Le spectre d'une contagion à la tunisienne au Maghreb et dans toute la région arabe continue à faire son bonhomme de chemin. Et pour cause : la révolte populaire qui a fait chuter le régime de Ben Ali en Tunisie le 14 janvier dernier, continue à faire des émules un peu partout dans la région. Après l'embrasement de l'Egypte et dans une moindre mesure du Yémen et de la Jordanie, c'est l'Algérie qui risque de prendre le relais avec la grande manifestation, déjà interdite par le pouvoir, prévue par un collectif d'associations civiles et de partis politiques pour le 12 février prochain. Si de l'avis de certains spécialistes, l'effet domino est à exclure, en raison des spécificités nationales propres à chaque pays, ils convergent néanmoins à reconnaître que l'onde de choc se propagera dans toute la région et même au-delà et se traduira par un changement de la donne socio-politique et économique actuelle. En effet, au delà des particularités qui distinguent ces pays, le contexte socioéconomique, assez délétère d'ailleurs, est largement similaire, surtout pour les couches sociales qui peinent encore à profiter des dividendes de la croissance. Et c'est là le paradoxe de l'histoire. En dépit de la récente récession qui a frappé de plein fouet l'économie mondiale, les pays du Maghreb principalement ont été relativement épargnés, affichant même des taux de croissance dont les envieraient les pays développés, même en cette période de reprise. Selon les prévisions du FMI pour 2011, le taux de croissance pour la région MENA sera de l'ordre de 4,8%. Pourtant, les inégalités sociales sont encore criardes dans la région, faisant exploser la frustration populaire, qui par la suite entraîne dans son sillage les revendications politiques. Le Maroc, mieux loti en comparaison avec ses voisins immédiats, ne fait pas exception au constat d'une croissance mal répartie. Un fait qui se dégage d'ailleurs des principaux indicateurs internationaux. Meilleur élève du Maghreb En 2011, les prévisions en termes de croissance (établies, soit dit en passant, avant les événements actuels), seraient de 4% pour le Maroc, 3,8% pour l'Algérie et la Tunisie et 5,3% pour l'Egypte, alors que la Lybie afficherait à son compteur un taux de 10,6%. Le PIB par habitant est lui de 2.868 dollars (USD) au Maroc et de 2.771 pour l'Egypte, soit les chiffres les plus bas du Maghreb, la Mauritanie exceptéé. Pour un Libyen, il se chiffre à 12.062 USD, pour un Algérien à 4.477 et à 3.790 pour un Tunisien. Un beau tableau, assez flatteur, qui pourtant ne signifie pas grand-chose pour la majeure partie des populations et principalement les jeunes, dont les perspectives en termes d'emploi restent assez sombres. Même si sur ce point, le Maroc, avec un taux de chômage de 9,6% pour l'ensemble de la population active et de 17,6% chez les jeunes, est considéré comme le meilleur élève du Maghreb. En Tunisie par exemple, il est respectivement de 13,2% et de 21,5% et en Algérie de 10 et 21,5%. Selon les chiffres 2010 du Bureau international du travail (BIT), 23,6% des jeunes en âge d'être économiquement actifs étaient inactifs dans la région, qui enregistre l'un des taux de chômage les plus élevés au monde, principalement pour les jeunes et les femmes. Or, la jeunesse, dans tous ces pays, constitue la frange la plus importante de la population. Les moins de 24 ans constituent près de 51% de la population totale du Maroc et en Algérie, le taux est de 56%. Selon le BIT, aucun pays de la région n'atteindra d'ici les deux prochaines années, un taux de croissance lui permettant d'absorber son déficit, surtout en matière de travail décent. Une situation davantage inquiétante, vu le nombre de diplômés qui arrivent chaque année sur un marché de travail déjà en panne et qui peine à absorber, pour diverses raisons, ces jeunes. Pas étonnant que ces derniers constituent la grande masse des contestataires qui défient, à Tunis ou au Caire les forces de l'ordre, pour réclamer un changement et de meilleures conditions de vie. À côté de ce phénomène de «jeunes diplômés chômeurs», le niveau de vie de la population dans son ensemble est caractérisé par des inégalités sociales flagrantes, rendant les conditions de vie des ménages, une vraie gageure. Chère classe moyenne Le constat valable pour tous les pays du Maghreb est l'absence d'une véritable classe moyenne, qui pourtant est l'élément moteur de toute régulation sociale, principalement dans les états démocratiques. À en croire l'indice GINI, un indicateur synthétique de mesure des inégalités sociales (écart de niveau de vie entre riches et pauvres, calculé sur une base de 0 à 100), le Maroc a un coefficient de 40,9, au même titre que la Tunisie, qui affiche un coefficient de 40, alors qu'il n'est que de 35,5 en Algérie et de 34,4 en Egypte. Autres problèmes qui s'ajoutent au cocktail, la mauvaise gouvernance, qu'illustre le niveau de corruption qui règne dans les pays concernés, certes avec des écarts différents. Selon Transparency international, l'indice de perception de la corruption (IPC) était au Maroc et en 2010 de 3,4 (sur une échelle de 10) et se positionne à la 85e place sur 178 pays classés. Une exception régionale à consolider Comparé aux autres pays arabes, le Maroc arrive à la 9e place sur les 17 pays dans lesquels l'IPC a pu être mesuré. Le Maroc se retrouve loin derrière la Tunisie (59e), mais devance l'Egypte (98e), l'Algérie (105e), et le Liban (127e). Même si le classement prête au doute, il va sans dire qu'il interpelle à plus d'un titre. Le constat est clair et légitime et se traduit par l'explosion de la colère des populations arabes, dans un contexte marqué par une difficile corrélation entre croissance et développement humain. En l'absence, dans une bonne parte du Maghreb, de véritables «soupapes de sécurité», comme en témoignent les multiples restrictions imposées aux libertés publiques et le refus de toute ouverture démocratique, ce ne serait pas trop dire que la révolution du Jasmin a pris du temps avant d'éclore. Et c'est aussi là que se distingue le Maroc, qui peut se targuer d'avoir pris les devants bien avant ses voisins, en s'inscrivant dans une dynamique de réformes démocratiques et socio-économiques. Il reste cependant à confirmer cette exception régionale, comme l'estime Ali Bouabid de la Fondation Abderrahim Bouabid, cité par le quotidien français «La Tribune», qui souligne que «la révolution tunisienne est le moyen de remettre en route les réformes au Maroc».