Comme vous pouvez l'imaginer, les conflits syndicaux et autres combats de radicaux, ce n'est pas ma tasse de thé. Pour ne pas trop vous raconter de bobards, je vais plutôt dire que ce n'est plus ma tasse de thé. Il est vrai que je m'intéressais énormément à la lutte des ouvriers -qu'on appelait à l'époque «la classe ouvrière» ou «la classe laborieuse»- mais, ça, c'était dans une autre vie. Plus maintenant. Ne croyez surtout pas que je suis en train de renier mon passé d'intellectuel éclairé ou, comme nous appelait Gramsci, «d'intellectuel organique», au service du «juste combat du prolétariat». Au contraire, je revendique et je revendiquerai toujours mon titre d'ancien combattant. Mais contrairement à certains que vous connaissez et qui se reconnaîtront, je ne demanderai pas d'indemnisation, ni de médaille ni encore moins de récompense, sauf, bien entendu, si on insiste pour me les donner. Et, dans mon cas, je préfère prévenir qu'il faudra insister lourdement, car j'ai gardé quand même quelques principes, deux ou trois valeurs, et surtout un peu de dignité. Alors, pourquoi m'intéresse-je aujourd'hui à ce monde ?, allez-vous me demander. En vérité, vous avez tout à fait raison de me poser la question car il n'y a vraiment rien d'intéressant dans ce milieu. Et si j'utilise le mot «milieu», c'est à bon escient. D'ailleurs, c'est à juste titre que j'ai choisi volontairement des mots savants pour qu'ils ne comprennent rien à ce que je vous raconte. D'ailleurs, me diriez-vous, même si j'écris en termes simples, ils ne pigeront que dalle. La plupart d'entre eux sont si nuls et si incultes... Il est possible, je le sais, que ces propos fassent sourire certains patrons revanchards ou même fassent plaisir à d'autres boss ringards. Mais, attention, il ne faut pas qu'il y ait de malentendu : je ne parle pas ici, bien entendu, des ouvriers, des manœuvriers, des travailleurs, des vrais bosseurs, des pauvres hères et de tous leurs laborieux mais néanmoins compères. Bien au contraire, j'ai toujours eu et j'aurai toujours pour tous ces gens-là et pour tous ceux qui leur ressemblent, tout le respect du monde et toute l'estime de la terre. Non, quand je parle des nuls et des incultes -et je devrais ajouter aussi, tant que j'y suis, des ignorants-, j'insinue par là, tous ceux qui prétendent les défendre et qui, depuis longtemps, certains même depuis la nuit des temps, parlent pour eux, négocient en leur nom, décident à leur place, sans jamais vouloir céder la place. Pourtant, certains d'entre eux ont tout à fait leur place dans une maison de retraite ou dans un hospice de vieux. Croyez-moi, je n'ai absolument rien contre les personnes âgées, mais j'ai horreur des vieillards d'un autre âge et des dirigeants moyenâgeux qui restent fermement et indéfiniment attachés à leur pouvoir, fut-il devenu minime, minuscule et virtuel, jusqu'à leur dernier soupir, sans jamais vouloir le lâcher. Ça concerne, évidemment, tous les types de «responsables», mais c'est encore plus dramatique quand il s'agit, justement, du monde de l'entreprise et, par conséquent, du monde du travail. Tous les vrais patrons, et surtout les libéraux vous le diront : les syndicats, les vrais, jouent un rôle de catalyseur fondamentalement régulateur, au service de tout le monde : bien sûr, de l'ouvrier et du salarié en général, mais aussi, de l'encadrement et du patron. Bref, au service de l'intérêt général. Or, que voit-on aujourd'hui au Maroc ? Des officines plus ou moins vides, plus ou moins figées, plus ou moins aphones, dirigées de main forte par des dirigeants vénérables, certes, mais indéboulonnables. Jusqu'à quand ? C'est tout simplement lamentable !