Ces MRE qui n'aiment pas le Maroc Ils sont nombreux les jeunes qui reviennent au pays, le temps d'un été pour passer des vacances. Ils ne connaissent rien sur leur pays d'origine, sinon les filles, l'alcool et les grosses cylindrées qui leur ouvrent les sérails de l'amour. Pour connaître les véritables états d'âmes des immigrés, il faut sortir des sentiers battus et des grandes agglomérations du type Casablanca où ils fondent dans le tas. A Tanger, on les voit plus, ils investissent les rues, marquent leurs passages, font la pluie et le beau temps et comme c'est un peu la canicule en ce moment, ils se désaltèrent comme bon leur semble. Ils avouent ne rien savoir du Maroc et n'hésitent pas à dire qu'ils " s'en foutent ". L'été est court et les belles années passent vite. Devant le port, on a beau chercher un MRE pour nous dire qu'il entrait au Maroc pour faire du tourisme culturel, c'était peine perdue. Les réponses auxquelles nous avons eu droit vont du “oui c'est pas mal, on voit des documentaires sur MA3 (chaîne marocaine diffusée sur le satellite Hotbird)” à “je m'en fous de ces choses-là”. Les jeunes, surtout, s'en tapent. Le Maroc ou ailleurs, pour eux, c'est pareil, et s'ils avaient le choix, ils “choisiraient une autre destination”. Les discours grandiloquents sur le pays, la nostalgie, l'amour de la mère patrie, tout “cela, c'est des foutaises, les attaches, c'est là où tu vis qu'il faut les avoir, pas sur un sol dont on ne connaît que le nom”. Le ton est donné et pour une fois, nous avons besoin de savoir ce qui motive tous ces immigrés qui ont choisi de vivre sous d'autres cieux et qui font le pèlerinage vers le pays chaque été. Si ce n'est pas l'amour du pays, la famille et l'odeur de la terre, c'est quoi alors? 4x4 et soleil torride A quoi pensent-ils et que cherchent-ils en débarquant une fois par an dans le bled ? Comment écoulent-ils leurs journées et que font certains d'entre eux, pour ne pas dire la majorité des jeunes beurs, durant leur séjour? Durant tout l'été, on les voit un peu partout dans les grandes villes et sur les autoroutes du Maroc, dans les patelins perdus de l'arrière-pays, sur les plages et jusque dans les discothèques littéralement assaillies où ils aiment à s'agiter des nuits entières. C'est le slogan de cette bande de copains qui vadrouillent à Tanger dans un 4x4 en piteux état, qui pète tous les cent mètres, immatriculé à Lille. “Le Maroc, mes parents m'en ont parlé jusqu'à l'âge de quinze ou seize ans. Quand j'ai commencé à comprendre, je l'ai sillonné seul, pour mon propre compte”, dit Ramzi Allouch, Raz pour les intimes. Il fait là son sixième voyage d'adulte en compagnie de quelques potes de sa cité lilloise. Malgré ses voyages apparemment nombreux, le fameux Raz ne connaît que “dalle” du pays. Il se plante entre le Sud et le Nord et mélange Béni-Mellal et Berkane qui pour lui “sont à quelques kilomètres l'une de l'autre, à peine 50 kilomètres à tir d'aile”. Il ne faut pas trop le charrier, il n'aime pas cela car, il a fait ses cours et sait lire une carte, mais ceci est une autre histoire. Pour ce garnement qui avale des gorgées de bière tout en conduisant, en fumant des joints et en écoutant une musique de l'Atlas “céleste”et “proche de la perfection”, le bled a gardé toutes ses odeurs. Raz est convaincu qu'il faut décompresser, taper sur les choses et les êtres et surtout que Meknès qu'il visitera tantôt pour le pèlerinage des ancêtres et de la famille, est encore mieux que Lille. Il veut se “défourner”, mot tout aussi bizarre que notre jeune interlocuteur qui ponctue: “c'est un mot à la mode dans la cité”. On défourne un pain après sa cuisson. Pour notre compagnon, c'est tout comme. Il jette sa cannette par terre, rote affreusement et dit: “Au Maroc, je me repose de mes onze mois de boulot. Je suis électricien. Ce n'est pas évident, j'ai besoin de me défouler”. Se défourner. Une occupation que Raz partage avec Ahmed, Brahim et Karim qui l'accompagnent. Ils ont rendez-vous avec des filles à la plage et ils carburent déjà. C'est au Maroc qu'ils ont découvert l'amour et le sexe et ils s'en vantent. “J'aime les filles du pays” dit Brahim. “Chez nous (en France), c'est pas aussi simple” affirme Karim, l'œil au beurre noir après une dispute la veille qu'il refusera de nous raconter. “On vient ici pour les filles, pour boire et nous amuser”. C'est tout. La nouvelle génération des MRE a sa philosophie et nul ne peut la soustraire à ses œillères. On a beau lui dire que le Maroc c'est plein de choses mais il persiste et s'en remet à ses instincts et aux retrouvailles avec la nature: “C'est un pays à demi sauvage, c'est ce qu'on aime”, dit encore Karim. On croirait un prospectus de tourisme parisien parler. Un tour dans la ville Raz, Brahim et les autres bronzent sur la plage de Achakar, sur le versant atlantique. Ils sont en charmante compagnie. Il fait chaud en cette matinée de samedi. Baisers roucoulants et promesses éperdues d'amour éternel. Les garçons parlent de Lille et les filles rêvent de faire partie du prochain voyage. “Là-bas on a, là-bas on est…” et patati et patata. On les laisse et on s'éclipse doucement de la troupe de gais lurons qui brûlent sous la canicule tangéroise. Raz nous apostrophe “Eh les reporters! Ce soir, à minuit tapante, devant le dancing Pasarella, ok. C'est moi qui offre la première tournée. Je crois que je suis amoureux de Sonia” Et il lui lance un regard de pyromane qui en dit long sur son sevrage… Le soir, devant ses bouteilles vides, il fait la tête après un long monologue sur la solitude et “la merde que je vis là-bas”. La bibine aidant, il se lâche et nous submerge de son dard sur le pays ici et là-bas: “on ne connaît que dalle sur le Maroc. On nous a raconté des choses mais nous n'avons rien vécu, alors je ne vais pas vous baratiner: je ne sais pas si j'aime ce pays ou pas, mais je suis honnête, pour moi, ici ou ailleurs, c'est tout comme. Heureusement qu'on s'amuse et que les filles arrivent à étancher la soif, frangin”. Raz a le vin difficile et quand il mélange, il devient un tantinet violent. Les insultes commencent à fuser pour un rien.: “Je l'ai mal, frangin, j'aime pas ces cons qui me matent et se disent que je suis plein aux as, ils savent nada sur moi et je vais te dire, ils voudraient être à ma place là-bas dans la cité, mais ce qu'ils ne savent pas, c'est que moi, cette foutue place, je la leur laisse volontiers. C'est des conneries tout ça. C'est pire là-bas qu'ici, au moins vous avez la famille et les gens peuvent faire semblant que vous existez, dans la cité, c'est galère frangin et chacun sa merde”. La nuit est longue et les amis de la cité semblent avoir pris le mauvais tripe, celui qui rend furieux. Raz discute un coup avec sa Sonia qu'il aime. Il la tripote un coup et se colle à elle sur le fauteuil. Ça sent l'amour à plein nez au milieu des effluves de bière pourrie et de mauvais whisky de circonstance. Les filles boivent mais à petites doses : “j'aime pas la bière. Je bois vodka orange”. Soit, ma sœur, mais faut s'adresser au barman qui lui n'avait pas du tout blairé le jeune Raz: “Ils viennent ici pour faire leurs petites affaires et il ne faut pas les emmerder, ils foutent le bordel et ils savent qu'on ne peut pas les toucher. Ils sont blindés les gosses, jeunes et plein de thune, c'est pas mal pour des immigrés. Ce qui se dégage de cette soirée au milieu de la fumée âcre du tabac froid et des mélanges entre blonde et brune, c'est le manque absolu de connaissances des deux côtés du bar. Le barman, le fils du pays ignore tout sur le faux beur qui lui affiche tant d'assurance et croit tout connaître. Raz essuie un affront quand Sonia lui dit qu'elle voudrait encore faire la fête. Il gueule un coup et lui pose la main sur le visage comme une entrée en matière en vue d'une gifle qu'il avait déjà méditée depuis quelques minutes. Sonia se dégage, on s'interpose, Raz se calme. Mais c'était trompeur, car quand un videur est venu lui dire dans le creux de l'oreille de se calmer, Raz a pété un câble et la boîte a failli être le terrain de jeu de mecs en goguette. La fin de la nuit Des coups ont ricoché sur quelques visages. Des insultes ponctuées de crachats sont allées se loger sur quelques chemises mouillées et les filles ont poussé leurs cris d'orfraie et de carnassières de la nuit. Raz a reçu quelques gifles dont les auteurs l'obsèdent encore alors que nous avons allongé vers le bord de mer pour respirer un peu d'air. “J'ai la haine, frangin, je viens ici dépenser mon fric et ils me giflent, les fils de p… ils ont pas vu mon argent ou quoi, regarde, j'en ai plein les poches et je veux tout griller ce soir, parce que je l‘ai mal. Et la nana qui m'a tourné le dos, c'est pas de veine, mais je vais me refaire avant de rentrer dormir, je vais aller voir ailleurs. D'ailleurs cette Sonia n'avait pas l'air au top. Elle ne pensait qu'à Lille, la conne !!!”. Les amis de Raz avaient reçu, eux aussi, leur lot de coups. Ils n'étaient pas au top non plus et semblaient accuser le coup de l'alcool et les mélanges tardifs. Karim nous intime qu'il était déjà depuis une semaine à sa quatrième grosse bagarre: “J'ai la gâchette facile au propre et au figuré, frangin. J'aime pas qu'on me cherche, alors je tape et je tape fort, parce que j'ai l'impression que tous ces cons m'en veulent pour quelque chose que j'ignore. C'est le pognon, ils savent que j'en ai et ils voudraient bien me taper mes sous”. Son pote renchérit et enchaîne dans un délire verbal sur les Marocains qui idolâtrent l'argent: “ils voient que ça. T'as des sous, ça marche, t'en a pas, va cirer les pompes de tonton. C'est cela les rapports qu'on a avec vous. On trime, on ramène le pèse et vous le sifflez pour nous, c'est cela et rien d'autre mon frangin et si tu veux mon avis, l'année prochaine j'irai ailleurs, j'en ai ma claque”. (A suivre)