Le secrétaire général de l'Institut panafricain pour le développement (IPD), Emmanuel Kamdem, a inauguré jeudi dernier l'IPD Afrique du Nord, à Salé. Une inauguration qui intervient en 2012, déclarée Année internationale des coopératives, entités visées par les programmes de formation de l'IPD. Le Soir échos est allé à la rencontre de ce Camerounais, expert de la question des coopératives au niveau de l'Organisation internationale du travail (OIT). Emmanuel Kamdem : « Il fallait permettre aux Etats africains de mener des études de terrain, de faisabilité concrète, en vivant avec la population et en identifiant ses besoins ». Quel est l'objectif de votre visite au Maroc ? Je suis venu ici pour le lancement de l'Institut panafricain de développement d'Afrique du Nord (IPN AN), qui entre en fonction depuis le jeudi 3 mai à Salé. Il va couvrir l'ensemble des pays de l'Afrique de Nord, depuis la Mauritanie et jusqu'en Egypte. Pour quelles raisons ont été créés les IPD ? L'IPD est un institut qui a pour mission de former les cadres africains en matière de développement. Dans les années 1960, au moment des indépendances, il y avait une pénurie de cadres moyens. Certains cadres supérieurs étaient formés en Europe, mais au niveau des cadres d'exécution, qui étaient tout juste arrivés au lycée, il y avait un vide. L'IPD a donc comblé ce vide, en formant les cadres moyens qui devaient servir d'intermédiaires entre les agents d'exécution et les cadres supérieurs. En même temps, il fallait permettre aux Etats africains de mener des études de terrain, de faisabilité concrète, en vivant avec la population et en identifiant ses besoins. Former des personnes capables de combler ces besoins était le but. Pourquoi a-t-il fallu attendre mai 2012 pour assister à l'ouverture de l'IPD Afrique du Nord ? Il fallait bien commencer quelque part, donc on a débuté à Douala (Cameroun) en 1964, puis nous avons remarqué la nécessité d'éclater en deux un institut anglophone et un second francophone. Après nous nous sommes rendu compte que c'était saturé à Douala pour les pays francophones, donc nous avons ouvert un troisième institut à Ouagadougou (Burkina Faso). Un second institut anglophone a par la suite été ouvert en Zambie. On s'est rendu compte, en côtoyant nos amis d'Afrique du Nord du Sahara, que les besoins étaient également présents là bas. Donc c'est maintenant que l'on se rattrape. Les besoins des populations diffèrent-ils d'une région à l'autre de l'Afrique ? Disons que les besoins fondamentaux sont les mêmes. Mais certains sont plus accentués dans une région plutôt que dans une autre. Dans le cas des institutions qui font de l'économie sociale et solidaire en Afrique sahélienne par exemple, nous avons lutté pour la souveraineté alimentaire. En Afrique centrale, ils sont beaucoup plus spécialisés dans les micro-finances. Tandis qu'en Afrique australe et de l'Est, on a beaucoup renforcé les capacités des fonctionnaires pour leur permettre d'avoir un bon plan de développement. Comment arriver à développer l'économie sociale et solidaire dans un monde globalisé ? Ne serait-ce pas peine perdue ? Ce n'est pas une cause perdue. Prenez la Chine aujourd'hui, qui est incontestablement une puissance économique mondiale. Dans ce pays, vous trouvez d'un côté les grandes multinationales, et de l'autre l'économie informelle. Et lorsque vous trouvez l'économie informelle, vous ne pouvez pas éviter l'économie sociale et solidaire. Aux Etats-Unis aujourd'hui, il existe plus de 500 000 entreprises d'électricité qui sont pourvues par les coopératives. La cohabitation est donc possible ? La cohabitation existe bel est bien ! Je pense très fortement que le XXIe siècle ne peut avoir comme choix que le capitalisme ou le socialisme. Les deux systèmes économiques ont montré leurs limites, pendant que l'économie sociale, même pendant la dernière crise, a mieux résisté. Au lieu de résoudre les problèmes des grandes banques, ou même de les liquider, les Etats sont allés dans les trésors publics pour sauver ces entreprises. Aujourd'hui, autant le secteur de l'économie capitaliste l'emporte sur les autres, autant l'évolution actuelle va vers sa déperdition, et vers une augmentation de l'économie sociale et de l'économie familiale. Qu'adviendra-t-il donc de l'Afrique sur ce volet là ? En Afrique, du fait de la déception et du non-accès par des gens aux exigences de l'économie capitaliste, de leur marginalisation, ces gens-là se cherchent. Ils verront que la meilleure façon de se développer, c'est de se mettre ensemble. Si un paysan achète seul une camionnette, non seulement il n'aura pas assez d'argent, mais il ne pourra pas à lui seul exploiter la capacité de cette camionnette. Or, s'il se regroupe avec d'autres, ils auront la possibilité de l'acheter et de l'utiliser ensemble. L'économie familiale et domestique est en train de prendre de l'envergure. Nous finirons également par comptabiliser ce qu'une femme prépare chez elle. Nous verrons que cette nourriture contribue bien à la richesse nationale. Pourquoi, si je prends un gâteau dans un café, il sera comptabilisé, mais que si vous m'invitez chez vous pour manger un gâteau, ce n'est pas comptabilisé ? Pourtant, que ce soit ici ou ailleurs, c'est un bien qui a permis de satisfaire un besoin.