Il n'y a pas de doute, pour le collectif marocain des organisations des droits de l'Homme, la crise de Taza n'a pas été désamorcée, mais étouffée. Après avoir mené une enquête du 6 au 8 mars, ce collectif a dressé un rapport, constitué sur la base des témoignages recueillis auprès des habitants, de responsables et de militants associatifs. Relatés dans une vidéo, projetée à l'occasion de la présentation de ce rapport, hier au siège de l'Association marocaine des droits de l'Homme (AMDH), les témoignages décrivent des dérives à tous les niveaux à commencer par « la mauvaise gestion de la chose publique ». C'est, aux yeux du collectif, l'origine même du soulèvement qui a fait tristement la célébrité de Taza entre janvier et février derniers et qui s'est terminé par la détention d'une vingtaine de personnes accusées d'avoir menacé la stabilité de la ville et de destruction de biens publics. Approche sécuritaire Dans son rapport, le collectif des ONG évoque des violations des droits de l'Homme y dénonçant « des enlèvements, des arrestations abusives et des tortures ». « Il est inacceptable que les autorités publiques interviennent n'importe comment et utilisent la répression et la force pour mettre un terme à des émeutes », déclare la présidente de l'AMDH, Khadija Ryadi. Et de préciser que l'approche sécuritaire ne peut en aucun cas désamorcer une crise sociale quelles que soient ses conséquences. « A aucun moment, la responsabilité des autorités publiques n'a été évoquée par le ministère et aucune annonce n'a été faite sur une éventuelle enquête sur les bavures policières », ajoute-t-elle. Le comité affirme que les droits des détenus dans les événements de Hay El Koucha ont été bafoués et que ces derniers n'ont pas bénéficié de procès équitables. Sur ce point, l'enquête indique qu'un des détenus a été privé de son droit de disposer d'un avocat au cours de son procès en première instance. Des procès « iniques » De la détention jusqu'au procès, aucun point positif ne ressort du rapport. Dans ce dernier, le collectif indique que même les familles des détenus n'ont pas été avisées de l'arrestation de leurs proches. Quant aux détenus, ils n'ont pas bénéficié de la présomption d'innocence et l'instruction de leurs dossiers, selon le comité, manque de preuves éloquentes attestant la culpabilité. Pour le comité, il est certain que toute la procédure judiciaire n'a pas suivi son cours normal et que les détenus ont, en fait, payé pour avoir réclamé leur droit au travail et à une vie digne. Il réclame ainsi leur libération. « Les événements de Taza sont, en fait, l'aboutissement de l'absence de tout dialogue avec les mouvements de protestation », déduit l'enquête appelant à l'urgence de faire le procès « des dérives policières » afin de redonner confiance aux habitants de Taza et de restituer sa stabilité sociale. « L'Etat est l'unique responsable, le porte-parole du gouvernement a lui-même affirmé que 10 milliards de dirhams alloués aux projets de développement de Taza ont été dilapidés. Il faut juger les responsables au lieu de maintenir la pression sur les habitants », estime Khadija Ryadi précisant qu'il ne s'agit en aucun cas de défendre l'utilisation de la violence mais de respecter les lois et de les faire respecter par tous. Que faire ? Dans toute enquête, il y a des recommandations. Celles du comité se focalisent sur la reddition des comptes et la nécessité de mettre fin à l'approche sécuritaire dans la gestion de problèmes sociaux. « Le Maroc doit absolument respecter ses engagements vis-à-vis des conventions internationales, dont celle de la lutte contre la torture », revendique le comité appelant à l'ouverture des prisons aux ONG sans aucune condition afin d'y effectuer des visites. Le comité sollicite également la remise à niveau de la ville de Taza en prévention à d'autres événements dramatiques et la constitution d'une commission parlementaire pour enquêter sur la responsabilité de l'Etat et du gouvernement dans la gestion de la chose locale et provinciale. Après Taza, c'est à Beni Bouâyach que compte se déplacer la coalition afin de mener une nouvelle enquête. La ville toujours assiégée Le président de la section de l'Instance nationale de protection des biens publics, Mohamed Belachgar, n'a pas hésité à témoigner d'un calvaire, celui des militants persécutés, d'après lui, par les autorités de jour comme de nuit. « Nous vivons dans une ville assiégée par plus de 2 000 agents d'autorité. Nous ne sommes plus libres de nos faits et gestes au point où nous nous demandons s'il ne serait pas mieux pour nous, de réclamer l'asile politique à un autre pays », s'indigne-t-il, lors de la conférence tenue hier à l'AMDH pour la présentation des résultats de l'enquête menée par la coalition marocaine des ONG des droits de l'Homme. Selon ce responsable, dix plaintes ont été déposées par l'Instance contre la dilapidation des biens publics mais aucune suite ne leur a été réservée.