Pour les victimes de violence, recourir à la justice est la décision la plus difficile à prendre. Nombre de femmes ont recours aux centres d'écoute mais ne vont pas jusqu'au bout du processus. Pour Najat Razi, présidente de l'Association Marocaine pour les Droits des Femmes (AMDF), briser le silence en s'adressant à un centre d'écoute est déjà une victoire sur la violence. « Les études faites sur la violence démontrent que la décision la plus difficile à prendre est celle de rompre avec la violence et de mettre terme à cette souffrance de la part de la femme violentée. Donc, lorsque la femme se présente au centre d'écoute, cela signifie qu'elle a déjà franchi un pas très important : celui du silence. Elle ne veut plus se taire, elle sort de son isolement, et vient vers un autre espace, dans ce cas une institution, vers d'autres personnes à qui elle va parler », explique-t-elle. Le recours à une aide est une étape décisive pour briser le cercle de la violence. La majorité des femmes qui s'adressent au centre Fama, relevant de l'AMDF, sont victimes de violence, bien que la mission du centre ne se limite pas à cela. « Notre centre est un espace ouvert qui accueille toutes les femmes en situation difficile et qui se retrouvent dans des difficultés liées à leur situation en tant que femmes dans la société, pas forcément victimes de violence, mais qui ont besoin d'être informées sur leurs droits par exemple », indique Najat Razi. « Mais l'état des lieux nous montre que la majorité des femmes qui nous consultent sont victimes de violence, pas seulement physique, mais aussi psychologique, verbale, économique, et juridique dans le sens où un préjudice leur est porté lorsqu'elles sont confrontées à des lois discriminatoires ou à un vide juridique ou à une application injuste des lois », ajoute-t-elle. Au centre Fama, deux écoutantes sont chargées d'accueillir et d'orienter les femmes . « L'accueil est très important pour nous parce que la femme doit se sentir rassurée dès son entrée et qu'elle soit encouragée à parler et à se confier », explique Najat Razi. Certaines femmes ont déjà pris leur décision, d'autres ont encore besoin d'être guidées. Mais le rôle de l'écoutante n'est jamais de prendre la décision à la place de la femme. « On n'impose jamais une décision. On aide plutôt la femme à parler et on l'informe sur les différentes pistes, l'aidant ainsi à y voir plus clair et donc à prendre une décision », explique la présidente. C'est alors que la femme est orientée vers une consultation juridique avec une avocate collaboratrice du centre. Dans certains cas, la consultation dépasse le conseil et va jusqu'à l'aide à entamer la procédure judiciaire. Le centre Fama n'offre pas encore de soutien psychologique, mais « oriente les femmes vers d'autres associations qui disposent de ce service, tout en assurant un suivi », déclare la présidente de l'AMDF. « Le profil de la femme violentée, de même que le profil de l'auteur de la violence, sont pour moi des préjugés infondés », affirme Najat Razi. La violence ne concernerait donc pas une tranche particulière de la société, elle ne serait pas limitée à une tranche d'âge ni à une catégorie sociale. « Les statistiques des centres d'écoute le montrent d'ailleurs », précise Najat Razi. « Il est vrai que la majorité des femmes violentées au Maroc qui ont recours aux associations sont analphabètes, mais c'est parce que la majorité des femmes marocaines sont analphabètes. C'est peut-être aussi parce que les femmes de milieux aisés trouvent des solutions ailleurs que dans les associations », indique Najat Razi, ajoutant que « le centre a reçu des femmes cadres, des femmes médecins, au même titre que des femmes au foyer ». L'importance de l'institution familiale et l'attachement de la femme à celle-ci sont plus présents chez la femme, ce qui explique grandement la capacité des femmes victimes de violence à faire des concessions et à subir. Selon Najat Razi, «c'est le cas même lorsque c'est la femme qui subvient aux besoins de la famille ». C'est donc avant tout une question d'éducation. « La femme est éduquée à devenir l'épouse et la mère avant toute chose », déclare Najat Razi, concluant qu'on « ne peut comprendre le comportement de la femme vis-à-vis de la violence que si l'on prend en considération la situation de la femme dans la société ainsi que l'éducation de la femme ».