Ce n'est pas encore fait, mais ça ne saurait tarder : pour la première fois dans l'histoire de notre pays si macho, une femme va prendre en main le gouvernail du plus beau des paquebots, du plus costaud des bateaux, du plus désiré des navires, j'ai nommé, Mesdames et Messieurs sous vos applaudissements, la CGEM ! Pour ceux et celles qui l'ignorent encore, la CGEM c'est l'illustre syndicat des patrons. C'est vrai que les mots «syndicat» et «patrons», ça sonne un peu bizarre, pourtant, ça existe. Cela dit, ne croyez surtout pas que ce ne sont que de faux patrons déguisés en prolétaires, ou, le contraire, mais il s'agit bien de vrais boss de vraies boîtes, avec de vrais «business plans», qui présentent des bilans, pas toujours très vrais, c'est vrai, mais, bon, personne n'est parfait, qui habitent dans de vraies villas, avec des vraies domestiques en livrée et tout et tout, avec des vraies épouses – ou des vrais époux - qui roulent dans de vraies limousines, conduites par de vrais chauffeurs, et qui portent de vraies montres Rolex, sans avoir attendu d'avoir 50 ans pour se les offrir; bref, en un mot comme en 1000, des vrais patrons, quoi ! Voilà, c'est ça la CGEM, et c'est ça le vrai syndicat que j'aime. Pour tout vous dire, j'ai toujours voulu faire partie de ce parti qui n'en est pas un, mais qui n'en est pas moins. Et même quand j'étais, dans une autre vie, moi-même, petit patron, mais patron quand même, je n'avais jamais osé faire le premier pas. Il faut dire que eux, non plus, ne m‘avaient jamais abordé, et comme ils avaient raison ! Je peux en parler aujourd'hui sans problème car il y a prescription. J'étais patron, certes, mais j'étais un sacré em…bêteur public, pour rester poli. J'étais patron, mais je poussais presque mon personnel à se révolter contre moi, moi qui les exploitais comme un esclavagiste en les faisant bosser tard le soir ou même parfois les dimanches, en leur donnant juste ce que prévoit la loi, ou en haussant le ton lorsque je les voyais arriver avec une heure ou deux de retard, ou bien lorsqu'ils ou elles prolongeaient le week-end de 3 ou 4 jours, en me ramenant, bronzé(e) s, un certificat médical acheté à Derb Ghalef. Oui, je peux l'avouer aujourd'hui, j'étais un patron odieux, mais je ne me supportais pas. D'ailleurs, à la fin, j'ai fini pas casser la baraque moi-même, et je me suis tiré. Ils ne voulaient pas faire la révolution, et bien, tant pis pour eux ! Entre nous, nos patrons ont bien raison : on n'a pas les prolétaires qu'on mérite. Nos prolétaires sont tous des poltrons, pas capables de prendre le pouvoir, ni même d'en rêver. Ce qui les intéresse, c'est de s'endetter jusqu'à l'os pour s'acheter leur petite maison à la périphérie et qu'ils vont payer toute leur vie. Ils appellent ça d'ailleurs : «La tombe de la vie». Si Marx entendait ça, il se retournerait dans sa tombe à lui. Bon, maintenant revenons à nos patrons, ou plutôt à la future patronne de nos patrons. Quelle femme, Messieurs-dames ! Oui, je la connais, ou plutôt, je l'ai connue, justement, dans l'autre vie. Elle est énergique, elle est battante, et surtout — osons le jeu de mot facile — elle est PETILLANTE ! Elle va nous les secouer, nos boss pas toujours bosseurs. En tout cas, je voudrais saluer la sagesse du patron des patrons sortant et la prudence de l'ex-candidat à la candidature, d'avoir pigé, avec une galanterie inégalée, que quand une femme, et surtout celle-ci, veut se mettre aux commandes, il vaut mieux lui céder le volant. En tout cas, quel beau bras d'honneur à tous ceux… que vous savez. Allez-y, madame, bon vent, mais, de grâce, ne nous demandez pas, vous aussi, de nous serrer la ceinture.Bon week-end, les gentils patrons, et bonne digestion, les autres.