Il y a dans le houleux débat sur l'immunité des militaires, comme un air de déjà vu ! Dans le flot des commentaires qui se succèdent à ce propos, les uns approbateurs, les autres violemment critiques, l'interrogation essentielle sera de savoir non pas sa légitimité, mais pourquoi aujourd'hui ? Les parlementaires ont demandé au Conseil national des droits de l'Homme de donner son avis sur la question de l'immunité des militaires. L'administration de la Défense, qui a statut de ministère – et donc partie prenante du gouvernement – propose aux parlementaires ainsi de statuer sur la protection et les avantages des militaires, et avec une volonté appuyée sur l'immunité des militaires… Ce qui aurait pu paraître à la limite anodin, s'inspirant même de l'autre immunité, parlementaire s'entend et familière à nos discours politiques, devient apparemment une affaire d'Etat. Et pour cause ! Il s'agit de l'institution militaire, considérée au Maroc comme sacrée, ne relevant jusqu'ici que du pouvoir royal, à l'abri aussi des interventions. Immunité ou protection juridique ? En quoi les militaires pourraient-ils échapper à la loi du code pénal ? Les promoteurs du texte, dont notamment Abdellatif Loudyi, ministre chargé de l'Administration de la défense, évoque qu'il ne s'agit nullement d'une « immunité », mais de « protection juridique ». Il n'a pas manqué de rappeler qu'à toutes fins, tous les arguments de la loi pour défendre la famille militaire sont d'ores et déjà renforcés dans le code pénal, arguant que le nouveau texte vise une sorte de formalisation constitutionnelle… Les membres des Forces armées royales se déploient à l'intérieur comme à l'extérieur du territoire, leur rôle et leurs activités les conduisent parfois, le plus souvent, à assumer des missions susceptibles de les exposer ou des les rendre impopulaires. De surcroît, ils agissent sur instructions de leurs supérieurs, au nom de l'intérêt de l'Etat et de la Nation. Partout dans le monde, ajoutent certains ardents défenseurs du projet de loi, l'armée bénéficie d'une « protection juridique », partout elle relève du principe quasi tabou « d'intouchabilité » et ses activités placées sous le sceau du sacré et du « secret défense » ! Il reste que les agissements violents et sauvages de certains militaires américains, par exemple, en mission en Irak – notamment dans la sinistre prison Abou Ghraïb – n'ont pas manqué de les conduire devant la cour militaire, ensuite de susciter l'ire des gouvernements et des peuples. Mais combien de répressions unilatérales et arbitraires sont-elles restées impunies et devenues récurrentes sous nos yeux ? Farouche opposition Les partis de l'opposition, actifs au sein de la Commission des affaires étrangères, de la défense et des MRE de la Chambre des représentants, ne dérogent pas à leur argumentaire : les militaires qui sévissent, à l'intérieur ou à l'extérieur du territoire, ne peuvent être exempts ou exonérés du jugement de la loi pour les vexations commises contre la population. Ils expriment une crainte plus ou moins justifiée : la clause de l'article 7 du projet de Loi soumis à débat, élargit les « privilèges » de l'impunité militaire aux membres de leurs familles et, par conséquent, crée un droit supplémentaire dans le droit, au point que certains y voient comme volonté d'opposer la population à ses forces armées ! La « protection juridique » dont parle avec véhémence le ministre de l'Administration de la défense vise essentiellement, et de toute évidence, cette même population et non l'Etat ni une autre instance. Au motif que cette population pourrait ultérieurement – disons les choses prosaïquement – se rappeler au bon souvenir et vouloir se venger contre ses oppresseurs ! Le CNDH entre en ligne Se prémunir donc, voilà la portée de cette disposition, les groupes parlementaires exigeant du président de la Commission du Parlement de saisir le président du CNDH (Conseil national des droits de l'Homme) pour donner son avis sur cet aspect du projet et, le cas échéant, se conformer au droit international. Ne sont pas pénalement responsables les militaires des Forces armées royales, en exécution des ordres reçus de leur hiérarchie dans le cadre d'une opération militaire se déroulant sur le territoire national. A cet égard, et conformément aux dispositions législatives en vigueur, les militaires bénéficient de la protection de l'Etat contre les menaces, poursuites, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils peuvent être l'objet à l'occasion, pendant et après l'exécution de leurs fonctions. Les conjoints, enfants et ascendants directs de militaires bénéficient de la même protection de l'Etat, lorsque, du fait des fonctions de ces derniers, ils sont victimes de menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages… En outre, pas de poursuites pénales des militaires, qui remplissent leurs missions dans le respect des règles du droit international humain, dans le cadre d'une opération militaire à l'étranger. Cet article suscite un consensus : crainte et réserves sur la responsabilité pénale. En attendant cet avis, les députés ont décidé de poursuivre l'examen du projet, article par article, jusqu'à l'article 7. * Tweet * * *