L'épargne longue fait défaut et les investissements peinent à se financer. Les responsables marocains tirent aujourd'hui la sonnette d'alarme parce que depuis les trois dernières années, les ressources collectées par les banques restent largement en deçà des besoins de financement de l'économie. En 2010, les crédits ont évolué à un rythme plus élevé que celui de l'épargne. Le ratio crédits-épargne a dépassé 100%, contre 77% en 2007. Ce qui en dit long sur la problématique de financement des nouveaux investissements.Un déficit structurel de financement est enregistré avec des investissements évoluant à un rythme accéléré depuis 2007 et une épargne qui les couvre de moins en moins.Conjugué aux besoins grandissant du Trésor, ce déficit se matérialise par un renforcement de la tension sur la liquidité que connaît déjà le secteur bancaire. D'après une étude de la BEI sur la promotion de l'épargne privée à long terme au Maroc, cette situation est caractérisée par une croissance continue du rythme de progression des crédits par rapport aux dépôts : le taux d'emploi a évolué de 76,5% en 2002, 87,3% en 2009 à 94% au premier trimestre 2010. Plus encore, depuis 2008, le taux d'investissement approche en moyenne 35% alors que le taux d'épargne ne dépasse pas 30%. Cette sous-liquidité est attribuée tant à la baisse des recettes des privatisations, ayant alimenté la surliquidité, qu'à l'accroissement de la consommation. Cette dernière s'accroît plus rapidement que le PIB et près de la moitié de la consommation des ménages et des entreprises porte sur des biens importés. Ce qui signifie qu'une partie des investissements financés par les banques se retrouve sur les marchés étrangers, et non plus en épargne au travers des salaires. Selon les auteurs de cette même étude, la crise, avec son lot de baisse des transferts courants, principalement les envois des MRE, les recettes touristiques et les investissements directs étrangers, est venue compliquer la donne. En plus d'être insuffisante, l'épargne nationale souffre d'une faiblesse du mécanisme de transformation en investissements productifs et d'alignement avec les objectifs de développement. Une tendance qui pourrait influer négativement sur les comptes nationaux. «A ce rythme, et si rien n'est fait pour redresser la situation, les équilibres macro-économiques, mis en place depuis une dizaine d'années, risquent d'être rompus», avertissent les analystes. Chiffres à l'appui, pour les deux années à venir les besoins d'investissement atteindront 230 milliards de dirhams, soit 30% du PIB. Ceci impose une meilleure mobilisation de l'épargne. «Or, le type d'épargne est incompatible avec le financement des grands projets étalés sur le long terme.70% de l'épargne au Maroc est constituée de placements liquides à court terme ne permettant pas le financement d'investissements structurants. L'épargne de moyen et long termes (bons du Trésor, OPCVM, titres de sociétés, épargne institutionnelle, obligations, fonds d'investissements) reste limitée autour de 6% du PIB», fait-on remarquer. Plusieurs facteurs expliquent cette situation, dont le plus important est le faible taux de bancarisation. La sous-liquidité inquiète Au Maroc, la bancarisation reste à la traîne dans un secteur financier pourtant doté de tous les atouts. Le «bas de laine» ou la thésaurisation est toujours de mise dans un Maroc qui veut s'intégrer dans les grands marchés financiers mondiaux.Le constat est fait par le gouverneur de Bank Al-Maghrib. Selon Abdellatif Jouahri, la situation de la sous liquidité bancaire, qui inquiète les milieux financiers, est le résultat du faible taux de bancarisation. Celui-ci a atteint 47% avec le nouveau réseau d'Al Barid Bank, alors que dans les zones rurales, il n'est que de 6%. Une misère financière pour les banques ! Dans les zones rurales et jusque dans les montagnes de l'Atlas, toutes les transactions se font toujours en liquide. Même si les banques sont installées un peu partout dans le pays profond, le commerce reste collé aux vieilles habitudes : «donnant-donnant», et en liquide. Les opérations de banque restent un privilège. «Un effort devrait être déployé en direction de la bancarisation ainsi que de la petite et moyenne épargne. La finalité est de surpasser cette situation qui persiste depuis 2007», estime A. Jouahri. «L'objectif d'un taux de bancarisation de 50% en 2011 est vraisemblablement à portée de main, surtout après le lancement de la banque postale Al Barid Bank», a-t-il affirmé. Le plus des caisses Une des missions de la Caisse de dépôt et de gestion (CDG) est le développement de l'épargne, sa transformation en emplois d'utilité collective et l'animation des marchés financiers. C'est dans ce cadre que s'est inscrit le premier forum des Caisses de dépôt, organisé le vendredi 21 janvier 2011 à Marrakech par la CDG. Lors de cet événement, qui se veut désormais un rendez-vous bisannuel et dont la prochaine édition se tiendra en France, les différents intervenants ont mis, d'une part, l'accent sur le rôle des Caisses de dépôt dans la promotion, la collecte et la mobilisation de l'épargne et, de l'autre, sur leur rôle dans la transformation de celle-ci en investissements à long terme. D'après Anass Alami, directeur général de la CDG, «l'objectif de ce Forum est de constituer une plate-forme d'échanges et de dialogues entre nos institutions. Il est important de partager et de diffuser notre modèle économique aussi bien à l'échelle nationale que régionale et internationale, de promouvoir notre rôle dans la mobilisation et la transformation de l'épargne réglementée en investissements productifs et enfin de promouvoir des modes d'intervention et de partenariat originaux, au service des économies nationales, sur un horizon de long terme». Selon le DG de la CDG, des synergies serontà rechercher avec le Club des investisseurs de long terme et l'Institut Mondial des Caisses d'Epargne, notamment sur l'élaboration de principes et de positions communes à défendre sur leurs comportements d'investisseurs, avec des engagements de passif sur des horizons de long terme. Dans ce sillage, il convient de noter que certaines Caisses de dépôt, notamment celles du Maroc, de France et d'Italie, se sont fixé comme objectif la création d'une Caisse publique pour mieux mobiliser l'épargne. «Cette Caisse publique devra s'intéresser aux Maghrébins et non pas uniquement aux Marocains résidents à l'étranger. Pour la mobilisation de l'épargne relative à cette cible, un fonds d'investissement a été mis en place. Il pourrait être notamment dédié aux infrastructures. Tout cela est en train d'être élaboré. En outre, le choix du modèle approprié représente une solution attractive pour capter l'épargne de long terme et la transformer en investissements productifs. En témoigne la création récente d'une Caisse des Dépôts en Tunisie et au Gabon. Ce premier forum a mis les jalons d'une charte qui énonce ses principes fondamentaux et «constitue le socle fondateur d'une réflexion plus approfondie sur la forme organisationnelle». Signée lors de cette première rencontre à Marrakech, la Charte prévoit d'établir un comité de coordination qui se penchera sur le programme d'activités du Forum et sur les aspects organisationnels, notamment en termes de statut juridique.Dans ce cadre, des regroupements régionaux et des initiatives communes sont prévus de façon à aller vers une meilleure mobilisation de l'épargne et un meilleur financement du long terme. «L'épargne à court terme est effectivement prépondérante au Maroc.» Anass Houir Alami, directeur général de la CDG. Entretien réalisé par F-z jdily L'Observateur du Maroc. Quel est l'objectif du forum organisé par la CDG à Marrakech ? Anass Houir Alami. L'objectif du forum est de rassembler les caisses de dépôt qui existent déjà autour de la même table et également d'inciter d'autres pays à comprendre et à promouvoir ce modèle économique. L'objectif est également de signer la charte du forum qui permettra à un comité de coordination de se pencher sur les détails de la mise en place du forum que cela soit en termes d'organisation annexe ou en termes juridiques. Vous avez choisi comme thème l'épargne et son rôle dans l'investissement. Qu'est ce qui explique ce choix ? On pense que l'épargne est la problématique majeure des pays qui sont en voie de développement et qui cherchent à investir massivement pour rattraper le retard en termes d'infrastructures et en termes de développement économique et social de manière générale. Je pense que ce thème est très bien adapté pour être le premier thème à partager avec toutes les caisses sachant que beaucoup de pays africains sont présents parmi nous aujourd'hui. Souvent, il est dit que le Maroc a du mal à mobiliser l'épargne longue pour l'investissement, qu'en pensez-vous ? Je ne suis pas tout à fait d'accord. En tout cas et statistiquement, par rapport à d'autres pays, nous avons un taux d'épargne qui est relativement élevé et donc nous pouvons être satisfaits. Maintenant, le rythme de croissance et le rythme d'investissement sont tels que, effectivement, cette épargne, même si elle est élevée, n'est pas suffisante pour maintenir le rythme des investissements qu'on a lancés ces dernières années. L'étude qui a été lancée par la CDG révèle qu'il y a plusieurs pistes dont certaines ont été déjà entamées et entreprises. On peut citer au moins la bancarisation, les incitations fiscales, l'innovation financière,ou encore la possibilité de lancer de nouveaux produits qui s'adaptent mieux au profil des épargnants, notamment et surtout de la petite épargne. Mais quand on dit que l'épargne fait défaut au Maroc, on fait beaucoup plus allusion à l'épargne longue qui est censée être mobilisée en faveur de l'investissement… L'épargne à court terme est effectivement prépondérante dans l'épargne au Maroc. Les incitations fiscales qui ont été lancées notamment dans le cadre de loi de finance 2011 ont justement pour objectif de prolonger et d'allonger la maturité de l'épargne. Souvent quand on mobilise l'épargne c'est pour financer l'immobilier, est-ce toujours vrai ? L'immobilier est un secteur stratégique au Maroc. Du moment que le logement est une priorité, il est donc une priorité nationale et une priorité pour tous les Marocains.Je pense que c'est une bonne chose finalement d'avoir une épargne qui se dirige vers l'immobilier. Néanmoins, ce n'est pas tout. On peut citer au moins l'initiative d'Inframed, forum d'infrastructure qui dirige justement une partie de l'épargne en investissement vers l'infrastructure. On peut parler également du tourisme.Une bonne partie de l'épargne est investie dans ce secteur. D'une manière générale, l'épargne au Maroc est canalisée vers des projets qui rentrent dans le cadre des plans sectoriels.