui s'est passé à Ksar El Kébir dans l'affaire du prétendu mariage homosexuel illustre parfaitement une action-type de ce volet. Gonfler une fausse affaire de mœurs, utiliser des médias alliés pour en faire un scandale, provoquer une réaction des imams de mosquées, fomenter la colère populaire et prendre le relais de l'affaire au Parlement. Ce genre de scénarios vont se répéter certainement beaucoup pendant la législature en cours, et ils vont surtout s'intensifier durant les mois qui vont précéder les élections communales de 2009. Le dernier maillon de la chaîne qui devrait aboutir, selon ses inventeurs, à «une revanche électorale du parti en 2009» concerne le mouvement de Abdessalam Yassine. Lors des élections législatives de 2002, Al Adl avait lancé un mot d'ordre à ses militants pour les appeler à soutenir les candidats du PJD. Mais, en 2007, la direction d'Al Adl n'ayant pas reçu «un retour sur investissement» a décidé de lâcher le PJD. «Avoir plus de 70 députés nécessitait, entre autres, le soutien du réseau des adeptes de Yassine», estime un observateur des affaires islamistes.Une source informée indique que des échanges de messages ont eu lieu entre le MUR et une frange d'Al Adl Wal Ihssane. De son côté, le quotidien Attajdid s'intéresse de plus en plus à l'actualité de la mouvance de Cheikh Yassine. «Abdelouahed Moutawakil, le chef du cercle politique d'Al Adl, laisse entendre une prédisposition à négocier un accord avec le PJD à travers le MUR », indique une source bien informée avant d'ajouter: «L'état de santé de Yassine pousse les membres influents de son mouvement à chercher, chacun de son côté, des soutiens extérieurs». C'est ainsi donc que le PJD prépare les communales de 2009 et les législatives de 2012. En face, les modernistes, les défenseurs des libertés individuelles et collectives et les démocrates sont incapables, pour le moment, d'organiser une contre-offensive.