La future Charte veut de placer le pays sur les rails du développement durable. Une ambition réaliste ? Le ton est donné. Dès l'annonce faite par le roi, dans son dernier discours, de doter le pays d'une Charte nationale de l'environnement et du développement durable, les ministres se sont empressés, instruction royale oblige, de tenir réunion sur réunion, la dernière datant du mois de septembre. Surtout que la directive fixait aussi des objectifs et des échéances : le mois de mars 2010 devrait ainsi voir l'élaboration d'une véritable feuille de route. «Il est même possible que ladite charte soit prête avant cette date», affirme Saïd Mouline, directeur général du Centre de développement des énergies renouvelables (CDER), l'outil technique de la nouvelle stratégie «verte». Justement, l'homme vient de rentrer d'Agadir, où se tenait la 30ème session du comité Codex sur les poissons et les produits de la pêche, rassemblant des dizaines de pays. Ordre du jour : la présentation par Aziz Akhannouch, ministre de l'Agriculture et de la pêche maritime, de la stratégie «Halieutis». Une thématique forcément en relation directe avec l'élaboration de la Charte de l'environnement et du développement durable. «Il faut cesser de souligner que la protection des espèces protégées de poissons conduira à des pertes d'emplois», déplore Mouline, démystifiant cette idée reçue : opposer systématiquement l'écologique à l'économique. Cesser d'opposer écologie et économie Le contrôle vise essentiellement la préservation des ressources de la filière. Quant aux emplois directs perdus, ils devraient être logiquement compensés par un transfert vers d'autres postes au sein de ce même secteur. Et ce n'est pas le ministre de tutelle, Aziz Akhannouch, qui dira le contraire. L'idée que Mouline a défendue durant ladite réunion abonde dans ce sens . «Le royaume dispose de ressources halieutiques non négligeables, qui doivent être exploitées et valorisées à bon escient, en conformité avec une politique des pêches orientée vers une logique de durabilité et de meilleur usage de la ressource». Le même raisonnement est transposable au domaine forestier. Le Maroc perdant annuellement près 30.000 hectares de forêt, les enjeux sont de taille. «Le message est clair, il revient à tous de le décrypter. Il consiste à penser développement durable parallèlement à toutes les activités économiques», précise Saïd Mouline. Intégrer le souci écologique dans chaque projet Le discours royal ne disait pas autre chose : «Nous appelons le gouvernement à élaborer un projet de Charte nationale globale de l'environnement, permettant la sauvegarde des espaces, des réserves et des ressources naturelles, dans le cadre du processus de développement durable». Et c'est justement sur cette notion de «développement durable» qu'insiste le patron du CDER. «Cet impératif doit s'appliquer à tous les projets, dans tous les secteurs d'activités, qu'ils soient immobiliers, touristiques ou industriels». En clair, Il est question de faire du souci écologique une constante de tous les projets, de quelque nature qu'ils soient. Question : comment cela va-t-il se traduire concrètement ? Pour Mouline, il n'y a pas de recette miracle : il va falloir rechercher un certain équilibre. Ce dernier revient à une équation qui s'imposerait à chaque lancement de projet : penser en même temps aux aspects économico-social et environnemental. L'utilité des études d'impact est plus que jamais à l'ordre du jour. «Dès le départ de chaque opération, il faut s'interroger sur ce qui y est prévu en termes de protection environnementale et de durabilité. C'est l'unique moyen d'éviter les mauvaises surprises en cours de route», explique Saïd Mouline. Le message royal n'a pas omis cette considération, interpellant nommément les autorités compétentes : «Il appartient aux pouvoirs publics de prévoir le volet protection de l'environnement dans les cahiers des charges concernant tous les projets de développement». Il est que vrai que, souvent, l'attrait des avantages économiques est plus déterminant pour l'entrepreneur. L'exemple du secteur immobilier est révélateur de cette tendance, au demeurant logique. Mais Mouline appelle à changer de perspective, de se placer davantage dans une logique de long terme : l'installation de procédés utilisant de l'énergie renouvelable alourdit certes le budget d'investissement de quelque 10% aujourd'hui. «Mais ce n'est pas cette hausse substantielle qui va changer la donne, affirme-t-il. Les bénéfices futurs dépasseraient largement ce surcoût». Ceci n'est qu'un exemple pratique d'une réflexion à dupliquer dans tous les secteurs et projets d'investissement. Reste une condition centrale à remplir, celle de la promotion de la recherche et de l'innovation. Sa réponse passe inévitablement par «la mise à niveau de nos ressources humaines, qui représentent aujourd'hui notre principal atout», est-il indiqué dans l'allocution du roi. Et pour cause. Ce sont de nouvelles niches d'emploi que créé l'application de projets reposant sur le développement durable. Des métiers liés à la révolution verte, pour laquelle il faut préparer des militants et des soldats. Voilà pour les déclarations de principe. Reste à imaginer leurs applications sur le terrain, via des mesures pratiques et immédiatement efficaces. Et sur ce chapitre, c'est encore le grand néant. Il n'est toujours pas question d'un arsenal juridique contraignant, ni de la mise en place de normes écologiques pour certains secteurs économiques (industrie, immobilier…). Idem pour d'éventuelles mesures incitatives de nature fiscale, aptes à «éduquer» les opérateurs comme les consommateurs. Ainsi, alors que la Tunisie a totalement défiscalisé les chauffe-eau solaires (TVA et droits de douane à 0%), au Maroc, on hésite encore à revoir la taxation des lampes à basse consommation (LBC). Pour le moment ? On l'espère… Sans quoi cette fameuse Charte ne sera au final qu'un texte de plus, comme il y en a tant dans les tiroirs du gouvernement. Imane Azmi