Les écrivains méditerranéens racontent volontiers leur enfance. On connait les livres d'une justesse bouleversante de Rabah Belamri, parus dans une collection appelée précisément Haute Enfance. Et, bien sûr, nul lecteur attentif à la littérature maghrébine de langue français ne saurait faire l'impasse sur le récit que ce romancier qui était aussi un poète inspiré donna de son adolescence : Regard blessé (Folio). Quant à Saison violente, (Seuil, 1974) le récit d'Emmanuel Roblès (1914-1995), ce fut sans doute le texte le plus intime qui lui vint à la plume. L'enfance, et aussi bien l'adolescence d'Emmanuel Roblès, innervent cette Saison violente. Telle page frémissante de pudeur célèbre la figure de la mère, que dans un tel paysage on voudrait presque nommer figure de proue. Comme Tonino Guerra, le romancier italien et scénariste dont Federico Fellini s'inspira pour son film « Amarcord », Emmanuel Roblès recrée les épisodes saillants de ce qui a constitué le socle de son histoire personnelle. Et il chante cette terre d'Algérie qui était si bien la sienne que Michel Tournier, membre de l'Académie Goncourt, il a pu dire : « Nous avons élu un Algérien, Emmanuel Roblès. » C'était longtemps avant l'élection de l'Algérienne Assia Djebar à l'Académie française, et avant que Tahar Ben Jelloun ne dispose d'un couvert à l'Académie Goncourt. Les jeux et les défis, les amours naissantes, tout ce qui animait les bandes de gosses en lisière de l'étrange peuple adulte avec ses injustices et ses mutismes, tout ce qui a impliqué l'auteur dans sa chair et dans son cœur, tout ce qui s'est gravé dans sa mémoire, s'inscrit durablement dans notre souvenir. Emmanuel Roblès raconte les relations pudiques et tendres avec sa mère d'un garçon dont le père disparut prématurément. La maman est exploitée par des patrons étalant sous les yeux des pauvres les signes criards de l'abondance. Cette lutte sourde entre les nantis et les spoliés, voici que le héros la retrouve dans la moindre des péripéties de sa vie d'écolier ou d'ouvrier. Quittant un moment le lycée, il travaillera avec des maçons et son oncle menuisier. Lorsque la mère et l'enfant sont expulsés du logis qu'ils occupaient, c'est une amie qui recueille le fils dont elle veut « fabriquer un garçon comme il faut ». Notre héros aime Véronique, fille d'un haut fonctionnaire. Leurs conciliabules sur la terrasse de l'immeuble de Madame Quin sont vite interdits. Les deux tourtereaux ne se retrouvent que subrepticement jusqu'au départ, pour la France, de la belle voisine malade. Saison violente raconte l'été crucial d'une sensibilité adolescente. C'est un livre où la parole du jeune homme est retrouvée dans sa vraie tessiture, à hauteur d'âme. Sans doute est-ce bien une certaine communauté d'âme, de mémoire, d'amour qui unissait à l'Algérie des écrivains comme Jean Sénac, Emmanuel Roblès, Albert Camus, Jean Pélégri, Jules Roy. On rappellera enfin qu'Emmanuel Roblès dirigea la collection Méditerranée, aux éditions du Seuil, là où il révéla au public, Ahmed Séfrioui, Mohammed Dib, Mouloud Feraoun. Du Maroc, d'Algérie, de Grèce, d'Espagne ou d'Italie, ce furent de très beaux textes de fiction qui, des années durant, étaient accueillis comme des étoiles dans l'azur. Et l'envie nous revient de fréquenter des œuvres aussi passionnantes que celle d'un Stratis Tsirkas, l'auteur de Cités à la dérive…