Parmi les reporters qui suivent depuis un an les convulsions du monde arabe, Marie Colvin ne passait pas inaperçue. Son bandeau de pirate attirait l'oeil ! Cette bizarrerie sur le visage était d'autant plus choquante sur une femme élégante, pleine d'humour et d'énergie. Marie Colvin n'y mettait aucune fausse coquetterie. Elle ne cherchait pas à faire l'intéressante. Mais elle n'avait pas non plus honte d'être borgne. Elle avait raison car elle aurait pu porter cette blessure comme une décoration. Elle n'avait pas perdu un oeil, elle l'avait donné. Elle avait été blessée en 2001 par l'armée sri lankaise qui cherchait à faire taire l'une des seules voix à rendre compte du calvaire des civils piégés par la défaite de la guérilla tamoule. C'est parce qu'elle faisait ainsi son métier qu'elle avait été défigurée. A Tripoli, au Caire, à Homs où elle a rencontré la mort, son bandeau rappelait à chacun la conception exigeante qu'elle se faisait du journalisme tout comme le prix à payer : « Notre mission est de rapporter les horreurs de la guerre avec exactitude et sans préjugés… » Est-ce que la presse internationale rapporte encore la guerre au plus près ? Ou est-ce qu'elle se laisse dominer par les exigences du marketing, les passions de l'émotion et les calculs obscurs des diplomaties ? Comme tous les reporters croisés à Tripoli au printemps dernier, Marie Colvin avait abandonné la Libye après la mort de Kadhafi. Le drame syrien exige à son tour des reporters. On pourrait dire aussi qu'un clown chasse l'autre. Là est la logique des médias. Avec la disparition du tyran, fin du suspens qui a tenu en haleine les téléspectateurs pendant neuf mois. Le récit libyen est bouclé, l'affaire est entendue. Circulez, plus rien à voir ! A la vérité, rien n'est réglé en Libye. Mais les témoins se font rares pour mesurer le chaos engendré par la guerre. Depuis qu'on ne peut plus opposer le Bien et le Mal, la complexité de la situation décourage les rédactions. D'ailleurs peut-on encore parler de la Libye alors qu'il y en a au moins trois ? D'abord, la Tripolitaine qui voit s'affronter les tribus, les islamistes et les groupes mafieux. Avec dans la seule capitale, plusieurs dizaines de milices rivales qui pratiquent la détention illégale, la torture des prisonniers et les actes de vengeance collective. Ensuite, la Cyrénaïque qui réfute l'autorité de Tripoli et qui est dominée par les tensions entre les islamistes et les confréries soufies dont les cimetières viennent d'être passés au bulldozer. Enfin, le sud où s'opposent les Touaregs berbères liés aux rebelles du Mali et les Toubous Toubous, à cheval sur la frontière avec le Tchad. Les combats qui les opposent pour le contrôle de la contrebande dans la région de Koufra y ont fait plus de 120 morts au cours des deux dernières semaines sans qu'une seule caméra ait été envoyée sur place… La Libye décourage le simplisme des rédactions et les médias répugnent à se déjuger. Ils continuent donc à raconter la même histoire, comme s'ils se refusaient à retoucher l'histoire sainte. A l'occasion du premier anniversaire des soulèvements, les articles ont ainsi privilégié ce qui permet d'édifier les foules. Les élections municipales à Misrata ont été élevées au rang de symbole. Misrata est la troisième ville de Libye par le nombre d'habitants mais la première par le sang versé. La bataille de Misrata a été la plus longue de la guerre civile, la plus meurtrière aussi. Que cette ville martyre organise la première élection libre qu'ait connue la Libye depuis quarante ans a réjoui les journaux du monde entier. A juste titre : la plupart des habitants en âge de voter s'étaient inscrits et ils ont voté en masse, en ordre et pacifiquement. Les anciens combattants qui n'ont pas retrouvé leur vie civile et qui veillent jalousement sur leur armement comme s'ils se préparaient à de futures batailles n'ont pas empêché cette expérience inédite de démocratie locale. Cela fait un peu oublier le lynchage de Kadhafi et l'assassinat de son fils Mouatassem auxquels ils s'étaient livrés. Le scrutin s'est déroulé sans incidents, aussi exemplaire qu'une votation en Suisse. Les télévisions par satellite veulent y voir un exemple à suivre par tout le pays. Une répétition générale avant l'élection d'une assemblée constituante en juin. Cela laisse croire que le pire n'est pas toujours certain, même en Libye. Un autre évènement rapporté par nos confrères algériens d'El Watan va dans le même sens. On a retrouvé dans le sud, en territoire algérien mais près de la frontière libyenne, une cache d'armes avec une quarantaine de missiles sol air. Des Sa 24 et des Sam 7, ces armes qui permettraient à un terroriste d'abattre un avion au décollage ou à l'atterrissage, sans avoir à passer par la salle d'embarquement… On ne sait ni quand ces missiles prêts à l'emploi ont été découverts, ni quand ils ont été enterrées. Les Algériens prétendent les avoir trouvés grâce aux trabendistes locaux. Mais le CNT avait communiqué à Alger les plans de caches d'armes que M. Kadhafi avait fait installer dans les pays voisins en prévision d'une reconquête du pouvoir et dont la liste aurait été découverte dans les archives des services secrets à Tripoli. C'est une bonne nouvelle qu'une partie de l'arsenal de Kadhafi ait été retrouvé. Toujours cela de moins pour AQMI ! Les pessimistes relèvent toutefois que 43 missiles mis en sécurité représentent peu de choses par rapport aux 10 000 missiles individuels portés disparus selon l'estimation de l'Otan. Cela représente précisément 0,4% ! Tout juste un début, comme les élections municipales à Misrata par rapport à la démocratie promise. Cela pèse davantage qu'un grain de sable dans le Sahara mais pas beaucoup plus… L'après-guerre aussi devrait être rapportée avec exactitude et sans préjugés. Pas d'articles associés.