The Guardian a été le premier quotidien britannique à lancer une application payante sur l'iPhone d'Apple, en décembre 2009. En deux mois, elle a séduit 100.000 abonnés, qui ont accepté de payer 2,39 livres pour consulter le contenu du journal, disponible par ailleurs gratuitement sur le Web. Aujourd'hui, l'application est entrée dans une phase de moindre croissance mais attire toujours 600 nouveaux acheteurs chaque jour. Emily Bell, directrice des contenus numériques, explique ce succès par un prix raisonnable et la notoriété que le Guardian a acquise sur le Web. Avec 37 millions de visiteurs uniques chaque mois, son site est au premier rang de ceux de journaux anglais. Pour la noble cause ? La stratégie du Guardian sur l'iPhone est inattendue dans la mesure où ses dirigeants restent d'ardents défenseurs de la gratuité sur Internet. Ils se situent à l'opposé de Rupert Murdoch : au Royaume-Uni, le magnat australien possède le Times et le Sun et veut faire payer ses contenus sur le Web. «Si l'on veut être pertinent dans un environnement numérique, il ne faut pas établir de mur payant», insiste Bell. Cela marche pour les informations financières, mais pas pour l'investigation ou le reportage. Pour imposer une marque sur le Web, attirer l'audience et la retenir, il faut être gratuit. Dans le futur, le Guardian souhaite proposer d'autres fonctionnalités pour son application iPhone, de manière à obtenir des utilisateurs qu'ils payent une nouvelle fois, voire qu'ils souscrivent à un abonnement mensuel. «Le plus dur est de franchir la barrière du payant, souligne Bell. Ensuite, il est plus facile de vendre de nouveaux services à l'utilisateur». La rédaction compte 750 journalistes, qui travaillent pour le journal papier, le site web et l'hebdomadaire The Observer, propriété du Guardian. L'intégration des rédactions s'est faite à l'occasion du déménagement, en décembre 2008, dans des locaux modernes. Elle a été précédée d'une longue concertation. Le calme avant les comptes La rentabilité n'est pas encore au rendez-vous. Alan Rusbridger, le directeur de la rédaction, avait théorisé un modèle qualifié au sein de l'entreprise de Rusbridger Cross : à mesure que les revenus du papier baissent, ceux du Web augmentent. Là, les deux courbes se croisent, garantissant un nouvel équilibre financier. Or la vérification de cette théorie est sans cesse repoussée.«Il y a deux explications possibles», avance George Brock, directeur de l'école de journalisme de la City University et ex-responsable du Times. La première est conjoncturelle. Elle tient à la crise financière. La seconde est d'ordre structurel. «Contrairement à ce qui se passe sur le papier, l'espace mis à la disposition des annonceurs sur le Web est potentiellement illimité. Les prix de la publicité n'y obéissent pas aux mêmes règles que sur l'imprimé», dit-il. Et ils n'augmenteront pas.La stratégie du Guardian est de passer de deux sources de revenus (diffusion et publicité) à six ou sept. Le lancement de l'application iPhone s'inscrit dans cette démarche. Le Guardian Media Group (GMG), qui appartient à une fondation, la Scott Trust, a perdu 90 millions de livres (99 millions d'euros) en 2009, selon le Financial Times du 31 janvier. En février, il a dû céder un quotidien local, le Manchester Evening News, qui fut longtemps une source de profits.