Voilà plus de trois semaines que l'intervention française au Mali a commencé. C'est un laps de temps relativement court pour une guerre, mais à l'inverse suffisamment long pour les médias qui sont en perpétuelle quête de rebondissements. Or, de cette guerre, on ne sait pas grand-chose, et ce pour deux raisons. Les médias français sont poliment priés de rester en zone sécurisée, en d'autres termes de ne pas aller sur les lignes de front (mais existent elles d'ailleurs ?) ; ils en sont réduits à commenter des actions déjà passées et à se livrer à des hypothèses avec plus ou moins de succès, sans permettre de faire avancer la réflexion sur cette guerre. La seconde raison tient à la nature de ce conflit, exemple même de guerre asymétrique. De nombreux experts avaient souligné, avec plus ou moins de justesse, la puissance militaire des islamistes, aidés dans leurs manœuvres par les Touaregs, fins connaisseurs de la zone. On prédisait aux forces françaises de nombreuses pertes et des difficultés à aller de l'avant sur le terrain. Pourtant, l'analyse de cet acte I de la guerre au Mali témoigne exactement du contraire. A l'exception d'un soldat mort dès le premier jour des hostilités, aucun décès n'est à déplorer au sein de l'armée française. De plus, avec une facilité qui déconcerte même les officiers les plus pessimistes, les soldats français reprennent ville par ville (Gao, Tombouctou), et s'enfoncent désormais vers le Nord pour y déloger les islamistes. Cependant, cette avancée sans embûche s'explique précisément parce qu'il n'y a aucune résistance de la part des islamistes qui fuient les villes qu'ils contrôlaient il y a encore quelques semaines. Conscients que des combats à découvert, face à face, leur seraient fatals, ils privilégient et se préparent à une guérilla, à une guerre de harcèlement. Par conséquent, leur recul ne signifie pas une défaite, mais bien un repositionnement stratégique. Ils sont néanmoins un peu affaiblis par les arrestations de certains de leurs responsables, avec par exemple la prise de Mohammed Moussa, considéré comme le numéro 3 d'Ansar Eddine et présenté comme le coordinateur de « la police islamique » à Tombouctou. Il serait donc assez délicat de croire en une guerre éclair couronnée de succès pour la France. Rappelons déjà que l'intervention française répond à une « légalité internationale », terme flou et sans valeur, pour la bonne et simple raison que la France n'a pas respecté ce que demandait l'ONU. Certes, il y avait urgence, mais c'était il y a plusieurs mois, voire années qu'il fallait agir pour éviter que le pays ne sombre dans le chaos actuel. L'intérêt pour le pays de la part des Occidentaux est inversement proportionnel à l'intensité du drame qui se joue au Mali. Hormis un soutien logistique pour le moins faible, les Etats européens, mais aussi les Etats-Unis se contentent de suivre les opérations françaises à distance. Or, le Président Hollande a affirmé dès le premier jour de l'engagement français qu'il ne s'agissait pas de néocolonialisme, qu'il se refusait à ce que le Mali devienne « l'Afghanistan africain » avec un bourbier à la clé pour les soldats français. Son discours est clair : laisser le plus rapidement possible la main aux forces maliennes et aux pays africains qui vont envoyer des soldats au Mali. Mais la réalité est plus complexe : outre le fait que seule l'armée tchadienne est vraiment apte à combattre les islamistes, personne ne sait quand cette nouvelle force sera opérationnelle. La France ne peut par conséquent pas dire quand elle partira ; elle doit attendre et c'est ce temps supplémentaire qui la rend vulnérable, aussi bien pour les soldats que pour le gouvernement français qui va devoir justifier à une opinion publique souvent impatiente pourquoi elle est contrainte de rester. En effet, accueillie par des foules en liesse, la France, en quittant précipitamment le pays, laisserait la population sans défense et brouillerait par ailleurs son message diplomatique. Elle est condamnée au succès au Mali et cela demandera du temps et de l'engagement. La mission ne consiste pas seulement à éviter l'effondrement d'un pays, elle vise à préserver la sécurité régionale. Les terroristes, narcotrafiquants, islamistes, peu importe comment il faut les appeler, vont attendre le moment opportun pour attaquer à leur tour. Deux perspectives s'offrent à eux : agir lors du départ des troupes françaises, au moment où elles seront le plus vulnérables, provoquant ainsi des débats en France pour savoir s'il fallait quitter aussitôt ou pas. Ou alors, s'en prendre aux forces africaines peu de temps après le retour des forces françaises sur le territoire national. Ils sauront médiatiser leurs attaques meurtrières ce qui affaiblira évidemment le Mali qui cherche pourtant à créer un processus de cohésion nationale, mais surtout la France qui sera mise en contradiction avec son bilan qu'elle aura sans doute présenté comme : « la mission est finie »... En vérité, cette guerre ne fait que commencer.