Des centaines de milliers de MRE viennent chaque année passer des vacances au Maroc. La tendance sera-t-elle identique dans les prochaines années ? Rien n'est moins sûr. Jamal Belahrach, directeur général de Manpower - et l'un de ceux qui ont osé l'aventure du retour - n'est pas certain que tous les Marocains d'origine installés à l'étranger rêvent de revenir. La raison ? D'après une enquête réalisée par l'association Maroc Entrepreneur, la majorité de ceux qui ont opté pour un retour au Maroc est représentée par ceux qui ont quitté leur pays tardivement. Demain on sera déjà à la quatrième ou à la cinquième génération de Marocains résidant à l'étranger. Après 40 ans d'un phénomène d'émigration, les profils, les motivations et les priorités ont fondamentalement changé. Ce qui devrait inquiéter les autorités marocaines, c'est plutôt un taux de retour des MRE appelé à baisser. Cette menace se confirme d'une année à l'autre. De plus en plus de MRE vendent leurs biens au Maroc pour acheter dans leur pays d'accueil car leurs enfants ont fait leur vie de l'autre côté et n'ont aucune envie de revenir. La quatrième et cinquième générations sont de moins en moins attachées au pays d'origine pour des raisons de plus en plus objectives. Gare aux petits détails «Le phénomène de l'émigration a beaucoup changé au fil des générations. Les profils des MRE aussi. Cela ne se ressent pas encore au niveau du flux financier, mais l'effet est déjà perceptible au niveau des entrées au Maroc et de la revendication identitaire», analyse Nawal Rahmouni, sociologue. En clair, si rien n'est fait, une rupture est possible. Pour éviter que le pire arrive, cédons l'écoute à nos quatrième et cinquième générations. Pendant un séjour de 18 mois à Montpellier, nous avons rencontré un bon nombre de MRE dont la majorité est née en terre d'accueil. Les jeunes appartenant à cette élite ne se considèrent pas comme des émigrés, mais comme «des Marocains de l'extérieur». Pour ces jeunes émigrés, le Maroc reste leur pays par filiation. La nouvelle terminologie commence d'ailleurs à faire son petit chemin au sein des rencontres et des débats officiels. Rares sont ceux qui souhaitent revenir au Maroc pour monter une affaire et y rester. Les motifs avancés peuvent paraître dérisoires, mais cumulés dans le temps, ils constituent une sorte de blocage. Que faut-il en retenir ? D'abord, que la communication officielle se trompe peut-être de cible et que rien n'est vraiment fait pour y remédier, la langue constituant un handicap pour plusieurs d'entre eux. Ils sont incapables de tenir une discussion ou de faire une intervention en arabe. «Bien que le français reste la langue des affaires, il ne nous aidera pas à comprendre le monde du business au Maroc» déclarent certains «fils d'émigrés». Le mot est lâché : «comprendre le monde du business au Maroc. Que connaissent-ils de ce monde? Le milieu des affaires traîne toujours une image négative. Le fils de l'immigré dit être choqué par la flambée de la corruption, du clientélisme et du favoritisme. Il est clair que lorsqu'on est né et a grandi à l'étranger, on développe une marocanité bien différente. D'une façon générale, les MRE encaissent de plein fouet le décalage entre les contextes occidental et marocain. Ils se plaignent ainsi du manque de propreté des espaces publics, du non-respect du code de la route, du manque de civisme. Beaucoup regrettent aussi le poids du jugement de la société dans «un pays tiraillé entre conservatisme et modernité». Autre constat, le sentiment de retour diffère selon le sexe. Les femmes sont moins satisfaites que les hommes pour des raisons (évidentes) de discrimination sociale, comme le révèle le témoignage de Saloua el Karkri, ex-présidence de l'AFEM. «Le Maroc est en pleine évolution économique et culturelle. Mais les mentalités ont du mal à évoluer. Une femme célibataire de plus de 30 ans doit être prête à se battre deux fois plus que les couples qui retournent au Maroc». Autre chose, les autorités évoquent les possibilités de retour alors que l'information sur les opportunités au Maroc n'existe pas. C'est en quelque sorte mettre la charrue avant les bufs. A ces remarques, les fils des MRE en ajoutent une autre, plus douloureuse : la non-reconnaissance de leur citoyenneté, ce qui les prive entre autres du droit de vote. Ali Elbaz, installé depuis vingt-sept ans en France et coordonnateur de l'Association des travailleurs maghrébins de France (ATMF), s'insurge contre ce qu'il qualifie de «délit de citoyenneté» et précise que «c'est à l'aune de ce genre de questions que l'on peut percevoir les liens qu'un pays entretient avec ses ressortissants à l'étranger». Si attirer un MRE est un peu dur, attirer son fils et ses petits-fils l'est encore plus.