Vraiment, on ne manque pas de culot dans ce pays ! Alors que la majorité –sans jeu de mot – de notre classe politique, ou ce qu'il en reste, criait, au loup dès les premiers gazouillements de nos jeunes en colère envers des ringards en déroute, voilà que tout ce beau monde change soudain de langage et de ton, et les trouve, finalement, bien mignons. On vante leur audace, on admire leur fraîcheur, on loue leur énergie, on applaudit leur sang-froid, on les félicite pour leur sagesse, on les congratule pour leur retenue, et on va jusqu'à trouver de grandes similitudes dans leurs revendications et dans leurs attitudes avec leurs aînés, les si bien nommés anciens. Comme on dit chez nous : «Que Dieu maudisse celui qui n'a pas honte !». Tenez ! Je regardais l'autre soir à la télé un bonhomme, la rose au poing et un tas de vieux papiers dans les mains, nous raconter sans rougir, bien fier de son fort accent du terroir, qu'après tout, ces gosses sont un peu comme ses bambins, ses frangins, ses cousins... «Ils ne sont quand même pas tombés du ciel, pardi !», cria-t-il. «Ils ne sont pas sortis du néant !», s'est-il révolté. «D'ailleurs, ils n'ont rien inventé du tout», nous a-t-il expliqué. «Tout ce qu'ils ont dit, tous leurs slogans, tous leurs mots d'ordres, tous leurs coups de gueule, ils les ont puisés chez nous». «Ils sont jeunes ? Et alors ? Nous aussi, nous étions comme eux, il y a... bien longtemps. Il n'y a rien d'original, dans tout ça. Tous nos grands leaders -c'est toujours notre bonhomme à la rose de campagne qui vous parle- ont été de grands militants alors qu'ils étaient dans la fleur de l'âge». Et de nous citer plusieurs illustres dirigeants dont, bizarrement, il n'y en a pas un qui est encore de ce monde. Vous ne trouvez pas ça bizarre ? Et puisque nous sommes dans le bizarre, notre éternel jeune combattant a sorti à un moment un parchemin datant des années 70 du siècle dernier -non authentifié- qui confirme, pardon, qui confirmerait que, justement, rien ne se crée, rien ne se perd, tout... ressort au moment opportun. Vous avez dit «opportunisme» ? Puisque c'est vous qui le dites... À propos de dire, comme vous le savez, aujourd'hui, on peut tout dire... enfin, presque. Eh bien, même ça, on nous dit que ce n'est pas grâce à ces jeunes qui ont montré qu'ils n'ont pas leur langue dans leur poche, mais bien dans leur caboche, mais, encore une fois, on veut nous convaincre que ce ne sont que les effets, certes, tardifs, «de la lutte des anciens», qui ne s'est pas faite sans sacrifices et sans dégâts. Au fait, j'ai failli oublier de vous rapporter l'anecdote relatée par notre gars de ce soir-là. À un jeune barbu et barbant qui l'aurait toisé le 20 mars dernier, alors qu'il marchait tranquillement aux côtés de ses jeunes bambins, frangins, cousins, etc..., il aurait rétorqué, je le cite, «Va-t-en, fiston, tu sais, tout ton âge, moi je l'ai passé juste en taule». C'est beau, hein ? D'ailleurs, le public, tout acquis à sa cause, n'a pas manqué d'applaudir à tout rompre, au grand dam du plus jeune vieil animateur de la planète et qui n'a jamais voulu battre en retraite. Ça bouge à la télé ? Allons donc ! Vous voulez qu'on y croie vraiment ? Non, ce n'est pas que je ne n'aime pas ce mec, pas du tout, je le trouve même parfois sympa. Mieux, il me rajeunit. Je me dis, s'il est encore là, alors que, je me souviens comme si c'était hier, je le regardais faire son numéro télécommandé, moi dans mes couches que je mouillais parfois tellement il me faisait hurler de rire ou de rage, et lui, dans sa lucarne en noir et blanc, c'est qu'au fond, je suis encore très jeune. En fait, le problème n'est pas là, nous dit toujours notre socialiste du jour. D'ailleurs, il a tenu à nous préciser qu'on n'a pas besoin d'être jeune pour être réformateur. Vous voulez des réformes ? On en a la pelle, ou, plutôt, à l'appel ! Il suffisait de le demander, quoi ! Vous savez, nous sommes au service du peuple et... à votre service. Au fait, à propos de service, nous avons envie de vous en demander un : s'il vous plaît, ne nous demandez pas de partir. On vous en supplie... Où est-ce qu'on va aller, nous ? On a si peur, avec tous ces jeunes qui gueulent partout... Pauvres vieux ! Quant à nous, vivement le changement et vivement vendredi prochain. D'ici là, bon week-end les jeunes et bon débarras les autres. Mohamed Laroussi