Disparu le 30 octobre 2009, le romancier Pierre Silvain était un créateur d'imagination autant qu'un explorateur des œuvres d'autrui. La finesse d'expression et la curiosité pour les destins imaginés ou retrouvés autant que pour les œuvres accomplies se rencontrent constamment dans les livres de cet écrivain né à Berrechid en 1926. Il commença par publier en 1960 et c'est seulement en 2007 que l'un de ses derniers ouvrages, Julien Letrouvé colporteur (Verdier) connut en France un grand succès de librairie. Cela fut pour ce romancier discret une joie autant qu'une surprise. On ne sait pas assez que Pierre Silvain qui passa sa jeunesse au Maroc a consacré plusieurs récits ou romans à son pays natal envisagé dans son histoire contemporaine, dans ses saveurs, ses couleurs et les modalités de sa relation aux gens de France, jusques et y compris Pierre Loti. Son attachement au Maroc s'exprime dans Le Jardin des retours (Verdier, 2002) dont il expliquait ainsi la source :“ Pierre Loti fut cet enfant sérieux et chimérique de Rochefort et je l'ai été bien des années après lui au Maroc, où dans son âge d'homme ,il voyagea.“ «Sa sensualité, sa mélancolie, son goût du décor ont décidé de sa passion pour le vieux pays retranché de l'Europe, mais déjà menacé et bientôt investi par elle. J'ai chevauché avec lui des territoires vierges où la réalité se dissout dans l'éblouissement de la lumière ou l'abondance des pluies, comme dans son rêve vain d'un temps à jamais suspendu». «Cette aventure maghrébine a aussi sa face secrète. “Elle m'enseigne combien importent les commencements d'une vie, en ce qu'ils impriment à celle-ci sa vérité irrévocable. Et que c'est cette vérité-là qui rend le désir des retours tellement plus impérieux que l'injonction des départs» Silvain qui avait, au fond, un tempérament de poète, savait fouailler dans le même mouvement le souvenir et l'advenir. Sa capacité d'identification à des destins prestigieux est d'autant plus fine et remarquable qu'il vivait dans l'ombre. Son livre sur Büchner : Le Brasier, le fleuve, essai, «L'un et l'autre », (Gallimard, 2000) est une petite merveille. Je me souviens surtout de ses rires. C'est toute l'étrangeté de la trace que les autres laissent en nous, lorsqu'ils ont disparu. Je l'entends encore riant, ses yeux se plissant. Peut-être parce que le rire d'un homme porté à une forme de mélancolie a plus de prix. Essayiste, Pierre Silvain écrivit avec finesse ce qu'il devait à Pierre-Jean Jouve ou à Marcel Proust, déposant sur ses lectures une fine poussière de rêves intelligibles. Qui rééditera son roman L'Empire Fortuné (Manya, 1993) ? On y lit sur le Maroc d'avant l'indépendance un récit frémissant d'impatience face aux injustices. Silvain s'employait à conjuguer dérision et dénonciation comme y parvint François Salvaing dans Pays conquis (Laffont).On n'oubliera pas pour autant le charme intense des émotions ressaisies dans Les Espaces brûlés (Mercure de France, 1977). Pierre Silvain y abordait les êtres et les paysages avec la grâce d'un enlumineur et la gravité d'un enfant retrouvé. C'est la fébrilité et l'affectivité de l'intelligence que l'on aime percevoir dans ses livres, une acuité qui ne pose pas, rien qui ne se ferme, ou alors en secret. Assise devant la mer (Verdier, 2009) faisait retour à l'enfance marocaine dans une adresse mélancolique et grave Un roman posthume de Silvain vient de paraitre : Les Couleurs d'un hiver (Verdier). La figure du peintre Géricault illumine l'évocation d'une passion artistique. Pierre Silvain avait le don d'interroger la part d'éternité qui gît dans le provisoire.