La décision de l'Angola de se retirer de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) porte un nouveau coup dur à un groupe déjà fragilisé, sur fond de cours en berne. Dissensions, concurrence américaine et fébrilité face à l'urgence climatique : le point sur un cartel sous pression. Fondée en 1960, l'OPEP, qui réunit 13 membres sous la houlette de Ryad, a noué en 2016 une alliance avec dix autres pays, dont Moscou, sous la forme d'un accord appelé OPEP+, dans l'optique de limiter l'offre et soutenir les cours face aux défis posés par la concurrence américaine. L'organisation garde ainsi plus de 5 millions de barils par jour (mbj) sous terre depuis fin 2022. Mais la stratégie patine. Malgré les nouvelles coupes annoncées en novembre, les prix du brut restent bloqués au plus bas depuis juin (entre 70 et 80 dollars le baril). Dissensions Ryad blâme les spéculateurs, d'autres la demande économique morose mais un autre facteur essentiel joue : le manque d'unité. «Si les réductions de l'offre n'ont pas été entendues, c'est parce que les récentes discussions ont révélé des frictions au sein du groupe», commente Ipek Ozkardeskaya, chez Swissquote. Elles ont explosé jeudi au grand jour avec le retrait de l'Angola, qui refuse de réduire sa production et veut «se concentrer davantage» sur ses propres objectifs. Le Nigéria s'était lui aussi montré mécontent de son quota lors de la dernière réunion ministérielle de l'alliance. Et l'OPEP+ n'était pas parvenue à s'entendre sur une baisse de volume à l'échelle des 23 pays membres. L'Arabie saoudite, désireuse de partager le fardeau, n'a trouvé du soutien que parmi sept autres pays. Or «l'unité est nécessaire pour renforcer la légitimité du groupe», argue Ipek Ozkardeskaya. Mais depuis l'augmentation du nombre de participants avec la création de l'OPEP+, elle est plus difficile à obtenir, note-t-elle. Avant l'Angola, l'Indonésie avait claqué la porte en 2009, le Qatar en 2019 et l'Equateur en 2020. L'Afrique peine à peser L'OPEP, qui a son siège à Vienne, s'est largement imposée sur la scène internationale en octobre 1973, quand elle a décrété un embargo contre les alliés d'Israël en pleine guerre du Kippour. En quelques mois, les prix du brut quadruplent : ce premier choc pétrolier consacre l'importance du cartel. Dans les années 1980, face à la montée en puissance d'autres producteurs, il établit son fameux système de quotas qui lui permet d'influer ponctuellement sur le marché. Une stratégie qui a relativement bien fonctionné pendant la crise financière de 2008 ou le choc de la pandémie de covid-19. Mais à force de coupes et de soubresauts politiques (en Libye et au Venezuela notamment), l'OPEP et ses partenaires contrôlent désormais à peine plus de la moitié de la production mondiale de brut (50 mbj), selon le dernier rapport de l'Agence internationale de l'énergie (AIE). Soit la plus faible part depuis la mise en place de l'OPEP+. Le départ de l'Angola, petit producteur (1,1 mbj), aura une faible influence sur l'alliance qui reste «soudée autour de Ryad et Moscou», selon Bjarne Schieldrop, analyste de Seb. «Tout le monde sait que les membres africains évoluent en seconde ligue». Les Etats-Unis, numéro un mondial, écoulent en parallèle une quantité record, dépassant les 20 millions de barils quotidiens grâce à l'abondance du pétrole de schiste. La production du Brésil et du Guyana s'est également envolée. Brasilia va certes rejoindre l'OPEP+ début 2024 mais en qualité d'«observateur», sans adhésion aux quotas décidés par l'organisation. Urgence climatique L'OPEP+ se heurte aussi à l'urgence climatique. «La transition verte est un frein majeur à (son) l'activité», résume Ipek Ozkardeskaya. «Le groupe a tout intérêt à la retarder le plus possible». Lors de la COP28, Haitham Al-Ghais, le secrétaire général de l'OPEP, avait pressé dans une lettre ses membres de «rejeter proactivement» tout texte ou toute formulation ciblant les énergies fossiles. Une position démontrant une certaine crispation autour du sujet, et qui a suscité un déluge de réactions à Dubaï. L'Arabie saoudite a impérativement besoin de maintenir l'afflux de recettes pétrolières, estiment les analystes. Elles sont «essentielles pour financer le vaste programme (…) de diversification économique de l'Arabie saoudite, qui comprend d'ambitieux +giga-projets+», précise Stephen Innes, chez SPI AM. Le royaume veut développer d'autres sources de revenus mais «la transition ne se fait pas du jour au lendemain», ajoute Giovanni Staunovo, analyste chez UBS.