Le blé n'a jamais été aussi dur à avaler... L'Etat multiplie, depuis plusieurs mois, les interventions : prolongement de la suspension des droits de douane appliqués aux importations de blé tendre à partir du premier de ce mois et jusqu'à fin décembre, subvention directe d'1 MMDH débloquée pour soutenir le prix des fondamentaux comme le pain... ces interventions vont tous azimuts, s'attaquant à plusieurs fronts, mais pour gagner une seule et unique bataille. Le gouvernement tente, en effet, de maîtriser une dualité d'enjeux clés du secteur, très délicate à combiner. Il s'agit d'assurer un approvisionnement régulier et contrôlé du marché intérieur pour compenser une offre moyennement déficitaire, dans un contexte de flambée des prix à l'international, et en face, protéger les producteurs nationaux en créant les conditions favorables à la commercialisation de leurs récoltes. Cependant, d'aucuns s'interrogent sur la portée à moyen et long terme de ces mesures d'urgence... et se résument en une seule. Jusqu'où l'Etat pourrait-il aller ? Ou encore, pourrait-t-il continuer à se priver de rentrées fiscales pour garantir un approvisionnement régulier du marché en céréales importées ? Sur ce dernier point, en tout cas, la facture est bien partie pour être des plus salées cette année. Il faut, en effet, savoir que les dépenses fiscales de l'Etat sur les céréales devraient de fait conserver leur tendance haussière, relevée sur les deux dernières années. Ces mesures d'exonérations appliquées à la vente à l'intérieur et à l'importation des céréales, sont passées d'une valeur cumulée de quelque 104 MDH en 2010, à près de 105 MDH en 2011. Cul-de-sac Pour les opérateurs importateurs en tout cas, regroupés principalement au sein de la Fédération nationale des négociants en céréales et légumineuses (FNCL), le choix n'y est pas. «L'Etat devra maintenir ses efforts fiscaux ainsi que les subventions directes pour encourager les importations et maintenir les équilibres entre l'offre et la demande, le tout dans le respect des impératifs de prix», nous explique ce grand importateur, relevant de la FNCL. La situation des prix à l'international des produits alimentaires est globalement instable et affiche une tendance à la hausse maintenue. Les céréales ne dérogent pas à ces évolutions. L'indice FAO des cours de ce produit s'est situé en moyenne à 263 points à fin septembre dernier, soit 1% de plus qu'en août. La diminution des approvisionnements en blé est devenue un autre motif de préoccupation, selon l'organisme, de quoi exacerber la frilosité des importateurs nationaux à sortir sur le marché international, en dépit des encouragements de l'Etat. Sorties rassurantes Pour le moment, le gouvernement et ses structures spécialisées continuent évidemment de rassurer le marché. La collecte cumulée des céréales, constituée à 99,5% par le blé tendre, a atteint un volume de 15,4 millions de quintaux (Mqx) à fin août, selon les dernières actualisations de l'Office national interprofessionnel des céréales et des légumineuses (ONICL). L'organisme public précise que près de 57% de ce volume ont été opérés à partir de la production de la récolte 2012. Néanmoins, la baisse des stocks de céréales détenus par les opérateurs déclarés à l'ONICL, ainsi qu'au niveau des silos portuaires - 22,3 Mqx à fin août, en baisse de 5% par rapport au mois de juillet dernier - soulève davantage la nécessité d'enclencher les approvisionnements extérieurs. Ces derniers ont atteint un volume cumulé - toutes céréales confondues - de 6,8 Mqx à fin août, en progression de 51% par rapport à la même période de la campagne précédente. Ces importations sont principalement constituées de maïs (4,9 Mqx). Les blés tendre et dur, par contre, manquent encore de preneurs, avec des volumes relativement faibles (pour 0,2 Mqx pour le blé tendre et un peu plus d'un million de quintaux pour le blé dur), selon les actualisations conjoncturelles de l'ONICL. Cette situation de baisse globale des niveaux de stocks disponibles, se dépeint également sur le segment industriel. La transformation industrielle de céréales a atteint 16,6 Mqx, depuis le début de la campagne de commercialisation 2012-2013. Ce volume s'est inscrit en régression de plus de 6%, par rapport à une année auparavant. En termes de répartition des origines de ce volume écrasé à fin août dernier, la production locale perd en importance. La minoterie industrielle a en effet écrasé 39% de blé tendre d'origine locale. Les farines libres et subventionnées représentent respectivement 55 et 14% des fabrications de la minoterie industrielle. Quant aux semoules industrielles, elles sont principalement produites à partir du blé dur (90%) et d'orge (10%). La fabrication des farines subventionnées (FNBT) est quant à elle également faite à hauteur de 79% de blé tendre de la production nationale. «La vraie question réside dans l'avancement de la mise en œuvre» Ahmed Ouayach, Président de la Fédération interprofessionnelle des activités céréalières (Fiac). Les Echos quotidien : L'opération «Touiza», marquant le lancement de la campagne agricole 2012-2013, s'est déroulée avec plusieurs nouvelles mesures annoncées pour le secteur. Dans quel état d'esprit se trouve aujourd'hui la filière céréalière, au lendemain de récoltes moyennement fructueuses ? Ahmed Ouayach : Nous sommes bien sûr optimistes, comme au démarrage de toute nouvelle campagne agricole. Le démarrage de la campagne actuelle ne déroge pas à cette règle et l'état d'esprit des producteurs est au beau fixe. Les pluies sont de retour cette année d'une manière précoce, ce qui pourrait être très bénéfique pour les cultures, en l'occurrence céréalières. Cela devrait permettre de démarrer la campagne sur des bases satisfaisantes en termes de pluviométrie, notamment pour les grandes régions de production comme la Chaouia. En ce qui concerne les semences, les quantités sont très satisfaisantes également et dépassent largement celles d'avant le contrat-programme. Peut-on parler de perspectives de révision du contrat-programme lancé en 2009 entre la filière et l'Etat, comme pour celle du sucre ? Le vrai problème n'est pas dans le fond de ce contrat-programme. Il ne s'agit pas de le réviser ou de ne pas le réviser. Les blocages sont surtout aujourd'hui dans la mise en œuvre. Celle-ci est à un niveau relativement avancée. Il y a eu, en effet des réalisations au niveau des capacités de stockage, de l'assurance agricole ainsi que de la disponibilité et de la qualité des semences. Nous souhaitons, par contre, concentrer nos efforts sur l'implémentation d'un nouveau dynamisme au segment de la commercialisation et du marché intérieur. Il s'agit, en particulier, des chantiers d'organisation de la filière et de la structure des subventions actuellement en vigueur. Néanmoins, en amont, tout cela devrait reposer d'abord sur une production nationale se déroulant dans de bonnes conditions pour des résultats maitrisés, pour que le peu de cette récolte soit collecté de façon optimale par le biais d'une commercialisation intérieure mieux organisée. Ce n'est certes pas la première fois que cet aspect est soulevé dans la filière, mais vous savez bien qu'il existe beaucoup d'intérêts contradictoires dans cette filière. Ce n'est plus un secret. Il faudrait donc que tous les acteurs du secteur s'engagent dans la même voie de développement. L'Etat est le premier responsable, mais pas le seul. Les opérateurs sont aussi et surtout les premiers concernés. L'Etat tente au fur et à mesure de jouer avec l'effet tampon des droits de douane pour accompagner l'instabilité des prix des céréales à l'international et soutenir l'importation pour compléter l'offre locale. Cette situation est-elle tenable ? L'équation est très simple : il est certain que nous ne serons jamais autosuffisants en matière de céréales, et il faut pourtant que les fondamentaux de prix demeurent stables sur le marché intérieur. Pour y arriver, l'Etat doit maintenir l'équilibre entre deux impératifs, très délicats à gérer simultanément : Assurer un bon approvisionnement du pays en céréales importées, et protéger en même temps les producteurs nationaux avec des prix de référence assez compétitifs. Il faut donc parfois dans ce cas de figure, que quelqu'un mette la main à la poche. Ce quelqu'un, justement, c'est l'Etat. Le gouvernement est donc amené à prendre des décisions d'application immédiates et des mesures ponctuelles, pour tenter de maintenir cet équilibre. Jusqu'à quand ? Cela est une autre histoire. «Touiza» de nouvelles mesures Rien de mieux que de développer l'offre locale, en volume et en quantité, pour réduire la dépendance vis-à-vis du marché international et des importations. Cet objectif, constitue l'un des plus importants du contrat programme entre l'Etat et la filière céréalière. Pour la nouvelle campagne agricole, une batterie de mesures a ainsi été annoncée par la tutelle agricole pour réunir les conditions d'un bon démarrage. L'une des principales porte sur la décision d'augmenter de 300.000 à 500.000 hectares, la superficie des terres agricoles concernées par le système d'assurance agricole tous risques pour les céréales et légumineuses. De façon plus transversale au secteur agricole, ces nouvelles mesures portent également sur l'incitation à l'utilisation de semences agréées. Près de 1,5 million de quintaux de semences agréées ont ainsi été mis à la disposition des producteurs pour cette année, un chiffre en hausse de 18% par rapport à la moyenne des trois campagnes précédentes. De plus, une enveloppe de 250 millions de DH sera allouée à l'aide à l'utilisation de ces semences agréées. Par ailleurs, la généralisation de l'utilisation des engrais est également au menu du dispositif 2012-2013, l'Etat garantissant que le marché sera approvisionné d'un million de tonnes d'engrais, dont 480.000 tonnes d'engrais de profondeur.