Bidonner son curriculum vitae, légèrement ou de façon sophistiquée est un phénomène universel. Tous les recruteurs expérimentés ont eu souvent dans leur exercice de recrutement, à émettre des soupçons sur un CV. En Suisse et en France, par exemple, lors de deux enquêtes distinctes réalisées par monster.fr et juritravail.com, 4 à 6% des candidats interrogés ont affirmé avoir tripoté au moins une fois leur CV. Chez les Suisses, ils sont 82% des candidats qui déclarent n'avoir jamais triché sur leur CV, mais les recruteurs pensent exactement le contraire. Selon eux, 75% des candidats mentent sur un aspect ou un autre de leur curriculum vitae. Cependant, ces différentes analyses expliquent que les raisons et les formes de la tricherie varient d'un environnement professionnel à un autre, mais aussi selon les profils des candidats. Sur cet aspect, deux hypothèses sont formulées. Certains spécialistes de RH, estiment que le bidonnage de CV est beaucoup plus accentué lorsque le marché de l'emploi subit une conjoncture défavorable. D'autres, au contraire, pensent que c'est un phénomène indépendant du marché, qui s'explique surtout par la négligence des recruteurs et le manque de professionnalisme des candidats, peu préparés à la démarche de prospection d'emploi. Que pensent alors les DRH marocains de cette situation ? Comment la vivent-ils et quel traitement réservent-ils aux CV bidonnés ? Ils en parlent. Situation et forme de la tricherie La question de la tricherie sur les CV est vécue au Maroc de la même manière qu'à l'étranger. Tous les DRH interrogés nous affirment que le phénomène existe bel et bien, mais qu'il est de moins en moins fréquent. Selon Jamal Amrani, directeur général du cabinet Jadh, les candidats marocains ont beaucoup plus tendance à exagérer et à cacher des aspects peu avantageux de leur parcours qu'à truquer leurs diplômes. De façon générale les exagérations portent sur la rubrique loisir, où les candidats cherchent à impressionner en mentionnant presque toujours la triade (lecture, sport, musique) même s'ils ne pratiquent aucun de ces loisirs. Khalid Benghanem et Mustapha Sekkat, respectivement directeur de ressources humaines d'Altadis et de Mazagan, confirment également cette réalité. Aussi expliquent-ils que la tendance à la survalorisation n'épargne aucun type de profil. Cependant, ce sont les débutants (nouveaux lauréats) qui trichent le plus. Ils excellent surtout dans ce qu'on appelle le gonflage de CV. Ces «vilains petits canards» le font en inventant des stages qu'ils n'ont jamais effectués ou en décrivant des missions qu'ils prétendent avoir accompli pendant leurs stages, mais qui, logiquement sont des missions qu'on confie rarement à un stagiaire. Pour Jamal Amrani, deux raisons expliquent cette manie des jeunes candidats. D'une part, les écoles préparent peu leurs lauréats à la démarche de prospection d'emploi et, d'autre part, les candidats peu expérimentés pensent combler leur déficit d'expérience par le nombre de stages, d'où une tendance à enjoliver à outrance le moindre petit passage dans une entreprise. Mais, pour les DRH, la triche des juniors est souvent de moindre importance par rapport à celle des seniors. Le plus souvent ces derniers pêchent par mégalomanie, nous explique Khalid Benghanem. Et d'ajouter, «Dans la rubrique compétences, le candidat senior vous détaille la fonction qu'il a occupée en mettant tout le descriptif qu'il trouve dans des bouquins de management». Or, le recruteur connaissant bien l'environnement des affaires et le niveau de maturité des entreprises, peut aisément comprendre si telle ou telle pratique managériale est présente dans le type d'entreprise où a exercé le candidat. À côté de cela, estime Mustapha Sekkat, il existe un autre profil de candidats qui trichent beaucoup plus par désespoir. Ce sont des candidats à faible potentiel qui, par conséquent, peinent à trouver un emploi. Ce qui fait que, face à une opportunité, ils n'hésitent pas à jouer le tout pour le tout. Cependant, indépendamment de la raison qui motive la triche, il y a lieu de se demander, jusqu'où les DRH peuvent tolérer un tripotage de CV ? Attitude des DRH L'idéal, expliquent les DRH, est que les candidats abordent les questions relatives à leur CV avec honnêteté, même quand il s'agit des zones d'ombres de leur parcours. Par exemple, beaucoup de candidats virés d'une entreprise maquilleront cet aspect face à un recruteur, ce qui, estiment les DRH, est une erreur et une feinte inutile. À ce propos, souligne Mustapha Sekkat, «Qu'un candidat me regarde droit dans les yeux et me dise : j'ai été viré de la boîte parce que j'ai piqué une crise de nerf et que ça s'est mal passé avec mon boss, si cela n'augmente pas ses chances, cela ne les diminue pas non plus». De plus, s'agissant de l'exagération, les DRH estiment plus compréhensible le cas des candidats qui se limitent à «enjoliver» tel ou tel aspect de leur CV, tout en ayant réellement les compétences dans le domaine en question. Cependant, le mensonge sur CV, peu importe son importance, est très pénalisant pour un candidat. Mustapha Sekkat Aujourd'hui, les candidats survalorisent plus, mais les mensonges flagrants sont rares. Certaines exagérations sont amusantees, car démontrant le désir du candidat d'impressionner. De ce fait, on peut les comprendre facilement et ne pas en tenir rigueur. Mais il y a aussi ceux qui mentent sur leur parcours de façon presque pathologique. C'est parmi ces types de profils qu'on retrouve les désespérés, qui n'hésitent pas à vous dire «j'ai fait tel master», alors que dans le meilleur des cas ils se sont juste inscrits à ce master, mais ne l'ont jamais obtenu. Ils sont également capables, ces candidats désespérés, de vous envoyer le même CV plusieurs fois en changeant juste la mise en forme. On trouve aussi des cas où le candidat essaie de mener le recruteur en bateau en donnant une dimension exagérée à chacune de ses expériences professionnelles. C'est le type de candidat qui va vous dire qu'il a piloté tel ou tel projet, alors qu'il y a tout juste participé, souvent de façon peu significative d'ailleurs. Mais ce que ces candidats oublient, c'est qu'aujourd'hui toutes ces informations sont presque systématiquement vérifiées par les recruteurs. Youssef Lahlou, Cabinet d'Avocats Hajji &Associés La faute grave du salarié est celle qui rend impossible le maintien du travailleur dans l'entreprise, même pendant la durée du préavis. Une déclaration mensongère sur un CV portant sur une qualité substantielle du candidat sur la base de laquelle a été motivé son recrutement est, aussi, susceptible d'être qualifiée de faute grave justifiant un licenciement. Il en sera ainsi lorsque ladite déclaration est caractérisée par des agissements frauduleux, notamment par la présentation de faux diplômes ou de fausses attestations de stage ou de travail. De surcroît, de tels agissements sont à même de provoquer des conséquences pénales pour le salarié indélicat. Par contre, une simple valorisation exagérée ou biaisée d'un parcours académique ou professionnel ne pourrait être qualifiée de faute grave. Jamal Amrani, Directeur général Cabinet Jadh Le CV est une carte d'identité. C'est aussi un outil qui doit refléter suffisamment la personnalité du candidat, que ce soit sur la forme ou sur le fond. La tricherie vient essentiellement du fait que les candidats sont souvent mal préparés à la démarche de prospection d'emploi, s'agissant surtout des jeunes lauréats. Or, même en étant débutant, rien n'empêche d'avoir une démarche professionnelle, car les recruteurs ne demandent rien de sorcier. Ce qu'ils veulent, c'est avoir des candidats capables de décrire leur personnalité, d'expliquer leur parcours et leur choix. Les candidats peuvent faire leur marketing pour bien se présenter, cela n'a rien d'anormal, mais ils doivent le faire sans beaucoup d'exagération. Quand des candidats essaient d'exagérer ou de cacher certains aspects de leur parcours qui ne sont pas très avantageux, ils se font facilement prendre au piège des recruteurs, car un CV est toujours lu entre les lignes. Mais la chose la plus irresponsable, c'est la tricherie sur le parcours, les dates ou sur le type de diplôme. Ce genre de mensonge diminue le candidat aux yeux du recruteur et grille toutes ses chances d'être recruté, aussi convaincant soit-il.