À moins de trois moisde l'élection présidentielle américaine, Rédouane Abouddahab, spécialiste des Etats-Unis nous fait le point sur la campagne électorale. « Le président sortant part toujours d'une position plus favorable, parce qu'il n'a pas à s'épuiser physiquement et financièrement dans les primaires ». Quelle analyse faites-vous de la campagne présidentielle américaine à moins de cent jours de l'échéance ? C'est une campagne manifestement beaucoup plus pauvre et moins passionnante que celle de 2008 où les enjeux mais aussi les écarts entre les deux camps semblaient nets. Cela dit, il est clair que la machinerie électorale avec ses shows hollywoodiens et ses budgets impressionnants, excitera les esprits. Il convient aussi de noter que le candidat actuel du parti républicain n'a pas le niveau de l'ancien. Mitt Romney n'a pas de vraie stature tandis que John McCain était un héros national. Sa faiblesse est traduite par sa nervosité, ses excès, ses bourdes lors de sa récente tournée internationale (Angleterre, Pologne, Israël), laquelle devait pourtant redorer son blason déjà terni par de nombreuses rumeurs sur des irrégularités financières, notamment vis-à-vis du fisc. L'équipe Obama fait une bonne campagne par rapport à Romney. Le président sortant part toujours d'une position plus favorable, parce qu'il n'a pas à s'épuiser physiquement et financièrement dans les primaires, ce qui lui donne amplement le temps de mieux se préparer directement aux élections. « Mitt Romney n'a pas de vraie stature tandis que John McCain était un héros national ». Quels sont les atouts de Barack Obama dans cette course électorale ? En effet, le camp républicain est divisé comme en témoignent les règlements de compte récents entre Dick Cheney et John McCain, lequel s'est fait reprocher, quatre ans après, d'avoir mal choisi sa colistière (Sarah Palin) lors de la précédente élection. La virulence de la réponse de McCain permet de mesurer l'étendue des tensions qui existent en ce moment au sein du camp républicain. Une des causes de celles-ci est l'opposition grandissante au sein du « Grand Old Party » entre les conservateurs et les modérés. Les premiers souhaitent évincer les seconds lors des élections législatives partielles, en encourageant des candidatures fratricides dans certains états du Midwest et du Sud, favorisant ainsi lors des prochaines primaires des candidats au profil conservateur plus tranché. Ces divisions ne peuvent que profiter à Obama. Le virage droitier des républicains donnera aux démocrates un profil « liberal » (au sens américain : « progressiste ») d'autant plus net que Barack Obama a soutenu le mouvement « Occupy Wall Street », a réussi à faire adopter son projet de réforme du système de protection sociale. Même si elle a été sensiblement modifiée, la loi « Obamacare » tombe à point nommé en une période qui a vu augmenter le nombre des démunis. Rappelons que plus de 40 millions d'Américains étaient sans protection sociale. La cote de popularité (très favorable) de Michelle Obama peut-elle jouer un rôle décisif dans la réélection du candidat démocrate ? Peut-être pas un rôle décisif, mais important. Sa grande popularité notamment due à la force de son caractère, à sa sympathie et son engagement contre l'obésité infantile, sera certainement un atout supplémentaire pour Barack Obama, lors de ces élections américaines où la vie privée et la vie publique jouent ensemble. Le couple présidentiel doit paraître à l'image de la nation, c'est-à-dire uni, optimiste, proche des gens. Michèle Obama a réussi dans le domaine. Son dernier livre, American Grown, un véritable manuel du bien-vivre où elle prône l'hygiène sanitaire, la rapproche davantage des Américains. Plus encore, il donne au couple présidentiel une image harmonieuse, puisque le sujet du livre est finement articulé avec la « Obamacare ». Quels sont concrètement les sujets sur lesquels les électeurs vont juger Barack Obama lors de cette prochaine élection ? Le président américain ne sera pas élu comme en 2008 grâce à la force de ses convictions éthiques, manifestement opposées à celles des Républicains embarrassés par le legs de Bush (mais obligés de l'assumer). Sa réélection quasi certaine se jouera sur un ensemble de critères à la fois pragmatiques et émotifs. Tout d'abord l'économie. Malgré les grandes difficultés économiques et des conditions climatiques catastrophiques, il y a eu 163 000 créations d'emplois depuis le mois de février 2012. Du coup, le flanc de Barack Obama paraît bien moins fragile que ne le prévoyait Mitt Romney, lequel entendait concentrer l'essentiel de ses attaques dans le domaine économique. Cela dit, je ne pense pas que la majorité des Américains s'attendent à une amélioration immédiate de la situation économique du pays (ils savent que ni Obama ni Romney n'ont de baguette magique), mais ils veulent être rassurés et avoir des raisons suffisantes pour espérer. En ce sens, l'interventionnisme étatique dont Barack Obama a été le chantre et l'acteur rassure une partie non négligeable de la société. En outre, le candidat démocrate a marqué de bons points dans le domaine social: la réforme historique de la sécurité sociale est une grande réussite. Elle permettra à Barack Obama et aux démocrates de faire valoir leur intérêt pour le bien-être social des Américains. Obama marque également des points dans le domaine des libertés individuelles, en exprimant une opinion (non contraignante) favorable au mariage entre les gays. Cela peut paraître paradoxal dans un pays connu pour ses forts penchants religieux, mais Obama a bien compris que l'opinion américaine pourrait évoluer sur ce sujet. Dans ce pays où la culture des pionniers a de beaux restes, la « liquidation » de Ben Laden paraît comme un acte héroïque dont les bénéfices rejaillissent sur le président américain. Il peut maintenant se présenter comme le protecteur de la nation, alors que pendant la campagne de 2008 on remettait en cause ses compétences dans le domaine. On reproche à Mitt Romney d'être un candidat trop riche. Sa fortune est-elle un atout ou un handicap ? Il faut dire qu'il arrive au mauvais moment. Mitt Romney est le symbole de ce capitalisme arrogant qui n'a pas une très bonne presse ces jours-ci, eu égard à la crise financière. En témoignent les nombreuses manifestations du mouvement « Occupy Wall Street » qui s'est attaqué au symbole du capitalisme américain lui-même. Une telle remise en cause aurait semblé inimaginable il y a quelques années. Par ailleurs, les années 1930 mis à part, jamais l'interventionnisme de l'Etat fédéral n'a été si bien vu. La réussite de la nationalisation partielle de General Motors (à hauteur de 60%) en est la preuve éclatante. Le géant de l'automobile était aux abois en 2009. A peine un an après sa nationalisation (et la réduction à hauteur de 1% de la part dévolue aux actionnaires), l'entreprise a fait un retour réussi en bourse. Elle a même investi en France en devenant un actionnaire important au sein du groupe PSA-Peugeot-Citroën, où elle est entrée à hauteur de 7% du capital du groupe français. Ceci montre clairement donc qu'en cette période de crise et d'incertitudes, le peuple a plus confiance en l'Etat fédéral qu'en un milliardaire, qu'on soupçonne en outre de vouloir s'enrichir davantage et enrichir sa caste. * Tweet * *