La curiosité pour des disciplines scientifiques ou artistiques oriente une existence aussi fortement que peut le faire une passion amoureuse ou une lubie. A l'intersection des obsessions d'autrui, le créateur d'imagination veille comme un témoin partagé entre le désir de pousser au maximum les tensions qu'il observe et le voeu parfois, de les apaiser. C'est cette injonction contradictoire que j'ai pu constater en faisant d'un hydro-géologue, Jean Margat, le personnage central du roman que je termine d'écrire «La Joconde illustrée». Cet octogénaire a beaucoup d'amis parmi les anciens et les nouveaux géologues marocains, d'où le plaisir que j'eus, à Fès, à la faveur du 6e Festival de la culture amazighe, de converser avec Saïd Kamal, natif de Tazouta, dans la province de Sefrou. Ce géologue encore jeune est président de la section marocaine de l'Association des populations des montagnes du monde. Le président international, doué d'une passion obstinée et folklorique, dans le meilleur sens du terme, en est Jean Lasalle, l'homme qui chante depuis son siège de l'Assemblée nationale française, comme s'il était dans sa montagne. Saïd Kamal est moins démonstratif. Il est cependant très attaché à des actions concrètes en faveur de la population montagnarde dans le Moyen Atlas. Sa thèse de troisième cycle s'ornait d'un intitulé qui parlera à mon ami Margat, hydrologue de réputation internationale et grand collectionneur de jocondes devant l'éternel : «étude sédimentologique, biostratigraphique et tectonique du Dogger de la région de Skoura, dans le Moyen atlas». Le Dogger est une période dans les temps géologiques que l'on appelle le jurassique moyen. Quant à savoir s'il y avait alors des roses bleues… La thèse d'Etat de Saïd Kamal portait sur la caractérisation des sols sur basalts triasiques du Moyen Atlas : altération, supergène et hypogène des basalts triasiques. Ouf! Je demande à notre géologue féru d'archéologie, comme on va le voir, de m'expliquer l'adjectif triasique. Et c'est parti: «la couche-type possède trois niveaux distincts». Quant aux mots supergène et hypogène, nous ne perdons rien pour attendre, étant entendu que le Trias est une période des temps géologiques qui se situe vers les 250-260 millions d'années. Après formation des roches, il y a des transformations à la surface de la terre sous l'effet des agents atmosphériques. Ces transformations en surface s'appellent l'altération supergène qui mène à la formation des roches meubles qui donnent les sols. Maintenant que nous avons les pieds sur terre, interessons-nous aux aventures archéologiques de Saïd Kamal. Mais je vois que j'allais vous priver de la définition du mot hypogène. Il s'agit des transformations qui sont liées à des fluides souvent chauds provenant des profondeurs, jusqu'à une dizaine de kilomètres. C'est ce type de transformations qui donne l'or, le fer. D'où les parures, l'avidité et les boîtes de conserves. L'archéologie qui passionne Saïd s'intéresse, elle, à l'histoire humaine, en relation avec ses activités telles que des traces en témoignent. On doit à notre géologue né à Tazouta, en dehors de ses recherches officielles, des trouvailles, dont la presse marocaine se fit l'écho il y a une bonne quinzaine d'années. C'est le moment du récit de mon interlocuteur qui m'a le plus feinté. Saïd m'a soudain parlé du fameux «Homme de Fès»: «Il s'agit d'un crâne que j'ai découvert et dont la morphologie rappelle celle de l'homme préhistorique néandertalien qui vécut il y a cinquante mille ans. Nous sommes allés sur le terrain pour compléter les fouilles et récupérer le reste du squelette. Cette découverte suscita des polémiques administratives et scientifiques. Ce crane, ce squelette, fallait-il dire qu'ils étaient ceux de «l'homme de Fès» ou bien devait-on désigner cet homme comme l'homme des «Aït Youssi» ? Saïd Kamal n'a pas démérité de sa passion d'archéologue amateur. Dans le Prérif, au Nord de Fès, il découvrit dans une grotte un exemple de l'écriture qu'on peut appeler proto-tifinagh qui aurait plus de 6.000 ans. C'est sur cette notre bien adaptée aux journées du Festival de la culture amazighe qui nous valurent de nous rencontrer que je m'en vais rêver d'une bande dessinée dont Abdelaziz Mourid pourrait devenir l'auteur et qui raconterait les merveilleuses aventures de Saïd Kamal géologue, féru d'archéologie, non sans évoquer, les activités de l'association Tamount (l'unité) avec laquelle il a mené des projets de développement à Tazouta.