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Clivages électoraux : Quels choix pour le PJD ?
Publié dans La Gazette du Maroc le 08 - 05 - 2006

A une année et demie de l'échéance des élections législatives, le PJD est au centre des interrogations et des débats sur leur issue et leur conséquences. Alors que ce parti s'active tous azimuts, il est vivement interpellé sur son double langage et sur l'ambiguïté de son « référentiel » islamiste. Ses adversaires sauront-ils lui porter la contradiction sur le terrain de façon plus convaincante ?
L'approche de l'échéance des élections législatives à l'automne 2007 verra-t-elle la maturation d'un réel débat sur l'option démocratique au Maroc ?
L'intensification des spéculations sur une large victoire du PJD et le regain d'activité que manifeste ce dernier, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays, semblent en effet, en fournir l'occasion. L'enjeu toutefois n'est pas cette fois-ci, limité à des rivalités au sein du microcosme des élites politiques, mais concerne de façon plus préoccupante les larges couches de l'électorat. Face à l'ampleur des problèmes sociaux et de la dépolitisation par scepticisme et lassitude, on ne peut sous-estimer le risque qui pèse sur l'option démocratique.
Les dirigeants du PJD s'activent, pour l'heure, à se montrer rassurants et tout à fait intégrés au système.
« Il n'y a aucune raison, répètent-ils, d'avoir peur du PJD ». Ils s'appliquent à être modestes en affirmant qu'il est trop tôt encore pour préjuger d'une victoire de leur parti aux élections. Certains parmi eux ont été jusqu'à mettre en doute le « sondage » de l'institut proche du parti républicain américain qui leur accordait 47 % des intentions de vote des «indécis». La publication de ce sondage serait, selon eux, suspecte et même nuisible pour le PJD.
Néanmoins ces dirigeants semblent plutôt capitaliser sur les pronostics en leur faveur. Ils s'expriment et agissent comme force ayant le vent en poupe.
Plus que jamais ils s'avancent sur la manière dont ils comptent participer au gouvernement et sur les mesures qu'ils préconisent en priorité.
Multipliant les interventions dans la presse et les autres médias, ils font aussi le tour des capitales européennes pour soigner leur image de partenaire rassurant et crédible. Saadeddine Othmani, le secrétaire général, va bientôt entreprendre une visite à Washington.
Double affiliation
Le PJD s'emploie ainsi à prêcher en faveur de sa ligne modérée et de ses capacités modératrices, parant ainsi aux yeux des occidentaux à tout débordement extrémiste. Sur le plan interne il veut de même se présenter comme une force de stabilisation du fait de son influence dans les milieux populaires et de la bourgeoisie traditionnaliste.
Autant de présupposés qui, précisément, continuent de susciter plusieurs interrogations et qui devront être davantage mis au clair par le débat électoral.
Pour certains commentateurs désabusés, « il n'y a pas là de quoi fouetter un chat, le PJD étant depuis longtemps normalisé au sein du système et n'ayant guère la possibilité de déterminer les orientations politiques essentielles ».
La participation au pouvoir ne ferait que confirmer cette «normalisation» et obligerait même le PJD à plus de réalisme pragmatique.
Or la question qui demeure fortement posée se rapporte à la filiation idéologique du PJD et qui est primordiale dans l'adhésion de ses troupes et de sa mouvance. Le débat porte précisément sur cet aspect qui est loin d'être considéré comme rassurant par les détracteurs de ce parti.
Quelques dirigeants comme Othmani ou Daoudi admettent volontiers que leur parti a connu une évolution par rapport aux dogmes fondamentalistes et qu'il se
situe avant tout comme porteur d'un programme politique, économique et social sur lequel seulement il entend être jugé. Outre le fait que cette distinction n'est pas nettement affichée par d'autres dirigeants plus raides comme Mostapha Ramid, le lien congénital à l'association-mère, le MUR (Mouvement de l'unité et de la réforme) et à son journal «Attajdid» est abordé avec moins d'aisance et de clarté.
Ce qui est assez compréhensible, étant donné le fait que le MUR professe sur des questions essentielles un credo islamiste assez fermé et dogmatique.
Or la plupart des dirigeants et des adhérents du PJD sont aussi membres du MUR et le directeur du quotidien «Attajdid» n'est autre que Abdelilah Benkirane, l'un des ténors du parti.
Le reproche de double langage adressé par ses détracteurs au PJD s'explique, dans une large mesure, par cette double affiliation qui permet de présenter un visage de modération et d'ouverture tout en prêchant, en parallèle, une version de l'islamisme normatif souvent archaïque et intolérante.
Califat électoral
La direction du PJD ne reconnaît pas qu'il y a là pour le moins une certaine contradiction. Selon elle, le MUR a une vocation éducative et prédicatrice dans la société. Cependant, dès l'origine, cette association née de l'unification en 1996 de divers groupes islamistes, n'a cessé d'élaborer une doctrine politique visant à instituer un pouvoir religieux à la tête de l'Etat sur le modèle d'un «califat électoral» qui appliquera la charia traditionniste. Tout en admettant le principe de la commanderie des croyants (contrairement à ses frères rivaux d'Al Adl Wal Ihsane), le MUR maintient une certaine réserve que son ancien président, Ahmed Raïssouni avait formulée en exigeant une participation à l'exercice de cette commanderie par un conseil qui assisterait le roi. Cette prétention valut à Raïssouni de vifs reproches, notamment du Dr Abdelkrim Khatib, et finalement sa démission de la présidence du MUR.
Quant à l'option démocratique, si elle est admise de façon abstraite, elle doit, selon le MUR, être débarrassée des scories du «libéralisme occidental» et se conformer au principe de « Choura » (concertation à base consensuelle). L'islamisation de la société et de l'Etat est un objectif déclaré du MUR. C'est à cette aune qu'est jugée toute modernisation, laquelle doit se conformer à des normes prescrites.
Malgré une approche qui se veut modérée et « réformiste », le MUR ne parvient pas, en pratique, à échapper à des attitudes ouvertement intolérantes, fermées et souvent obscurantistes. «Attajdid» est fréquemment le lieu d'attaques racistes (notamment anti-juives), xénophobes (le tourisme y est souvent considéré comme porteur de mauvaises mœurs et de sida) et hostiles aux festivals et à toutes les manifestations culturelles qui lui semblent par trop «occidentalisées». C'est dans « Attajdid » que l'on a pu lire les incroyables divagations sur le tsunami comme punition divine contre le tourisme sexuel en Asie.
Entre modération conservatrice et réflexes intégristes, la ligne de partage n'est pas très étanche et elle est souvent vite franchie.
La laborieuse référence à une théologie des « Maqâsid » (ou visées implicites des prescriptions religieuses) n'empêche pas que le conservatisme éclairé prôné donne lieu à des archaïsmes et à des anathèmes violents contre tout ce qui ne cadre pas avec des normes érigées en dogmes.
On voit ici que le MUR est le foyer idéologique du PJD et son vivier où il recrute ses troupes. Il est le gardien du référentiel où le PJD puise sa substance première. C'est aussi le lieu de repli
pour les adhérents du parti en cas de discorde interne ou de mésaventures dans l'exercice de la politique réelle.
Ce lien ombilical est à l'origine du double langage reproché avec constance au PJD. Il ne s'agit pas d'une contradiction possible entre pratique et idéologie comme c'est le cas chez d'autres partis mais bien de l'existence d'une organisation à double compartiment qui distribue les rôles à chacune de ses composantes et joue sur des registres différents.
Lors d'une émission diffusée par la chaîne 2M, mercredi dernier, Lahcen Daoudi un dirigeant du PJD interpellé par le journaliste Reda Benchemsi de l'hebdomadaire « Tel Quel » a esquivé une question sur le rapport établi par un article de « Attajdid » entre tourisme et sida. L'esquive était plus inquiétante encore lorsque Daoudi a affirmé que si on n'interdit pas un film comme “Marock” on peut autoriser des manifestations contre sa projection. Difficile en effet de concilier un semblant d'ouverture et des attitudes de censeurs autoritaires.
Contradictions
La sensibilité du MUR le confine dans une version de l'islamisme très conservatrice et peu ouverte à l'innovation. Cette contradiction ne risque-t-elle pas de conditionner les comportements du PJD dans l'hypothèse où il entrerait au gouvernement ? Ou bien sera-t-elle la cause de tensions et de clivages internes qui remettront en cause le caractère bifide du PJD-MUR ?
Pour l'heure, les dirigeants du PJD veulent être crus sur parole. Lahcen Daoudi a, sur 2M, répété que son parti, du sommet à la base, avait « évolué » et il a fait un curieux parallèle avec les socialistes qui, eux aussi, ont eu Staline ! Présent au débat, Mohamed El Gahs, de l'USFP, lui a précisé que les socialistes n'ont pas de problème avec le stalinisme alors que le PJD en a encore un avec son « référentiel » intégriste. Le ministre socialiste a appelé à un vrai débat sur l'adhésion aux valeurs démocratiques qui, sans ambiguïté, sont celles du respect des libertés, du pluralisme et de la créativité, ainsi que des droits des individus (femmes notamment) et des groupes à une vie épanouie.
Si le consensus est admis sur ces valeurs, il n'y a aucun problème à ce que les clivages entre pôles politiques différenciés animent la vie démocratique et les alternances au pouvoir.
Il apparaît ainsi que c'est seulement sur le projet de société qu'il peut y
avoir antinomie et incompatibilité fondamentales.
Ce débat ne peut être réduit à de stériles positions idéologiques, sans rapport avec les réalités. Il traduit au contraire les sources de blocage essentielles de l'ensemble de la société.
La question de la transition vers une société plus ouverte, plus dynamique, plus créative est ici en jeu. Une idéologie du repli, plus ou moins imaginaire, sur une « identité » traditionnaliste ne peut porter que le ressentiment vis-à-vis de toute modernité et des autres
cultures et offrir un exutoire haineux et irrationnel aux frustrations sociales et aux exclusions cumulées depuis des décennies.
Au contraire, l'affirmation d'une adhésion sans ambiguïté à des valeurs de réelle ouverture démocratique et de progrès peut seule éviter au pays de sombrer dans l'isolement, la régression et la violence auto-destructrice.
Epreuve du réel
Cette ouverture implique de relativiser toutes les doctrines et idéologies, y compris celles se réclamant de la religion. En n'imposant aucune d'elles comme vérité absolue, on évite tout d'abord qu'elles servent comme arme politique. On ouvre aussi le champ de la pensée, y compris théologique, au-delà des limites des traditions figées ou des savoirs obsolètes.
Au-delà des calculs politiques et électoralistes immédiats, c'est là un enjeu fondamental pour l'avenir du pays.
Si le PJD escompte les mécontentements et les frustrations de larges pans de l'électorat, que ferait-il lorsqu'à l'épreuve du réel, il ne pourra pas donner satisfaction aux attentes de la majorité de ceux qui miseraient sur lui ?
Acceptera-t-il de jouer le jeu démocratique en parlant le langage des réalités ? Ou alors serait-il tenté d'imputer ses difficultés ou échecs à ses adversaires, voire diaboliser ces derniers ? Et par là-même se replier, grâce au MUR, sur une crispation idéologique qui attisera les surenchères des mouvements islamistes plus radicaux ?
Les partis qui ont à répondre, même partiellement, du bilan de la transition ouverte par le gouvernement Youssoufi et prolongée par le gouvernement Jettou sont plus interpellées que jamais par les risques de remise en cause de l'évolution intervenue, si relative soit elle. La Koutla en s'opposant au PJD n'a pas d'autre choix que celui de bâtir une réelle alliance et de s'engager à fond pour défendre auprès des électeurs aussi bien le projet démocratique que sa propre crédibilité.
En attendant, les jeux sont loin d'être faits.


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