* Sil est encore tôt pour parler de laprès-crise puisqu'il existe encore des risques importants, cela nempêche que le Maroc doit poursuivre ses réformes structurelles et garder lil sur son environnement externe. * Une restructuration industrielle simpose et pourrait être très utile au Maroc dans laprès-crise. * Il ne faut pas que le Royaume tombe dans un plan dajustement structurel en veillant à ne pas avoir de déficits budgétaires importants ... * Crise, stabilisation de la crise et après-crise, Abdelatif Jouahri, le Wali de Bank Al-Maghrib, nous livre son point de vue sur la démarche à suivre. - Finances News Hebdo : Hier, vous disiez que le politique ne voit pas plus loin que la traite commerciale et quil faut voir de près les mesures à entreprendre pour un développement pérenne de notre économie. Est-ce là une critique des mesures durgence entreprises au lendemain de la crise, ou bien pour celles de laprès-crise, sil y en a ? - Abdelatif Jouahri : Quand je dis le politique, ce nest pas caricatural; cest une boutade pour dire simplement quil regarde les choses presque sous la pression des évènements. Il doit faire face à des exigences internes comme les obligeances syndicales ; il est également obligé de faire face à des évènements internationaux qui influent sur léconomie marocaine comme la hausse du prix du baril de pétrole ou des matières premières Cest pour cela que je dis quil est obligé de faire face à la conjoncture de manière ponctuelle qui fait que le court terme dépasse parfois la vision à moyen terme. Pour avoir été ministre des Finances, je sais ce que cest ! Dailleurs, ce nest pas spécifique au Maroc. Tous les gouvernements doivent gérer lurgence. Ce sont ces évènements et aléas qui se succèdent et qui obligent le gouvernement à réfléchir davantage à court terme quà moyen ou long terme. - F. N. H. : Quelle est votre lecture de la préparation du Maroc à laprès-crise ? - A. J. : Dabord, il y a beaucoup dinterrogations qui se posent encore sur la sortie de crise. Jai dailleurs donné lexemple des chiffres quon attendait au troisième trimestre aux Etats-Unis et dont les résultats ont été moins forts que prévu, ce qui remet en cause même les prévisions de délais de sortie de crise. Par ailleurs, voyez ce qui se passe maintenant, notamment la crise de Dubaï qui se retrouve avec 50 milliards de dollars qui ne sont pas remboursés. Imaginez la lame de fond que cela a au niveau des marchés financiers, la confiance qui va se contracter Tout ça pour vous dire que ces prévisions sont très volatiles. Il y a encore des risques, notamment au niveau des banques européennes puisquon ne sait pas encore exactement le niveau des pertes dans leur bilan. Ce sont là autant de facteurs qui font quon ne peut pas encore parler de préparation de sortie de crise. Mais ce quil faut faire, cest procéder à une gestion de stabilisation de la crise et, en même temps, quels que soient les délais de sortie de crise, il faut plancher sur les réformes structurelles que le gouvernement est en train de mener. Et cest ça quil faut accélérer, mettre un suivi et rectifier le tir sil le faut, non pas parce que lon sest trompé, mais parce que lenvironnement extérieur nous impose une adaptation rapide. Et cest de cette manière que le Maroc pourra non seulement limiter les conséquences négatives de la crise, mais aussi être au rendez-vous dans laprès-crise. - F. N. H. : La reprise ne peut pas se faire sans demande privée, mais celle-là semble compromise par le taux élevé de chômage. En même temps, quand on limite les mesures de lutte contre la crise au maintien des emplois, on biaise les chances de maintien de la croissance et de la compétitivité. Comment faire face à ce dilemme ? - A. J. : Ce sont là des choix politiques difficiles ! On disait que dans la gestion du court terme, que veut un gouvernement ? Quil ny ait pas de malaises sociaux, de mécontentement social ou une expression brutale de ce mécontentement. Mais parfois, il me semble, personnellement, quil y a deux choses à envisager. La première est quil faut procéder à une restructuration du tissu industriel marocain. Je crois quil y a des unités qui sont viables, dautres sont viables sous certaines conditions, tandis que dautres unités sont condamnées. Les évolutions imposent que certains nont plus leur place. Ils peuvent toujours fusionner ou trouver des solutions ; cest ce que jappelle la restructuration industrielle. Il faut peut-être quil y ait une aide à cette restructuration, vraisemblablement dans le cadre démergence. Des fonds qui font que dans la compétitivité, ce sont des scénarios envisageables et envisagés. Cette restructuration est importante surtout quhistoriquement, nous avons eu des entreprises qui sont des patrimoines familiaux ou individuels; mais dans la compétition actuelle, leur restructuration devient terriblement nécessaire pour assurer leur survie. - F. N. H. : Surtout que sur le plan extérieur, la compétitivité industrielle entre les différents pays devient très difficile - A. J. : Absolument ! Quand on parle de restructuration, cest justement pour baisser le point mort au niveau des coûts. Plus ce point baisse, plus le Maroc deviendra compétitif. Dans ce cadre-là, la restructuration du tissu industriel marocain peut aider précisément dans le cadre de la préparation de laprès-crise. - F. N. H. : Et quelle serait la deuxième chose à envisager en plus de la restructuration de lindustrie marocaine ? - A. J. : Il faut également améliorer la valeur ajoutée de la production marocaine en y apportant de linnovation et des technologies modernes, sans oublier quil faut surtout connaître les marchés et sadapter à une demande extérieure de plus en plus mutante sur le plan quantitatif et sur le timing. Actuellement, les demandes se font sur de petites quantités et sur des timings limités, avec des modèles qui changent très rapidement. Et ce quon souhaite, cest développer un secteur bancaire qui puisse accompagner ces efforts par des financements aussi bien au niveau national quinternational. - F. N. H. : Dans cette configuration, quel sera votre rôle en tant que Banque centrale ? - A. J. : Notre rôle est de faire en sorte que si nous luttons contre linflation ou, au moins, que nous maintenons linflation à des taux limités, nous contribuerons à la baisse des taux qui font que, là aussi, ils concourent à lamélioration du coût global de nos marchandises et, par conséquent, à lamélioration de notre compétitivité à linternational. - F. N. H. : Quelles seraient les mesures à entreprendre en plus de ce que vous venez de citer pour ne pas tomber dans un plan dajustement, ce que, comme vous le dites, le Maroc doit absolument éviter. - A. J. : Jai vécu un Plan dajustement que jai piloté et je sais assez ce que cest pour dire que nous devons éviter cela ! Parce quun plan dajustement signifie que les équilibres macroéconomiques partent en lair. Cest-à-dire que vous faites des déficits budgétaires importants, que votre inflation part en flèche, que vos réserves de change diminuent, etc. Ça veut dire, grosso modo, que tous les éléments constitutifs de léquilibre macroéconomique commencent à flancher. Et cest pour cela que je dis : attention, cest comme ça que lon commence ! Un petit déficit, puis on pousse un petit peu Et quand le déficit augmente à linternational, les pays sen rendent compte et la prime de risque augmente aussi. Et quand vous voulez emprunter, soit vous le faites à des conditions drastiques, voire invraisemblables, soit vous ne trouvez pas preneur. Cest-à-dire que quand vous lancez votre emprunt, les gens ne souscrivent pas ou souscrivent très peu. Dun autre côté, quand vous financez le déficit sur le plan intérieur, vous avez une éviction du secteur privé. En effet, si vous voulez lutter contre linflation et que lEtat prenne le gros des financements intérieurs, cela veut dire que vous marginalisez le secteur privé et son financement. De ce fait, vous entrez dans un cercle qui nest pas vertueux; par conséquent, vous aboutissez à des situations où parfois vous devez passer par un programme dajustement structurel avec des mesures invraisemblables. - F. N. H. : À votre avis, en matière de finances publiques, comment peut-on justement améliorer les recettes fiscales et maîtriser les dépenses sans pour autant compromettre la croissance ni accabler le secteur privé ? - A. J. : Dabord, jongler nest pas aussi simple en vue davoir les résultats escomptés. Alors on essaye ! Pour répondre à votre question, il faut maîtriser la dépense par loptimisation de la recette et la rationalisation de la dépense. Évidemment, cest ce que le gouvernement a fait durant ces dernières années, puisque les recettes ont augmenté de façon importante grâce notamment à la révision des règles fiscales. On a également essayé daller vers des niches en enlevant tout ce qui est exonéré sans justification de cette exonération. On a également amélioré le recouvrement et la productivité. Cest vrai quil y a eu des résultats intéressants. Maintenant, le problème est quil ne faudrait pas que la dépense participe au maximum à la création de richesse. Cette dernière ne passe que par une amélioration de la productivité - F. N. H. : Et la Loi de Finances 2010, dans quelle mesure pensez-vous quelle a préservé le pouvoir dachat des citoyens et comment appuie-t-elle les chantiers sociaux comme le développement durable, à titre dexemple ? - A. J. : La Loi de Finances 2010 a pris à cur le fait de préserver le pouvoir dachat et de participer à la demande interne en baissant certains impôts et en maintenant le soutien à la Caisse de Compensation, en prévision dune hausse du prix du baril de pétrole. Sans oublier leffort monumental pour soutenir linvestissement public. En même temps, la Loi de Finances a prévu des réformes structurelles denvergure, notamment dans les secteurs de la Santé, de lEducation et de la Justice. Dailleurs, pour cela, il a fallu creuser un peu le déficit qui passe de 2 % à 4,5 % en 2010, mais ce nest pas bien grave. Il est vrai que cette Loi a été élaborée sur un certain nombre déléments comme un prix du baril à 75 dollars, en plus des prévisions faites par les organisations internationales. Maintenant, lenvironnement change de manière rapide et le prix du baril peut repartir à la hausse à cause de la baisse du Dollar ou au moindre incident sur le plan international, notamment une guerre contre lIran. Ce quil faut, cest que le Maroc poursuive ses réformes structurelles au niveau interne tout en assurant un suivi et une évaluation de ses efforts pour pouvoir être réactif et rectifier le tir sil y a lieu. Cest ce quil faut quand on évolue dans un environnement qui change rapidement. - F. N. H. : Vous disiez que le souhait est de développer un secteur bancaire à même de soutenir les efforts dinvestissements, mais le contexte de crise semble durcir les conditions daccès au financement. Et la réunion de novembre avec les banques sur la hausse des taux, à quoi a-t-elle abouti ? - A. J. : Nous nous sommes réunis avec les banques le 26 novembre plus exactement. Les banques affirment ne pas avoir touché aux conditions daccès au crédit pour tout ce qui relève du domaine social et celui des PME. Pour le reste, il y a eu une réévaluation de la prime de risque. Chaque banque évalue la conjoncture pour établir cette prime. Chacun est libre dans ses décisions. Le secteur étant libéralisé, il ne faut donc pas tomber dans la concertation entre les banques. Nous veillons à la concurrence et la compétitivité entre ces dernières et tout acte de concertation ou dentente sera sanctionné ! - F. N. H. : Depuis quelques semaines, nous avons en des échos sur la frilosité de certaines banques à accorder des crédits à des particuliers, de même que certains clients assurent sêtre vu appliquer des taux en hausse. - A. J. : Je voudrais passer ce message : les organes de presse et des médias ne doivent pas relayer des rumeurs. Ils nont quà venir vers nous pour avoir toutes les informations fiables. Bank Al-Maghrib défend justement sa crédibilité à travers le travail continuel sur la communication. Et nous sommes ouverts pour répondre à toutes les questions. Pour revenir à votre question, il faut signaler que lenquête trimestrielle de BAM na révélé aucune exagération. Il ny a rien à signaler dans ce sens. Pour tout vous dire, au moment de la crise, BAM fournissait toute la liquidité nécessaire dont le secteur bancaire avait besoin, de 15 milliards de DH, jusquà atteindre 22 milliards par semaine. En contrepartie, il nétait absolument pas question de durcir les conditions du crédit de la clientèle touchée par la crise. - F. N. H. : La centrale de risque était attendue pour fin octobre. Où en êtes-vous ? - A. J. : Elle a démarré le 26 octobre. Sil y a eu du retard, cest essentiellement parce quil fallait se faire accompagner de partenaires ayant une expérience en la matière, mais aussi par ce quil y a eu des changements apportés à larchitecture du projet. Les premières consultations commencent à venir. Si certaines banques sont encore en retard, il faut le comprendre, car il faut mettre toute une plate-forme informatique et des ressources humaines en place. Le crédit-bureau ou la globalisation de linformation financière est un élément très positif pour le Maroc.