Le champ politique est en pleine restructuration avec des défis en série à l'horizon. Le compte à rebours a commencé. 2012 sonne comme l'année de la clarification politique. D'un côté, la mue du RNI déclenche une dynamique «social-libérale» qui rencontre l'adhésion de l'UC et du MP. De l'autre, les indices d'un rapprochement Istiqlal-PJD se multiplient comme le montre l'alignement commun sur l'affaire de l'interdiction de l'alcool dans la ville de Fès initiée par le maire Chabat. Est-ce dire que nous nous acheminons vers un champ politique structuré en deux pôles : social-libéral d'un côté et conservateur de l'autre ? Il est trop tôt pour se prononcer sur les initiatives de regroupement en cours et leur pérennité dans le temps. Ce qui est en revanche certain, c'est que la classe politique marocaine est à présent convaincue de la nécessité d'en finir avec «la balkanisation de la carte politique» et l'impérieuse nécessité de s'intégrer dans des pôles homogènes avant même la tenue du scrutin de 2012. «C'est le minimum de respect pour le citoyen-votant. Il faut en finir avec les majorités hétéroclites fabriquées en fonction des résultats des élections», commente un observateur. Dans ce processus en cours, la grande inconnue reste le positionnement de l'USFP. Le parti sort affaibli de son expérience gouvernementale et doit trancher la question de son identité dans un paysage politique complètement modifié. Les équilibres sur lesquels l'alternance a été conçue atteindront leurs limites en 2012, ouvrant probablement la voie à une nouvelle expérience politique et gouvernementale. Le taux d'abstention des législatives de 2007 a révélé le divorce consommé entre une société en pleine mutation et une classe politique coupée de la réalité et immobile. En tout cas, et quelque que soit, le schéma des alliances en cours de constitution et des positionnements des différents pôles, l'année 2012 sonne également comme celle des grands chantiers pour le futur exécutif. Les enjeux sont à la fois économiques et sociaux. Sur le plan économique, le Maroc devra gérer la problématique de la structure de la croissance économique. Le pays tourne avec un taux moyen de 5% alors qu'il faudrait le double pour répondre aux besoins de la population. Comment et où chercher les 5 ou 6 points de plus qui manquent dans un contexte d'ouverture totale de l'économie sur son environnement extérieur ? Comment accompagner dans ce contexte les impacts du statut avancé avec l'Europe (lire aussi pages 26/27) sur le secteur privé marocain ? Quelles mesures d'accompagnement ? Jusqu'à quelle échéance peut-on encore retarder la convertibilité du dirham et donc le degré d'exposition de l'économie nationale aux chocs de la conjoncture internationale ? Il est évident que l'agenda économique de 2012-2017 sera l'un des plus chargés dans l'histoire récente du Maroc. Sur le plan social, la lutte contre les inégalités et la protection des populations les plus vulnérables est une des priorités absolues. Des programmes sont d'ores et déjà déployés. Mais l'enjeu aujourd'hui est d'aller au-delà du «pansement social» pour créer les conditions d'un partage des richesses équitable et l'accès à un niveau de vie qui garantisse une dignité à l'ensemble des Marocains. Vaste chantier en perspective ! A.Z Un nouveau pôle «social libéral» est en gestation. Décryptage. Les «nouveaux libéraux» Après la bataille pour le changement du leadership à la tête du RNI, c'est la bataille des idées qui commence. Le parti de la colombe veut clarifier la question de son identité politique, nouer les alliances nécessaires qui en découlent et mettre sur pied dans la perspective de 2012 une offre politique «social libérale» moderne dans le cadre d'un grand pôle en partenariat avec des partis déjà existants comme l'Union Constitutionnelle (porte-drapeau du libéralisme économique des années 80….) et le Mouvement Populaire (parti berbère traditionnellement libéral). Ce pôle se veut à l'avenir ouvert sur d'autres formations partageant les mêmes valeurs. Mais cette fois-ci, et contrairement à l'expérience libérale marocaine des années 80, le RNI plaide pour «un libéralisme social» autour d'un triptyque stratégique : une économie de marché, un rôle fort de l'Etat et une solidarité sociale accrue. Dans un long discours prononcé samedi dernier à Rabat, à l'occasion d'une journée scientifique sur «le libéralisme au Maroc», organisée par le centre «Achorouq» dirigé par Mohamed Aujjar (lire encadré), et à laquelle étaient invités les dirigeants de l'UC et du MP, en présence d'invités de marque du PAM et de l'USFP, d'universitaires ainsi que de chercheurs, Salaheddine Mezouar, le président du RNI, a eu l'occasion d'expliciter un peu plus les contours stratégiques de cette vision. Celle-ci part de deux préoccupations majeures : quelle identité pour le RNI et quel nouveau paysage politique pour le Maroc à l'horizon 2012 ? «Chicago Boys» Pour Mezouar, la question du positionnement entre dans l'optique de la clarification du champ partisan du pays. «L'observateur averti se perd dans la confusion politique actuelle, tout se ressemble, les partis, les programmes, les objectifs, etc. Dans ce contexte, il est difficile de demander au citoyen de faire un choix et de gagner sa confiance», souligne-t-il. Partant de ce constat, le «mouvement réformateur» au sein du RNI a choisi dès le changement de son leadership de s'attaquer à la problématique de l'identité, poursuit le président du parti. «Qui sommes-nous ?» comme dirait l'autre. Pour le ministre des Finances, le RNI ne peut être qu'un parti «social-libéral» au vu de son expérience historique depuis sa création et aux enjeux que vit le monde depuis le déclenchement de la crise internationale. Dans ce contexte, le ministre des Finances reconnaît que le «temps des certitudes est bel et bien révolu» comme en témoigne l'évolution du monde depuis l'effondrement du mur de Berlin, signe emblématique de l'échec du modèle communiste. Depuis, le libéralisme a été présenté comme le modèle idéal, ayant triomphé après un demi-siècle de guerre froide. Francis Fukuyama avait décrété «la fin de l'histoire» tandis que Margaret Thatcher en Angleterre et Ronald Reagan aux Etats-Unis inauguraient, sans états d'âme, l'ère du «libéralisme total», inspiré de l'école monétariste des «Chicago Boys» incarnée par Milton Friedmen. La loi de l'offre et de la demande devait tout réguler et la société devait fonctionner avec le «moins d'Etat possible». C'est l'ère des grandes privatisations y compris des services publics stratégiques. Sur fond de mondialisation des marchés, le courant libéral s'est imposé dans le monde, porté par les institutions internationales telles que le FMI et la Banque Mondiale. Au Maroc, dans ces années-là, c'est l'Union Constitutionnelle de Maati Bouabid qui portera sur la scène politique les idées de privatisation et de rationalisation des dépenses publiques… Cette orientation libérale marquera l'imaginaire de l'opinion publique et le parti du cheval garde encore les stigmates de cette époque. En marge de ce mouvement planétaire, l'Asie inaugurait sous la houlette de la Chine un «socialisme de marché» où l'Etat était à la fois acteur et gendarme. Et ce avec le souci d'un meilleur équilibre social et la volonté de créer et de développer une vraie classe moyenne. C'est à partir de cette expérience que naîtront, par la suite, des concepts comme le «social-libéralisme» ou «la gauche libérale». L'Etat, encore et toujours… Le Premier ministre britannique Tony Blair incarnera cette «troisième voie» alliant logique de compétitivité et souci de solidarité sociale. Dès lors, s'interroge Mezouar, quel modèle pour un pays comme le Maroc ? Et quel projet politique le RNI peut-il offrir aux Marocains ? Mezouar élargit le concept du libéralisme social au-delà de sa signification purement économique. Il s'agit pour lui d'une «philosophie basée sur le respect des valeurs humaines supérieures comme les droits de l'homme, la diversité culturelle, la cœxistence ethnique, la tolérance religieuse, la richesse linguistique, les libertés collectives et individuelles ainsi que l'équité sociale». L'argentier du royaume écarte le choix d'un libéralisme sauvage ayant laissé des dégâts dans le monde anglo-saxon et montré ses limites comme l'illustre la dernière crise internationale. Dans sa vision, la liberté et la démocratie ne peuvent s'exercer dans une société où persiste les inégalités sociales et où fait défaut la dignité humaine. D'où l'importance du rôle de l'Etat dans la correction des écarts sociaux et la garantie des filets sociaux au profit des plus vulnérables. Mezouar cite à cet effet l'exemple d'Obama qui lutte pour instaurer une couverture médicale dans un pays réputé être 100% libéral. Autant d'indices qui forgent la conviction de Mezouar que le social-libéralisme est le terrain adéquat dans lequel pourra se mouvoir le RNI. La question de l'identité politique structure tout naturellement celle des alliances. Le diagnostic est clair : l'heure de la multiplicité des partis et des positionnements selon le référentiel de la guerre froide est dépassée. L'évolution du monde rend également caduc les classifications gauche-droite et centre quand plusieurs partis oeuvrent pour un même projet démocratique et moderniste. «Nous sommes un parti non traditionnel et non conservateur. Nous croyions aux valeurs de modernité, de démocratie et de solidarité sociale», déclare Mezouar. Sous cet angle, et en vue de constituer un pôle social-libéral, le président du parti rappelle l'alliance avec l'UC et s'appuie sur l'expérience gouvernementale du RNI dans le cadre des différents gouvernements d'alternance pour tendre la main aux formations qui partagent les mêmes valeurs. Dans la salle, assis au premier rang dans la même rangée que Ahmed Akhichen, ministre PAM de l'Education, l'USFPiste Diss Lachgar, ministre des Relations avec le Parlement échange un sourire avec Mohammed Aujjar dans la tribune sous le regard de M'hamed Lanser (MP) et Firdaous (UC). «Le chemin n'est pas tracé. Il se fait en marchant…», disent les Chinois. En attendant 2012, bon vent au social-libéralisme ! A.Z.