Entre ombres et lumières, quelle a été la vie d'Adil Al Athmani avant ce 28 avril où tout a basculé ? Portrait. La menace salafiste, l'AQMI, la nébuleuse originelle d'Al Qaïda, le Polisario, les nervis de la Libye khadafienne, ces forces irrationnelles dont le but pernicieux est de tuer la démocratie dans l'œuf. En réalité, le bourreau d'Argana, est un jeune Marocain de 26 ans dont aucune appartenance aux organisations précitées n'est avérée mais qui est un fun de la pensée jihadiste. Adil Al Atmani, le présumé coupable du coup de massue qui s'est abattu sur la ville ocre est ce qu'on pourrait appeler à première vue : un Marocain lambda dont le profil psychologique s'est mué au fil des années en un tueur né avec un emballage «jihadiste» prêt-à-porter. Constat terrible mais, hélas, bien réel. Même l'hyperbole visant à lier son acte de barbarie aux ravages de l'injustice sociale et de l'ignorance ne mène pas large. Adil Al Athmani n'était pas pauvre et encore moins inculte. Simple marchand de souliers usagers certes, il n'en est pas moins soutenu par un père immigré lequel, depuis la France, abreuve sa famille d'un revenu mensuel de 15 000 DH. Adil est un adolescent ambigu, une sorte de canal au travers duquel ni occidentalisation de la pensée ni radicalisation islamiste ne parviennent à prendre racine. Petite frappe énervée comme on en voit souvent, titubant, après une soirée d'ivresse, dans la pénombre d'une banlieue défavorisée. Longtemps, il vivra le complexe de l'enfant quasi-illégitime. Son père, cet absent, refuse de faire jouer le «regroupement familial» pour l'accueillir en France. Adil en gardera de profonds stigmates. Tantôt pieux, tantôt profane, son adolescence est gaspillée, selon les jours, devant les divagations d'un prédicateur zélé, ou dans la fumée d'un bar miteux de Safi, où la Stork taquine la Spécial et où, les grands soirs, un joint circule entre les tables. Quotidien sordide sur fond d'une ville désindustrialisée, dévastée, oubliée par le pouvoir central. Une ville, Safi, qui fait du désœuvrement, de la curiosité malsaine, une obsession. Adil grandit dans l'ombre d'une mère docile qui lui sert souvent de souffre-douleur. Ses colères sont aussi intempestives qu'imprévisibles. Cependant, la mère comprend. Elle sait que l'absence du père pardonne tous les excès. Elle endure en silence. Pourtant ce père si éloigné abrite sa famille des affres du besoin. Installé dans un immeuble à deux étages, le clan Al Athmani mène une existence provinciale plutôt insoucieuse. Les deux locaux commerciaux du rez-de-chaussée sont occupés par Adil et son frère aîné. Le premier gère une échoppe de chaussures, le second, un salon de thé. Entre les deux frères, le courant ne passe pas. Il n'est pas rare que, les jours de la Champion's League, Adil se formalise du brouhaha qui émane de l'établissement mitoyen. S'ensuit en général un échange de mots violents, voire une altercation physique. A l'étage vit la mère d'Adil. Elle avoisine les 55 ans et souffre d'un diabète de type 1. Insulinodépendante, elle nécessite un suivi régulier. C'est la benjamine de la famille qui consacre ses journées aux soins maternels. Adil est un homme plutôt rangé. Il flirte ici et là avec les Salafistes, se réunit chez des disciples pour parler guerre sainte et fustiger le grand diable américain. Mais l'engouement pour le djihadisme laisse souvent place à un hédonisme tout d'alcool enrobé. «Tout est excellent ici !» Adil alterne les périodes de grande piété et les immersions dans la débauche. Souvent, les jeunes du quartier «Bou'ouda», le croisent se cognant contre les voitures sous l'effet de l'ivresse. Il est handicapé par une timidité maladive, une réserve qui peu à peu l'installe dans une terrible solitude. Ses journées sont d'une routine mortifère. A peine trompe-t-il son ennui dans la pratique régulière de la pêche sous-marine. En 2004, Adil tente la clandestinité. Il parvient à atteindre le Portugal avant de se faire refouler par les services d'immigration lusitanien. Retour à la case départ. Déçu, Adil négocie une phase d'immersion totale dans l'intégrisme intellectuel. Une seule obsession le ronge, en découdre avec les ennemis de l'islam, ces scélérats. En 2007, il décide de se rendre en Tchétchénie. Son souhait : aider ce peuple musulman écrasé par Poutine à fomenter des attentats en terre russe. Néanmoins, arrivé en Géorgie, Adil est terrassé par les températures polaires qui règnent sur ces contrées. Changement de stratégie et cap sur l'Irak en passant par la Syrie où il sera incarcéré au bagne de «Palestine» connu pour des conditions de détention façon «Midnight express». Lorsqu'il est refoulé une seconde fois vers le Maroc, El Athmani n'en démord pas. Il veut sa croisade et il l'aura. A la faveur d'une prise de contact avec une faction salafiste libyenne, il s'envole pour Tripoli. Sur place, il ronge ses freins en attendant de trouver un moyen de gagner l'Irak. Peine perdue. Pour la troisième et dernière fois, il est renvoyé dans son pays natal. Cette fois-ci, il lui est clair que son Djihad ne se fera pas à l'étranger. Germe alors dans son esprit l'idée de perpétrer un attentat au Maroc. Pour cela, il passe d'innombrables heures sur Internet à étudier les mélanges de nitrate d'ammonium et de TATP. Très vite, l'apprenti sorcier isole une formule meurtrière. Souvent, on le repère lestée de sacs imposants. Les riverains songent à de la marchandise importée. A aucun moment l'on ne se doute qu'en réalité, Adil Al Athmani se dirige vers son deuxième domicile quartier «Miftah» pour procéder à des tests d'explosifs. Durant les semaines qui précédent l'attentat, on ne perçoit aucune fébrilité dans l'attitude du jeune homme. Le rituel est immuable. Le matin, Adil, accompagné de son épouse, arrive au magasin de chaussures. Sa femme, enceinte de trois mois, passe la journée en compagnie de sa belle-mère tandis qu'Adil vaque à ses activités commerciales. Le soir venu, il récupère sa moitié, enfourche sa mobylette et retourne à l'appartement conjugal. Las, l'emploi du temps d'apparence classique cache une terrible réalité. Adil a déjà produit plus de 9 kilos de matière explosive. Pis, le scénario d'Argana est en passe d'être formalisé dans l'esprit tortueux du criminel. Il n'est nullement question pour Adil de périr dans l'attentat. Sa perfidie s'incarnera dans un dispositif de déclenchement à distance. Pour cela, il associe la déflagration à la première sonnerie d'un téléphone portable. Au fil des semaines, il peaufine son plan. Jeudi 28 avril. Adil se réveille aux aurores. Stoïque, il prend le train de six heures du matin en direction de Marrakech. A bord, il se transforme pour devenir une sorte d'artiste bohême. Une perruque des Ray-Bans et une guitare lui serviront d'instruments de prestidigitation. Quand il abandonne sa voiture de location aux abords de l'esplanade de Jamaâ El Fna, il porte un Dufflebag et un sac de sport. Les deux sont bourrés d'explosifs. Froidement, il se fend la foule. Ses pas le guident vers le café au milieu duquel il a élu de commettre l'irréparable. Soudain, son regard est happé par Argana. C'est l'épiphanie. L'endroit regorge de touristes. Le potentiel destructif est autrement plus élevé. Changement de plan. Adil emprunte l'escalier menant à la terrasse du salon de thé. Il s'installe et commande un jus d'orange puis un café au lait. L'endroit s'emplit graduellement de clients. Des étrangers en majorité. Au bout de quarante cinq minutes, Adil interpelle le serveur. Il l'interroge sur la qualité des plats proposés dans le menu. Le serveur lui récite l'argumentaire de base : «Tout est excellent ici !» Sur ces entrefaits, Adil prétexte qu'il doit s'absenter quelques minutes afin de récupérer sa petite amie. Il demande aimablement au serveur de garder l'œil sur ses sacs et sa guitare. Adil quitte l'Argana. A quelque trois mille mètres du café, il sort son mobile et compose un numéro. Une sonnerie… Réda Dalil Les complices d'El Athmani Les autorités marocaines ont interpellé, dans le cadre de l'enquête sur l'attentat qui a ébranlé la ville de Marrakech, trois suspects qui auraient porté assistance au principal suspect Adil Al Athmani. Il s'agit, selon le ministre de l'Intérieur Taieb Cherkaoui, d'un propriétaire d'une téléboutique, qui aurait guidé El Athmani pour faire sauter ses engins explosifs à l'aide d'un téléphone portable en changeant quelques paramètres de la machine. L'autre suspect, issu lui aussi de Safi, aurait assisté à des essais effectués par El Athmani dans une ferme familiale. Taieb Cherkaoui estime que le mode opératoire utilisé par Adil El Athmani, rappelle le style adopté par Al Qaïda dont il était un fervent adepte.