Des régions autonomes scellées par leur allégeance au roi : le modèle d'Etat mi-régional, mi-fédéral attend d'être formalisé. Hassan II se plaisait, à la fin de son règne, à parler des Lander allemands comme un modèle d'autonomie possible cimentant l'intégrité territoriale de son royaume. Mais c'est à son fils, acculé par une communauté internationale pressée d'en finir avec la question du Sahara, qu'est revenue la lourde charge de donner des gages sur la sincérité du discours. Et là, la rhétorique avait jusqu'ici montré ses limites. Des logiques contradictoires Depuis une dizaine d'années, le Maroc a réussi, bon gré mal gré, à jongler avec une contradiction majeure : proposer, d'un côté, comme solution au conflit du Sahara, une révision de la Constitution marocaine afin d'y intégrer des clauses précises sur une large autonomie du Sahara, et d'un autre côté ne jamais formaliser dans le détail la proposition marocaine. La contradiction s'explique : le fédéralisme, enveloppe constitutionnelle au concept d'autonomie, est une carte de négociation. «Nous ne pouvons nous permettre d'avoir une proposition détaillée de ce que l'on entend par autonomie car nous n'aurions plus rien à négocier par la suite, si ce n'est les éléments de l'autonomie, ce qui serait grave. Ce qui est négocié aujourd'hui, c'est une solution politique, l'autonomie, au lieu d'une solution référendaire», explique un haut dignitaire du royaume au fait de la question. Une révision constitutionnelle introduisant une régionalisation de facto n'est donc envisageable aujourd'hui que sous l'angle de l'avancée des négociations sur le Sahara. Est-ce à dire jamais ? Dans son discours adressé à la nation le 30 juillet dernier à l'occasion du 10ème anniversaire de son règne, le roi avait indiqué le lancement d'un «chantier fondamental » sur la « régionalisation avancée» et annoncé l'installation «sous peu», d'une «Commission consultative sur la régionalisation (CCR)». Six mois plus tard, au sortir de la crise diplomatique aigue autour du cas de l'activiste Aminatou Haïdar, Mohammed VI prend les devants. Pour le roi, il ne s'agit pas d'un «simple aménagement technique ou administratif». Mais «plutôt, une option résolue pour la rénovation et la modernisation des structures de l'Etat, et pour la consolidation du développement intégré». Elle ne se réduira pas non plus « à une simple redistribution des compétences entre le centre et les régions». De même, cette régionalisation «constitue un tournant majeur dans les modes de gouvernance territoriale», et ce, en prélude à une «nouvelle dynamique de réforme institutionnelle profonde». Les 16 régions du pays sont concernées par la mission de la CCR, qui est la proposition d'une conception générale de la régionalisation avancée. Toutefois, la CCR devra tenir compte des «spécificités» nationales pour «mettre au point un modèle maroco-marocain de régionalisation», a insisté Mohammed VI. L'une de ces spécificités «est que la monarchie marocaine figure parmi les plus anciennes du monde», a-t-il dit. En d'autres termes, il appartient à la CCR de proposer une copie de leur travail à l'appréciation du roi avant la fin juin 2010, «sans pour autant sombrer dans le mimétisme ou la reproduction à la lettre des expériences étrangères», a expliqué le souverain. Une mission qui s'avère bien délicate. En interne, l'idée d'une régionalisation poussée en a toujours fait frémir quelques-uns. L'opposition brutale du Maroc en juillet 2003 au plan Baker II qui envisageait dans le détail une forme d'autonomie pour le Sahara, en est la preuve. «On a pris conscience de ce que cela signifiait réellement : un mode de gouvernance régionale qui ne reposerait plus sur le wali et le gouverneur», confie un expert. Et le Makhzen n'a encore jamais fonctionné autrement. Pour preuve, encore une fois, le Sahara. Un risque de «fièvre autonomiste» À l'avènement de Mohammed VI, la consigne a été claire. Les provinces du Sud doivent être considérées comme le reste du royaume. Exit donc les sécuritaires (Mohammed Azmi, chargé des relations avec la Minurso, entre autres, en avait fait les frais), mais très vite, les vieilles habitudes avaient repris le dessus, jusqu'à tout récemment la nomination du général Hamidou Laânigri en pro-consul du Sud. L'exemple est significatif : quand il s'agit de modifier en profondeur l'armature du système, les dignitaires du régime pèchent par manque d'imagination et par un raidissement. Au ministère de l'Intérieur, la réponse a toujours était claire sur cette problématique : rien n'oblige le Maroc a prendre un quelconque risque de démembrement institutionnel qui ferait chavirer le socle monarchique actuel. L'héritage du maillage sécuritaire si cher à Driss Basri perdure. Aussi, le futur statut du Sahara, si le Maroc et le Polisario parviennent à un accord, sera plus comparable à celui des régions espagnoles voire italiennes si l'on croit l'analyse de nombreux spécialistes dont le politologue Mohamed Darif. En Espagne, l'Andalousie y a un statut particulier, différent de celui de la Catalogne, lui-même différent des autres régions ibères, dont certaines n'ont aucun statut d'autonomie. Autrement dit : chaque région a le statut que l'Histoire et la politique lui ont forgés, et il n'y a aucune obligation de duplication. C'est donc ainsi que se justifiera la future réforme constitutionnelle qui intégrera le statut exclusif du Sahara. C'est sans doute pour éviter une éventuelle «fièvre autonomiste» que les 21 membres de la CCR plancheront plutôt sur une politique de «déconcentration très poussée» dans les régions. Allant au-delà de la décentralisation, qui implique un simple transfert, réversible d'ailleurs, de pouvoirs de l'autorité centrale vers les représentants locaux. Dans ce cadre, l'autonomie est considérée comme un arrangement «sub-étatique» permettant à un groupe minoritaire dans un Etat de bénéficier d'un partage des pouvoirs entre le local et le national, tout en fournissant à l'Etat des garanties en matière d'unité, de souveraineté et d'intégrité territoriale. La nouvelle donne interne Un élément nouveau pourrait pourtant modifier la donne et accélérer la réflexion sur un modèle fédéral : la pression en interne au Sahara depuis que les irrédentistes ont ouvertement constitué un front intérieur audible à l'international. Car la situation dans les provinces du Sud aujourd'hui n'est pas celle d'hier. La jeunesse sahraouie est en demande d'une politique de proximité qui exclut la doctrine ultra sécuritaire adoptée jusqu'ici. Leur revendication pour l'auto-détermination, clamée au grand jour, résulte en grande partie de cela. Et bien plus que ce qui se passe dans les couloirs de l'ONU, c'est cette situation interne qui inquiète Rabat. C'est peut-être celle-là qui forcera la main au makhzen pour concrétiser les discussions de salon sur un «royaume fédéral». On parle de fédéralisme lorsqu'un Etat est divisé en plusieurs entités fédérées disposant chacune de compétences réparties de manière symétrique comme dans le cas des Länder allemands et des Cantons suisses. Pour garantir une représentation égalitaire, le pouvoir législatif est divisé en deux Chambres : la première représentant les entités fédérées, la seconde l'Etat fédéral. Nous sommes très loin de cette configuration, car Mohammed VI a largement martelé que les «constantes de la nation sont immuables». En décrypté, quelque soit l'ingénierie territoriale envisagée, aucune réforme structurelle n'aboutira à une séparation des pouvoirs et encore moins une limitation constitutionnelle de ceux du roi. Reste alors le cas d'une régionalisation hybride, ou l'Etat régional partage un certain nombre de similitudes avec l'Etat fédéral dans la mesure où les organes législatifs et exécutifs sont constitués au niveau de l'Etat central et des entités. Cependant, dans les Etats régionaux, il existe souvent une répartition asymétrique des compétences. «Le Projet marocain d'autonomie du Sahara est particulier. Il a pour objet de créer une région à statut dérogatoire, dotée de compétences globales, culturelles, économiques et sociales. Ceci dit, l'Etat se réserve les prérogatives régaliennes, comme cela est de règle dans tous les pays, en particulier la défense, les relations extérieures et les attributions constitutionnelles et religieuses du roi. Alors que les compétences de la future région autonome du Sahara concernent essentiellement l'administration locale, les forces de police, la gestion économique et sociale et les infrastructures, le budget et la fiscalité, les questions culturelles et celles liées à l'environnement», explique le spécialiste Abdallah Harsi, professeur à l'Université de Fès et auteur d'une analyse comparative du projet marocain et du cas belge. Une option hybride entre large autonomie au Sahara et régionalisation poussée pour calmer les ardeurs identitaires dans le Rif et le Souss notamment, sera-t-elle creusée dans le cas du Maroc ? Jusqu'ici, l'Etat a préféré ressasser les mêmes mécanismes de la décentralisation proposée par Hassan II à la fin des années 80. Pour dépasser ce schéma, il faudra pouvoir débattre de notions ultrasensibles aux yeux du palais, telles la notion unitaire de communauté des croyants et la définition constitutionnelle de la souveraineté de l'Etat. Youssef Chmirou et Mohammed Yazidy