Le projet de loi sur les garanties accordées aux militaires n'a finalement pas abouti comme le voulait le gouvernement. Une saisine de l'Usfp, puis un CNDH appelé à la rescousse devraient suffisament convaincre l'équipe Benkirane à revoir sa copie. Le roi Mohammed VI, salué par des militaires, le 14 mai 2006 à Rabat, à l'occasion du 50e anniversaire de la création des FAR. À ses côtés, le prince Moulay Rachid. En temps de crise grave, le projet de loi 01.12 sur les garanties accordées aux militaires aurait été voté, manu militari, dans le cadre d'une procédure d'exception. Sauf que dans la réalité d'aujourd'hui, le gouvernement Benkirane a évité de justesse d'entacher son parcours, encore à ses premières bornes, par un texte parmi les plus discriminatoires qu'aurait connu la législation du pays. Dans son paragraphe 7, ce projet stipule que «ne sont pas pénalement responsables les militaires des Forces armées royales qui, en exécution des ordres reçus de leur hiérarchie, dans le cadre d'une opération militaire se déroulant sur le territoire national, accomplissent normalement leur mission». Un peu plus loin, le même paragraphe rajoute que «ne sont pas également responsable les militaires qui, dans le respect du droit humanitaire international et dans le cadre d'une opération militaire se déroulant à l'extérieur du territoire national, accomplissent normalement la mission pour laquelle ils ont reçu mandat». Saisine du CNDH 29 juillet 2005. Driss Benzekri, président de l'IER, présente ses vœux au roi Mohammed VI à l'occasion de la fête du Trône, au palais de Tanger. Le 30 novembre, feu Benzekri présentait au souverain le rapport de l'IER. Hérité de l'ancien gouvernement, puis traversant « en douce », début févier, les couloirs de la chefferie du gouvernement pour une hâtive adoption, le texte à controverse est finalement arrivé entre les mains des députés de la commission des Affaires étrangères et de la Défense nationale à la première Chambre. Mardi, ces derniers allaient marquer un deuxième temps d'arrêt sur l'article 7 dudit projet, après une saisine du Conseil national des droits de l'Homme (CNDH) par le groupe socialiste à la Chambre des députés. Face aux parlementaires, Abdellatif Loudiyi, ministre délégué chargé de l'Administration de la défense, part dans une diatribe étymologique entre «protection» et « immunité». À la presse, le ministre a déclaré, mardi dernier, que l'Etat est « pénalement obligé de protéger les militaires en mission», comme le stipule d'ailleurs le Code pénal marocain. Sauf que les parlementaires, pour la plupart de l'opposition, sachant qu'ils concentrent le pouvoir législatif, ne l'entendent pas de cette oreille. Le CNDH est bel et bien saisi et sa réponse ne se fait pas tarder. Après un premier atelier, samedi dernier, animé par des experts sur la question, le Conseil des droits de l'Homme récidive. Cette-fois, le CNDH provoque, le jeudi 31 mai, une réunion entre ses propres membres, des parlementaires et des représentants du gouvernement. Dans son intervention, Mohamed Sebbar, le secrétaire général du Conseil national des droits de l'Homme, a précisé que toute modification dans le projet de loi doit se baser sur «un référentiel législatif national, en l'occurrence la Constitution qui explicite que les responsables doivent répondre de leurs actes et que la gouvernance sécuritaire a été institutionnalisée par la création d'un Conseil supérieur de la sécurité» . Sebbar a également expliqué que » lorsque l'intervention des forces armées, à l'intérieur du territoire national, s'impose, le Parlement doit faire correspondre de manière quasi explicite cette mission à la loi : dans quelles conditions et pourquoi l'armée interviendra-t-elle ? La nature et les délais de cette intervention ? Les unités qui effectueront l'intervention et les institutions qui conféreront l'ordre d'intervention à l'armée « . Le secrétaire général du CNDH a, en outre, insisté sur la nécessité pour le Parlement de définir des mécanismes législatifs pour verrouiller le processus aboutissant à l'usage des armes à feu et aux arrestations qui pourraient être effectuées par les militaires, lors d'une mission sur le territoire national. L'insinuation est flagrante : le passé du pays est entaché d'évènements douloureux (1965, 1981, 1984, 1990) où l'armée, en intervenant, avait laissé derrière elle des séquelles graves. Les ONG moins conciliantes Un collectif d'ONG nationales, de manière sporadique et d'un même élan, n'a pas manqué de réagir ( avec moins de «sagesse» que le CNDH ou l'institution législative ! ) dès l'arrivée du projet de loi au Secrétariat général du gouvernement. Dans son communiqué du 25 mai, l'Association marocaine des droits humains (AMDH) considère que «ce projet constitue un danger quant à ses dispositions explicites visant à légitimer l'impunité, l'atteinte aux libertés et la menace de la sécurité et de la vie des citoyens et qu'il ne respecte pas ni les normes internationales des droits humains et même de la Constitution et les recommandations de l'Instance Equité et Réconciliation ni les revendications des organisations des droits humains nationales et internationales». Pour le Forum marocain pour la vérité et la justice que préside Mustapha Manouzi, le projet devait passer par la Commission de la justice et la législation au Parlement et non par la Commission des Affaires étrangères et de la Défense nationale. Le Forum insiste également sur le fait que même dans le cas de l'état d'exception, les droits constitutionnels restent garantis. Driss Sedraoui, président de la Ligue marocaine pour la citoyenneté et les droits de l'Homme (LMCDH) ne mâche pas ses mots : « Ce texte n'a de valeur que pour lui-même. Il est aux antipodes de la Constitution puisqu'il place les militaires au-dessus de la loi et des textes et conventions universels ». Finalement, si le gouvernement a feint de l'oublier, les parlementaires, comme les droits-de-l'hommistes étaient là pour le lui rappeler : l'article 6 de la Constitution stipule que « la loi est l'expression suprême de la volonté de la Nation. Tous, personnes physiques ou morales, y compris les pouvoirs publics, sont égaux devant elles et tenus de s'y soumettre ». Responsabilité pénale devant la CPI Le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI), conclu à Rome le 17 juillet 1998 et entré en vigueur pour la Suisse le 1er juillet 2002, définit à l'international la responsabilité des chefs militaires et autres supérieurs hiérarchiques. Selon la CPI, un chef militaire ou une personne faisant effectivement fonction de chef militaire est pénalement responsable des crimes relevant de la compétence de la Cour commis par des forces placées sous son commandement et son contrôle effectifs, ou sous son autorité et son contrôle effectifs, selon le cas, lorsqu'il ou elle n'a pas exercé le contrôle qui convenait sur ces forces dans les cas où ce chef militaire ou cette personne savait, ou, en raison des circonstances, aurait dû savoir, que ces forces commettaient ou allaient commettre ces crimes et ce chef militaire ou cette personne n'a pas pris toutes les mesures nécessaires et raisonnables qui étaient en son pouvoir pour en empêcher ou en réprimer l'exécution ou pour en référer aux autorités compétentes aux fins d'enquête et de poursuites. * Tweet * * *