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L'enfer continue...
Publié dans L'observateur du Maroc le 02 - 07 - 2010

Je travaillais dans une usine de confection. Le contremaître me draguait, me faisait des avances et m'offrait constamment des cadeaux pour mon fils. Je repoussais ses propositions deux ans durant, en vain. Un jour, il a même essayé de me violer. Je n'en pouvais plus. Lorsque j'ai décidé de sortir de mon silence et dénoncer le harcèlement que je subissais, j'ai perdu mon travail (le contremaître est le cousin du directeur), mon père m'a fait un scandale et mon mari m'a chassé de la maison avec mon fils parce que, selon eux, c'est moi qui l'ai provoqué. En l'absence de preuves, tout mon entourage me condamnait. A présent, je travaille comme femme de ménage dans un café. Mon père m'en veut toujours, mon ex-époux ne demande jamais de nouvelles de son fils et je suis toujours harcelée par ces hommes qui fréquentent le café. Je n'en peux plus !», raconte Rachida en pleurs. Entre lâcheté de l'entourage, tolérance de la violence à l'égard des femmes et manque de preuves, cette Casablancaise de 32 ans subit toujours les vices et sévices d'une société où sied l'abus de pouvoir et qui admet bien souvent aux hommes leurs écarts sexuels. Combien de Rachida existe-t-il au Maroc ? Les chiffres présents ne compteraient certainement pas toutes ces femmes noyées dans le silence de peur de la réaction de l'entourage. «Rares sont les femmes qui dénoncent le harcèlement sexuel qu'elles peuvent subir. Aux yeux de la famille, de la maman même de la victime, en parler c'est «Hchouma». Même si actuellement, les associations commencent évoquer le sujet, la culture ne change pas», explique Fouad Belmir, sociologue. Contrairement à d'autres pays comme la France ou les Etats-Unis, le harcèlement sexuel n'est toujours pas sévèrement condamné au Maroc malgré l'existence de lois. «Dans un immeuble de l'ONU, il a suffi à un employé de dire à une dame «Votre parfum embaume l'ascenseur» pour qu'il soit renvoyé», rapporte le sociologue. Appartenant souvent à une classe socio-économique d'une situation précaire, ces femmes font face au chantage à l'emploi, à l'exploitation des faiblesses, à l'abus de pouvoir du supérieur hiérarchique… Pour les harceleurs, tous les moyens sont bons pour persécuter la victime.  
Silence, on viole !  
Selon les chiffres de l'Association marocaine des droits de la femme, 50% des femmes au Maroc subissent un harcèlement sexuel au travail. Une étude de la même association atteste que les ouvrières sont les plus exposées au harcèlement sexuel. En France, un salarié sur deux fantasme sur ses collègues de travail, selon les résultats d'une enquête menée par Monster, plate-forme dédiée à la gestion de carrière et de recrutement en ligne. 34% des salariés interrogés avouent fantasmer de temps en temps sur leurs collègues alors que 16% le font souvent. Si le harcèlement sexuel existe au Maroc comme ailleurs, les recours d'une victime diffèrent d'un pays à l'autre. Chez nous, une minorité seulement peut avoir le courage de porter plainte auprès de la direction ou devant les tribunaux. C'est souvent la classe sociale moyenne ou aisée qui arriverait à dénoncer le comportement. «Le harcèlement sexuel dans les lieux du travail existe depuis toujours. C'est une violence physique ou morale perpétrée pour une fin précise et basée sur l'abus du pouvoir pour contraindre la victime à céder», explique Najat Razi, présidente du centre Fama de l'Association marocaine pour les droits des femmes. Plusieurs obstacles se présentent. Fournir des preuves concrètes est presque impossible puisque le harceleur choisit toujours le bon moment pour être loin des yeux. Mais faire appel à des témoins est encore moins envisageable dans une société où la victime est plus coupable qu'autre chose. «J'ai supplié mes collègues pour témoigner pour moi, en vain. Ils ont préféré le silence de peur d'être licenciés tout simplement», raconte Btissam, jeune cadre victime de harcèlement sexuel dans son bureau. La jeune femme a même été taxée de provocatrice et d'allumeuse. «Les associations ont mené un travail de sensibilisation de longue haleine pour montrer aux femmes qu'elles ne sont pas coupables  de ce harcèlement comme les en accuse la société. L'entourage critique la façon d'habillement, le maquillage et la beauté des femmes harcelées pour détourner le regard des vrais coupables», dénonce N. Razi. Violées dans leur dignité, ces femmes sont incapables de mener leurs supérieurs devant le juge sans devoir abandonner leurs postes. Entre le marteau du chef et l'enclume de la société, certaines d'entre elles avouent se laisser faire sans conviction par peur de perdre leur travail. Une réalité que l'homme ne reconnaitra jamais. «Pour la gent masculine, la femme est une bonne, un objet sexuel et une machine à enfants. Comment voulez-vous qu'elle soit respectée quand la société tolère largement la violence à son égard ?», se demande F. Belmir. «Depuis mon jeune âge, je voyais mes parents dire à mon frère : «Drague les filles mon fils, sois un homme !». A présent, ce frère-là, comme tous les Marocains, ne respecte pas sa femme, la trompe à-tout-va sous le regard tolérant de ma mère. Que dirait-il s'il savait que je suis constamment persécutée par mon supérieur qui a tenté de me violer à plusieurs reprises?», témoigne Hanane. Cette jeune ouvrière dans une usine de textile estime que le harcèlement sexuel est dû en premier lieu à l'éducation inculquée durant l'enfance. «Malheureusement, la société marocaine est une spécialiste en harcèlement sexuel. La femme est violée du regard en permanence, où qu'elle soit», ajoute le sociologue.  
Tabou tu l'es, tabou tu resteras
Elles sont nombreuses à faire de l'omerta une devise lorsqu'elles sont victimes de harcèlement sexuel, forcément coupables aux yeux de la société. Dans une société de culture masculine, ce mal qui ronge le monde du travail prend différentes formes mais les conséquences restent les mêmes. Marquées au fer rouge, ces séquelles psychologiques indélébiles touchent souvent la santé mentale de la victime. Entre humiliation, stress, intimidations, censure, avances sexuelles, chantage, pressions, coups d'œil ou carrément viol, le harcèlement sexuel ou moral porte atteinte à la dignité et la liberté de la femme. «Cette forme de violence sexuelle se transforme en violence morale lorsque la victime refuse de céder. Une thérapie est vivement conseillée pour surmonter l'épreuve et éviter des conséquences fâcheuses», atteste Mohamed Glibi, psychologue. En effet, la victime peut sombrer dans une dépression, avoir des idées suicidaires, se sentir souillée, coupable… Le psychologue ajoute que le harcèlement sexuel équivaut au viol. Face au silence de la famille, de l'entourage et de la société, cette pratique est de plus en plus courante et n'épargne plus aucune femme. «Il suffit d'être de sexe féminin pour s'attendre à diverses formes de harcèlement», constate Rokia. Cette secrétaire de direction de 32 ans a été victime de harcèlement dans son tout premier boulot lorsque le chef d'entreprise tente de la faire céder de force. «Malheureusement, une secrétaire est considérée comme une maîtresse par toute la société», ajoute F. Belmir. C'est un métier parmi d'autres où la femme est ouvertement exposée à pleins de regards tout en entretenant des rapports professionnels forcément proches avec le supérieur hiérarchique. «On a mené un plaidoyer, effectué beaucoup d'études sur le terrain et organisé des campagnes de sensibilisation pour faire connaître les droits et les lois. C'est que la majorité des femmes ignorent les lois du code pénal condamnant le harcèlement sexuel dans le cadre professionnel», affirme Najat Razi. Si les lois suivent, les mentalités ne changent pas et les langues ne sont pas prêtes à se délier. Dans un autre siècle peut-être…
 
A quand une loi sur le harcèlement sexuel ?
SALAHEDDINE LEMAIZI
J'étais à l'économat comme d'habitude. Alors que je remplissais le bon de prélèvement, KM est venu, puis brusquement il me touche avec sa main à l'épaule. A ce moment là, je ressens quelque chose qui me fait mal, c'était un téléphone sans fil. Il me l'a mis… vous savez où ? D'un air furieux, j'ai jeté ce que j'avais à la main et j'ai crié à haute voix pour protester contre cette injustice. Je ne pouvais pas tolérer ce comportement. Par la suite, j'ai averti mes deux responsables. Monsieur le Directeur, je vous transmets ce rapport pour prendre les mesures nécessaires», écrivait Najlae en 2006, «célèbre» victime de harcèlement sexuel au travail. Son cas et celui de sa collègue Souad ont constitué un précédent car elles ont mené une bataille judiciaire contre leur employeur et leur combat s'est soldé par la création du premier réseau de lutte contre le harcèlement sexuel au Maroc. Najlae et Souad n'ont certes pas gagné leur bataille judiciaire, mais elles ont gagné la bataille médiatique en brisant le mur du silence.
Les mésaventures de ces jeunes femmes ont montré également les limites des lois actuelles. Le Code du travail considère le harcèlement sexuel comme étant une faute grave. Le Code pénal prévoit une condamnation à une peine d'emprisonnement allant d'une à deux années et une amende de 5.000 à 55.000 DH contre toute personne qui abuse de l'autorité que lui confère sa fonction par des harcèlements sous forme de menaces ou autres afin d'obtenir des faveurs sexuelles. Reste que dans la pratique le harcèlement sexuel est rarement dénoncé. Et quand c'est le cas, il est difficile à prouver.
On le savait, le monde professionnel est hermétique, mais concernant le harcèlement on frôle la schizophrénie. «Les cas de harcèlement sexuel sont très rares dans notre entreprise. Non pas qu'ils sont étouffés, mais parce que nous sommes une société musulmane où le respect est partie intégrante de notre culture», argumente un directeur des ressources humaines dans une entreprise de services qui emploie 1800 personnes. «Je ne pense pas que c'est un phénomène», conclut-il.  
La loi prend son temps
Octobre 2008, Nouzha Skalli crée l'événement. Elle déclare «la guerre» au harcèlement sexuel dans l'espace public et prépare un projet de loi contre les violences à l'égard des femmes, dont le harcèlement sexuel. Un travail qu'elle a mené en concertation avec les ministères de la Justice, de la Santé, la Direction de la sûreté nationale et la gendarmerie royale. Un atelier de concertation avait été tenu avec les associations et centres d'écoute. Dans ce projet, la rue, le domicile conjugal et le lieu du travail sont les trois lieux où la femme peut subir des violences.   
Juin 2010, ce projet de loi traîne toujours. Il poursuit son chemin à un rythme de tortue. Après son passage par le Secrétariat général du gouvernement en début d'année, il est entre les mains du ministère de la Justice (voir l'interview de Nouzha Skalli ci-après). Il est sûr qu'il ne passera pas lors de cette session parlementaire.
Et les parlementaires commencent à s'impatienter. Nezha Alaoui, l'avocate et députée de l'USFP à la première Chambre, ne cache pas son agacement devant le retard pris par ce texte. «Le retard de deux ans que connaît le texte, c'est le gouvernement qui en est le premier responsable et plus particulièrement la ministre du Développement social», accuse-t-elle.  «Je ne peux rien dire sur ce projet car je ne l'ai pas encore reçu. Il est évident qu'on est d'accord sur l'utilité d'un tel texte, même si on l'a demandé à maintes reprises lors de  concertations avec Mme la ministre», ajoute-t-elle.
Dans sa forme actuelle, le texte ne convient plus aux revendications des associations féministes. «Le ministère du Développement social a présenté un projet pour apporter des modifications au Code pénal. Les associations féministes demandent un projet cadre qui condamne toutes les violences faites aux femmes, ainsi que les volets de la sensibilisation et de l'accompagnement», exige N. Alaoui, qui est également présidente de l'Union d'action féminine (UAF). Nouzha Skalli a-t-elle fait marche arrière ? Son ministère a-t-il renoncé à son projet de loi sur la violence à l'égard des femmes ? Réponse de la ministre : «Le ministère du Développement social, de la famille et de la solidarité a déposé un projet de loi contre la violence conjugale auprès du Secrétariat général du gouvernement, au début de l'année en cours». Les associations féministes demandent également qu'elles soient plus impliquées dans l'élaboration du texte. «Il fallait nous impliquer plus dans l'élaboration du texte, il faut une approche participative», rappelle N. Alaoui. Pour elle, une approche participative préparera le terrain pour un passage rapide au parlement.       
Comment prouver le harcèlement ?
Au-delà de la méthodologie de la préparation du texte, la violence conjugale comme le harcèlement sexuel restent difficiles à prouver. Les questions des preuves reviennent avec acuité. «Nous avons proposé de nous contenter du témoignage de la victime pour prouver l'acte et du côté du présumé agresseur, qui doit prouver qu'il n'a pas été sur les lieux au moment de l'acte», explique la présidente de l'UAF. «Ce sont des propositions au stade primaire car on attend toujours de voir le texte», tempère-t-elle.  
D'autres groupes comme le Mouvement alternatif pour les libertés individuelles (MALI) considèrent qu'il faut une loi pour punir le harcèlement à caractère sexuel dans l'espace public. «Le harcèlement sexuel lié à l'abus de pouvoir est considéré comme une faute professionnelle grave par le Code du travail, et le Code pénal sanctionne l'abus d'autorité en vue de l'obtention de faveurs sexuelles. Mais il n'existe aucun article de loi qui condamne et punit clairement le harcèlement sexuel dans la rue». En plus de cet aspect juridique, le MALI recommande «des mesures éducatives et que des campagnes soient initiées afin d'élargir la compréhension de la notion de la violence faite aux femmes, qui ne se limite pas aux violences physiques mais comprend également toutes les formes d'agressions verbales et physiques».
Dans le cas du harcèlement sexuel au travail et malgré l'existence d'un texte qui le punit, l'omerta est loin d'être brisée. Le cas de Najlae et Souad avait constitué un précédent. Le réseau de lutte contre le harcèlement sexuel au Maroc qui s'est créé en soutien aux deux victimes, et qui est composé de six associations et deux syndicats, est en berne depuis 2006. «Notre action s'intéresse plus à harcèlement sexuel au travail », précise Abdesselam Adib, coordinateur de ce réseau. Ce collectif reçoit environ dix plaintes par an. Peu, très peu…
 
«Les jeunes confondent drague et harcèlement»
Nouzha Skalli, Ministre du développement Social, de la famille et de la Solidarité
Entretien réalisé par S. L.
L'Observateur du Maroc. A quel stade se trouve le projet de loi sur la violence conjugale qui criminalise le harcèlement sexuel ?
Nouzha Skalli.  Le ministère du Développement social, de la famille et de la solidarité a déposé un projet de loi contre la violence conjugale auprès du Secrétariat général du gouvernement (SGG), au début de l'année en cours. Un autre chantier de réforme législative est en cours. Il s'agit de la réforme du code pénal qui est initiée par le ministère de la Justice et qui est en cours d'élaboration. Ce projet de réforme abordera certainement la question du harcèlement sexuel dans les lieux publics.
Qu'est-ce qui bloque la sortie de la loi que vous avez proposée ?
Le projet de loi contre la violence conjugale n'est pas bloqué. Il a été transmis durant les premiers jours de 2010. Le SGG l'a étudié et l'a transmis au ministère de la Justice qui a son tour l'étudie avec un esprit positif.  Il est normal que cela prenne un certain temps. Mon collègue de la Justice et moi-même veillerons à ce qu'il soit placé dans le circuit législatif dans les meilleurs délais.
Prouver le harcèlement sexuel reste difficile. Quels dispositifs sont prévus pour accueillir les victimes et les orienter?
Aujourd'hui la protection des femmes contre la violence a fait des progrès remarquables. Il existe déjà un large réseau de cellules d'accueil, de soutien et d'orientation des femmes victimes de différentes formes de violence dont le harcèlement sexuel. Le ministère dispose d'un numéro économique (1 DH la communication quelle qu'en soit la durée). Il s'agit du numéro 345.  Les écoutantes peuvent orienter vers l'un des 350 centres d'accueil de la police nationale, de la gendarmerie royale, du ministère de la Justice, du ministère de la Santé  ou des ONGs partenaires du numéro économique. La dimension sensibilisation est également très importante et nous sommes cette année à la 9e campagne nationale de lutte contre la violence à l'égard des femmes. Ces campagnes durent 15 jours et
associent de nombreux partenaires institutionnels et associatifs
Est-il vrai que des brigades anti-harcèlement sont prévues dans vos projets? La loi pourrait-elle forcer l'évolution des mentalités?
Le projet de réforme du code pénal sera étudié par les différents secteurs gouvernementaux avant son adoption. Pour l'instant, ce projet est encore à l'étude par le ministère de la Justice. Par contre, une enquête nationale sur la violence à l'égard des femmes est en cours de finalisation par le Haut commissariat au plan dans le cadre du programme multisectoriel de lutte contre la violence à l'égard des femmes (Tamkine) dont le ministère est coordinateur.
Elle nous renseignera certainement sur les mentalités des Marocains et Marocaines en la matière.
Qu'en est-il de la lutte contre le harcèlement sexuel au travail?
Dans le code du travail adopté en 2003, le harcèlement sexuel sur les lieux de travail est déjà considéré à travers l'article 40 comme une faute grave commise par l'employeur, le chef de l'entreprise ou de l'établissement à l'égard du salarié.
En tant que femme, vous avez-dû être vous-même victime de harcèlement dans les espaces publics. Quel est votre ressentiment?
Le harcèlement sexuel contre les femmes est un véritable fléau. Il conduit parfois des fillettes à quitter l'école ou des femmes à abandonner leur emploi. C'est une atteinte à la liberté et aux droits des femmes et aussi un obstacle au développement. Le pire c'est que beaucoup de jeunes ne sont pas conscients de la gravité de cette véritable agression contre les filles et les femmes. Ils confondent «la drague» et le harcèlement sexuel qui exerce une véritable pression
ou même une menace sur la sécurité et la dignité des filles. Nous devons donc tous contribuer à éduquer les jeunes à un plus grand respect de la liberté des femmes aussi bien que des hommes dans l'espace public.
 
Témoignage
Nada, 26 ans, Casablanca
Premier boulot, premiers harcèlements
Du haut de ses 26 ans, Nada porte le poids du désespoir en elle depuis trois ans. Comme toutes les filles de son âge, cette jeune fille originaire d'El Jadida venait d'entamer joyeusement sa carrière professionnelle après de courtes études en secrétariat. Son diplôme en poche, Nada s'installe chez sa tante à Casablanca où elle décroche un poste de secrétaire de direction dans une société de textile. Tout allait bien dans le meilleur des mondes pour cette jeune fille qui se trouvait dans son élément au sein d'une petite équipe de travail. Dans l'ensemble, il y avait une ambiance bon enfant. Quatre mois après, Nada était plus épanouie que jamais, assurait pleinement ses heures de travail et était au service de son jeune directeur «si gentil». Pourtant, la jeune fille ne se rendait pas compte de ce qui se tramait dans l'ombre. Comme elle était contrainte de quitter les lieux après le départ de son supérieur, elle partait souvent à 21 heures, voire plus tard. Un soir, alors qu'elle travaillait tranquillement comme à son habitude, le jeune directeur fait appel à elle pour lui préparer un café «comme elle sait si bien le faire». Nada s'exécute. Lorsqu'elle lui pose la tasse sur son bureau, quelle fut grande sa surprise quand le jeune patron se pointe face à elle, torse nu et pantalon mi-ouvert… Il était 23 heures. Les lieux étaient noyés dans un silence de mort. Paralysée de peur, son corps tremblant montrait tout son effroi. Avant même de réagir, l'homme se jette sur elle, déchire sa chemise et remonte d'un geste brusque sa jupe portefeuille sur ses cuisses… Indifférent à ses pleurs et à ses supplications, le harceleur la viole sauvagement sur un canapé dont Nada prenait tellement soin… Une heure après, la jeune fille, se morfondant, se lève, nettoie son corps souillé, tente d'arranger se chemise déchirée sous le regard de son directeur qui ose un sourire au coin des lèvres. «Tu étais toujours vierge ? Ça c'est une blague !», s'amusait-il en boutonnant son pantalon. «Je t'en ai débarrassé. Tu devrais me remercier quand même non ? Comment tu as pu résister toutes ces années Lalla?». Nada faisait tout sauf réfléchir. Elle prend son courage à deux mains, quitte le bureau et erre dans les rues jusqu'au petit matin. Inquiète, sa tante avise le fiancé de la jeune fille violée.
Le lendemain, Nada rentre chez elle, fait ses bagages et décide d'aller se ressourcer chez ses parents à El Jadida. Pour échapper aux questions insistantes de sa tante et de son fiancé, morts de peur, elle met tout sur le dos d'un clochard qui l'a agressée, frappée et qu'elle accuse de lui avoir volé son sac à main à la sortie du bureau. L'histoire inventée était tirée par les cheveux, mais Nada n'avait qu'une seule envie : rentrer chez ses parents à El Jadida. Au fil des jours, son état se détériore davantage. Sombrant dans la dépression, ses parents lui font visiter les marabouts et les Saints les plus connus de la région «pour chasser le djinn qui l'habite», pense sa mère. Nada ne récupérait pas. Elle se noie dans le silence, perd sa jeunesse pétillante et passe ses jours à «Bouya Omar». Le célèbre marabout aux environs de Kalaât Sraghna. Toute la famille s'inquiète du sort de cette jeune fille qui, autrefois, égayait tout son entourage grâce à sa joie de vivre et à sa beauté. Ce n'est que sa tante de Casablanca qui décide de mettre fin à toute cette mascarade. Elle l'emmène chez un psychologue à Casablanca. Au fil des séances, Nada retrouve la parole, entame doucement sa thérapie et commence petit à petit à livrer son histoire. Soutenue par son fiancé, la jeune fille se porte de mieux en mieux malgré des séquelles marquées au fer rouge. Nada souffre toujours, n'a plus jamais travaillé, ne sort jamais seule et est toujours hantée par le visage de son harceleur.


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