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«Sans réformes structurelles et conjoncturelles, on n'est pas à l'abri»
Publié dans Les ECO le 17 - 08 - 2012


Hicham El Moussaoui,
Professeur universitaire et expert économique.
Les Echos quotidien : Le gouvernement a fini par admettre que les effets de la crise sont bien-là, même si la situation reste sous contrôle alors que l'opposition s'alarme sur les risques qui guettent l'économie nationale. Quelle appréciation faites-vous de la situation économique actuelle du pays ?
Hicham El Moussaoui : Tout cela est de bonne guerre. Le gouvernement essaie, certes, de rassurer et l'opposition d'alarmer l'opinion mais la vérité est que la situation est assez critique. Il suffit de s'en tenir aux indicateurs économiques pour se faire une idée de l'état dans lequel est plongée notre économie. Avec un taux de croissance estimé à moins de 3%, un taux de chômage assez élevé et qui inquiète de plus en plus surtout chez les jeunes, un déficit qui tourne autour des 100 MMDH, soit à peu près 23% du PIB, il faut reconnaître la réalité des choses et si le gouvernement maintient son inertie et ne réagit pas en proposant des mesures concrètes, le pire scénario est alors à craindre.
Cela veut dire qu'après 6 mois d'exercice, le gouvernement n'a pas été en mesure de rétablir une situation alarmante. Quelles appréciations faites-vous alors du bilan de ces six premiers mois de l'action gouvernementale ?
Jusqu'à présent, le gouvernement semble subir plus qu'il ne réagit, tout cela dans une logique défensive. La coalition au gouvernement donne l'impression qu'elle veut réformer par des annonces sans pour autant aller au bout des choses. Le cas le plus illustratif est l'adoption de la loi de Finances de l'année en cours, au niveau de laquelle la touche du PJD que tout le monde attendait, s'est traduite par des «mesurettes» apportées à la loi déjà élaborée en 2011 et cela, malgré le retard accusé dans son adoption.
Pourtant le PJD a initié certaines réformes comme la hausse du prix des carburants pour entamer la réforme de la Caisse de compensation...
Il est vrai que c'est l'une des seules mesures, sinon la seule, que l'on peut mettre au bilan de ce gouvernement et cela aussi, il faudrait le nuancer. En réalité cette mesure est à mettre sur le compte de leur passif, puisque malgré les explications données, l'augmentation des prix du carburant va dans le mauvais sens. Il aurait d'abord fallu réformer et ensuite instaurer la règle d'indexation, c'est-à-dire de façon générale, mettre en œuvre le principe de «la vérité du prix». S'il est vrai que l'objectif recherché est de faire payer au consommateur le prix du produit qu'il achète, c'est-à-dire la disparition de la Caisse de compensation, la moindre des choses était de poser d'abord les préalables avec des mesures d'accompagnement avant d'instaurer la règle.
Pour revenir sur la situation économique, certains cercles économiques et politiques ont fait état de craintes sur un retour au fameux Programme d'ajustement structurel (PAS), au vu de la tendance que prennent les choses. Qu'en dites-vous ?
Il est vrai que, d'un point de vue économique, si on se réfère à l'évolution des indicateurs macroéconomiques, nous ne sommes pas loin de la situation des années 80. Cependant, il faudrait tempérer et ne pas sombrer dans l'alarmisme puisqu'à la différence de ce qui nous a conduit au PAS, la situation actuelle est rattrapable. Nous ne sommes pas encore en cessation de paiement. La variable de l'endettement public est à peu près aux alentours de 54% du PIB, ce qui est loin de la barre fatidique des 60% fixée comme repère par le FMI comme seuil d'insoutenabilité. La structure de la dette nationale fait également ressortir que près de 76%, c'est-à-dire plus des 2/3 des créanciers, sont nationaux et la plupart des dettes sont à moyen et long terme. Tout ceci permet d'atténuer les risques et de permettre à l'économie nationale de disposer de marges de manœuvre. Par contre si le gouvernement ne lance pas de véritables réformes structurelles et conjoncturelles, on n'est pas à l'abri du scénario redouté.
Justement, c'est ce qu'a promis le gouvernement en lançant des concertations au niveau de plusieurs secteurs, comme la compensation, la retraite, la fiscalité ou les marchés bancaire et financiers. Ces réformes peuvent-elles permettre un rétablissement de la situation ?
Les intentions annoncées par le gouvernement vont dans le bon sens. Il faut noter, d'ailleurs, que toutes ces réformes étaient déjà sur la table des gouvernements précédents. Nous savons presque tous ce qu'il faudrait faire, c'est aller dans l'acte, concrétiser ses promesses.
Certaines réformes sont bien avancées comme celle relative à la révision de la loi bancaire, avec l'introduction de la finance islamique. Qu'est ce qui est à attendre de positif avec ce nouveau mécanisme ?
Le secteur bancaire marocain est considéré comme l'un des plus performants d'Afrique. Cela est le résultat d'une série de réformes qui ont été introduites ces dernières années, même si depuis 2011, on constate une hausse de la marque de confiance auprès des établissements bancaires, malgré les mesures prises par la banque sur le taux directeur. Le placement le moins risqué pour les banques marocaines est de nos jours celui des bons de Trésor, ce qui exclut le financement des autres structures économiques, comme les entreprises ou les PME. Il faut relever aussi le fait que nous ne sommes qu'à près de 40% de taux de bancarisation ce qui est quand même un niveau moyen, comparé à d'autres pays qui disposent d'un secteur bancaire assez performant. C'est sur ces aspects que se situe essentiellement l'avantage de l'introduction de la finance islamique, ce que nous défendons depuis des années. Pour créer de la recherche, il faut chercher du financement et pour financer il faut épargner, surtout à long terme. Ce qui serait difficile voire impossible à atteindre avec un taux de bancarisation au niveau actuel. Par conséquent, la finance islamique permettra de développer la bancarisation, donc la mobilisation de l'épargne et le partage de risques, qui est inhérent à ce mode de financement, et va renforcer la culture entrepreneuriale qui fait défaut au Maroc.
La réforme fiscale est aussi attendue et certains analystes économiques comme le CMC plaident pour une amnistie fiscale dans le court terme, le temps que l'économie nationale se rétablisse, ce qu'exclut le gouvernement. Quels commentaires cela vous inspire-t-il ?
L'amnistie fiscale, d'un point de vue économique, est une solution tout à fait plausible surtout quand vous prenez le résultat de certaines expériences menées dans ce sens. Cependant, la réforme fiscale ne doit pas s'arrêter à cet aspect et le gouvernement dispose d'autres leviers pour mener à bien ce processus. Le problème de la fiscalité au Maroc s'articule autour de deux problèmes majeurs. D'abord, il y a trop de pression fiscale et ensuite, il y a des distorsions flagrantes au niveau des contributeurs. La réforme doit aller dans le sens de l'élargissement de l'assiette fiscale à travers la réduction des taux, ce qui permettra entre autres d'intégrer progressivement le secteur informel et d'éviter l'évasion fiscale. Ensuite, réduire les inégalités fiscales. Il y aura assurément un manque à gagner pour l'Etat, mais les résultats illustrent le fait que toutes les fois où il y a eu une réforme fiscale au Maroc allant dans le sens d'une réduction du taux d'impôt, les recettes ont par la suite augmenté.
Vous avez évoqué la nécessité de lancer des véritables réformes structurelles. Selon vous, pour quel modèle de croissance le gouvernement devra-t-il opter ?
Depuis l'indépendance, notons que notre modèle de croissance économique a été basé sur la stimulation de la demande intérieure, à travers le soutien au pouvoir d'achat, la consommation des ménages et l'investissement public, qui s'est traduit ces dernières années par les stratégies sectorielles et la politique des grands chantiers. Le dénominateur commun à ce modèle, c'est que l'Etat en reste le principal acteur au détriment du secteur privé. Au vu des résultats enregistrés à ce jour, nous constatons bien que cela a plus profité aux fournisseurs étrangers. C'est ce qui explique en partie que nous importons plus que nous exportons. L'Etat subventionne et finance, mais les recettes stagnent. Il est vrai que jusqu'en 2009, cela a permis au Maroc de s'en tirer sans beaucoup de difficultés mais avec la crise européenne, la bouée de sauvetage est crevée, mettant à nu la fragilité de notre économie et donc l'insuffisance de ce modèle. C'est pourquoi il faudrait changer de stratégie de croissance en intégrant le monde des entreprises dans son financement.
Cela suppose une collaboration avec le patronat, comment l'Etat pourra-t-il mieux impliquer le secteur privé ?
Le gouvernement doit composer avec le secteur privé de manière participative et consensuelle, c'est-à-dire à travers un vrai cadre de coopération. Le Maroc ne peut changer son modèle de croissance sans une participation du secteur privé. C'est ce qui permettra de développer l'offre marocaine et de négocier des contreparties de chaque côté, de façon à faire profiter les entreprises, notamment les PME des nombreux programmes mis en place et de lutter contre le chômage des jeunes à travers des mesures incitatives. La loi sur le partenariat public-privé va dans ce sens, il reste à définir les mécanismes et les règles de concertations entre les deux parties.
La loi de Finances 2013 est en principe en cours d'élaboration et les attentes à ce niveau sont assez énormes. Selon vous quelles sont les actions à court terme que le gouvernement doit envisager pour s'inscrire dans cette dynamique ?
La priorité à court terme, c'est que l'économie marocaine a besoin, et urgemment, d'argent, c'est-à-dire de financement. L'avantage est que nos fondamentaux sont encore solides et que le Maroc bénéficie de la confiance des investisseurs nationaux et internationaux qu'il faudrait capitaliser et renforcer. Cela nécessite d'envoyer des signaux clairs à travers une rationalisation des dépenses publiques, notamment celles de compensation, non seulement en se limitant à une hausse des prix, mais en agissant véritablement sur les prix et les revenus. L'idéal est de parvenir à rompre avec la subvention généralisée. Ensuite, il faudrait réformer l'administration publique avec sa masse salariale de plus de 90 MMDH en repensant le contrat entre employé et employeur dans une logique de mérite, de performance et de reddition des comptes. À long terme, il s'agit de repenser notre modèle de croissance en stimulant l'offre interne à travers l'investissement privé. Par la suite, il y a la nécessité de poursuivre l'édification d'un véritable Etat de droit, à travers la justice, lutter contre l'économie de rente et instaurer un environnement incitatif. Cela, conjugué à d'autres mesures comme la poursuite du dialogue social pour renforcer notre compétitivité, est de nature à rendre plus attractif le climat des affaires. Il s'agit par exemple de rendre plus flexible l'emploi au Maroc. Si on arrive à actionner ces leviers, cela attirera plus d'investisseurs.


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