Le champ de la production littéraire marocaine s'enrichit avec l'émergence de nouveaux talents. Souad Mekkaoui vient de publier son ouvrage Plus forte que la souffrance. Zoom sur le destin d'une femme… La fresque que Souad Mekkaoui a choisie de nous décrire est celle de toutes les femmes du Maroc. La littérature marocaine d'expression française a de beaux jours et des meilleurs devant elle. Au-delà de titres et de la renommée de certains auteurs ayant forcé l'admiration du public et ayant pignon sur rue, il faut saluer le champ de la production littéraire et les talents nouveaux qui émergent. Le livre que vient de publier Souad Mekkaoui, « Plus forte que la souffrance» (*), en fait partie. Voilà un destin, celui d'une femme, voilà une destinée surtout surgie d'un décor panoptique : une époque significative de l'histoire du Maroc. On la situerait volontiers dans l'après libération du Maroc, peut-être les années soixante, marquées du sceau d'une renaissance encore titubante. Ensuite un pays, le Moyen Atlas avec ses traditions berbères, ses grandeurs et ses décadences, ses symboles, enfin une espèce d'entre-deux !…On glisse d'une époque à l'autre. L'identité marocaine en filigrane La destinée d'une femme, simple, douée d'une force morale, emportée dans une époque mouvementée, mélange d'émancipation d'un Maroc sorti des limbes coloniales et de bourgeonnement de consciences. Affirmation identitaire surtout. Mais un pays attaché à une insondable tradition. L'héroïne, une femme arrachée jeune à sa famille, mariée à une sorte de « seigneur », Haj Ali, grand commerçant de son état , qui est au patriarcat ce que le symbole est à la tradition, irréductible, elle est l'élue des autres...Perpétue-t-elle une scène commune qui se renouvelle dans l'espace et dans le temps ? Fatema, dite Mamma, puisque c'est d'elle qu'il s'agit porte bien son nom...Héritière d'une tradition , elle assume le rôle de l'élue aux côtés des trois autres femmes. Mais la trajectoire de sa vie est une sorte de courbe ascendante et descendante qui est devenue, en fin de compte, le destin d'une époque, le miroir où se croisent à la fois l'éternité, c'est-à-dire une temporalité fugace, les femmes , leurs joies et leurs souffrances. D'épouse élue ayant comblé son mari, « maître des destinées », elle est passée au statut de femme de lutte. Confrontée aux réalités d'un destin modulé alors par les combats de dignité et de responsabilité. Ce schéma, que l'on dirait volontiers classique, et qui n'en est pas ainsi, Souad Mekkaoui l'a transposé dans la réalité littéraire, avec un talent et une inspiration insoupçonnables. Le livre est un flux de la langue française tel que l'on en fait rarement, une certaine précision, une rigueur du verbe, l'exactitude du vocabulaire et de la forme participent à coup sûr chez elle d'une volonté didactique. Professeur de langue française, membre fondateur d'un Club de littérature française à la Faculté de Meknès, l'auteure nourrit une rédhibitoire passion pour la langue française. Et c'est par la langue qu'elle nous conduit dans cette cosmogonie humaine que sont les immenses hauteurs du Moyen Atlas, arrière-pays qui va de Moulay Bouazza à Midelt, Itzer, Marmoucha, aux confins du sud-est marocain où se sont croisées des siècles durant tribus illustres – Beni Mguild, Aît Atta, Beni Mtir, Aït Chaghrouchen, Aït Morghad ...- ,des transhumances et une lignée de héros que de grandes études ethnographiques , notamment de Jacques Berque, sont venues éclairer. Vaste région qui « rompt la pâquis des bêtes et le ciel des humains », disait ce dernier... Une leçon de vie Il reste que le livre de Souad Mekkaoui, s'il trempe dans la subtile et détaillée relation d'une époque, n'en chevauche pas moins sur l'époque transitoire, elle nous plonge dans ce récit du sort de son héroïne qui, traversant le temps sans le voir, bascule dans une sorte de relégation à son corps défendant, qu'elle a toutefois, envers et contre tout, relevé. Désenchantée ? Peut-être, mais digne, cette femme nous donne la leçon de vie, par son courage et sa résistance. Elle va au-delà de sa peine, de ses souffrances et de sa « chute » ! Parce que propulsée ensuite dans la ville et l'espace urbain, elle continuera à porter le fardeau de la douleur de toutes les autres femmes d'un certain Maroc qui a mis la femme au ban de l'histoire. « Mamma » est le reflet fidèle de toutes les autres... La fresque que Souad Mekkaoui a choisi de nous décrire est donc celle de toutes les femmes du Maroc. On change d'époque, on change également de lieu et de champ, mais on ne change pas de thème et , on ne se départit jamais de cette douleur transcendante imprimée au destin des femmes marocaines, notamment dans les fins fonds du Maroc. En somme, c'est un plaidoyer « pro domo » pour les futures luttes de la femme que l'auteur nous offre, certes. Mais avec une force qui nous interpelle, une force de la pensée qui nous en dit long de ce que sera l'avenir de la femme en ces temps de graves questionnements. C'est aussi , à l'inverse, et le livre se ferme sur cette note d'espoir, l'hymne triomphal de la liberté... Publié aux Editions La Croisée des chemins – Casablanca. * Tweet * * *