L'image est célèbre, deux mains d'une même personne sont nouées et miment un affrontement. Sur les doigts d'une main est tatoué le mot «love» et sur l'autre le mot «hate». L'affrontement entre l'amour et la haine, le bien et le mal, incessant combat et objet de l'unique film réalisé en 1955 par le très grand acteur américain d'origine britannique Charles Laughton, le cultissime «La nuit du chasseur». Le film fut un échec commercial et critique retentissant à sa sortie et empêcha son auteur d'en refaire un autre. Charles Laughton mourut en effet en 1962 sans plus jamais repasser derrière la caméra. Et c'est bien dommage… tellement le film, qui est aujourd'hui considéré comme un chef-d'œuvre et est régulièrement cité dans tous les classements des meilleurs films de l'histoire du cinéma, souligne un talent singulier, sensible et intelligent, qui a influencé des cinéastes aussi différents qu'Orson Welles, Tim Burton ou encore Theo Angelopoulos. «La nuit du chasseur» oscille constamment entre plusieurs genres, le western, le film noir et le conte pour enfants, avec cette figure centrale du pasteur, incarnée par Robert Mitchum, ici dans l'une de ses compositions les plus iconiques, parfait dans la retenue comme dans le cabotinage de son personnage. Dans les Etats-Unis des années 30, Ben Harper commet un hold-up et se fait arrêter par la police. Entre-temps, il remet les 10 000 dollars dérobés à ses enfants, John et Pearl et leur fait promettre de ne rien dire à leur mère, afin qu'ils puissent récupérer le trésor à leur majorité. Ben est condamné à mort pour double meurtre. En prison, il fait la connaissance du très étrange pasteur Harry Powell (Robert Mitchum), un illuminé qui a assassiné une demi douzaine de veuves. Ben parle pendant son sommeil et le pasteur ne tarde pas à saisir qu'il a un magot planqué. A sa sortie de prison, Harry Powell se rend à la ferme des Harper. Il comprend vite que les enfants sont au courant de quelque chose. Il séduit bientôt leur mère Willa et l'épouse. Il ne cesse d'interroger les enfants, en s'y prenant de différentes manières et éveille les soupçons de leur mère. Il la tue. Les enfants prennent la fuite à bord d'une barque… avant d'être recueillis par une dame du voisinage. Harry est arrêté par la police. L'amour et la haine, le bien et le mal, l'ombre et la lumière, sont traités à tous les niveaux du film et notamment sur le plan esthétique à travers une plastique sublime, un noir et blanc d'une poésie rarement vue à l'écran. Installant une atmosphère onirique, le film est peuplé de personnages issus directement de l'univers des contes pour enfants, des figures religieuses, de lumières angéliques et d'ombres effrayantes. Rarement un film aura réussi à traduire, malgré ses excès stylistiques, une vision cauchemardesque aussi forte. «La nuit du chasseur», qui aborde pourtant un sujet périlleux n'est ni manichéen, ni pessimiste, le propos est au contraire très nuancé et d'une finesse certaine. Il dit essentiellement que l'innocence naturelle des enfants peut venir à bout de la folie des adultes. Son côté biblique lui confère aujourd'hui un statut de film culte, un film unique sur l'enfance, traversé de fulgurances et où le merveilleux et le surréaliste se côtoient dans le décor féérique de l'Ohio. Splendide. A voir et à revoir, inlassablement.