La gestion de la crise sanitaire nécessite-t-elle la formation d'un gouvernement de technocrates ou encore d'union nationale? Sur le plan constitutionnel, cette option est peu probable. Les partis politiques, hormis l'USFP dont le chef de file était l'initiateur de l'idée d'un gouvernement d'union nationale, écartent ce scénario et plaident pour le respect du choix démocratique et des dispositions constitutionnelles. Le Maroc a-t-il besoin d'un gouvernement composé de technocrates ou d'un gouvernement d'union nationale pour gérer la situation actuelle ? La question est soulevée, depuis quelques jours, dans presque tous les débats sur la gestion de la crise sanitaire déclenchée par le Covid-19. C'est le premier secrétaire du parti de la rose, Driss Lachgar, qui avait ouvert le bal, il y a quelques semaines, en évoquant la nécessité d'un gouvernement d'union nationale composé de la majorité et de l'opposition pour faire face à la crise sanitaire. Une idée jugée farfelue par plusieurs partis politiques qui pointent du doigt une tentative de porter l'estocade au processus démocratique. Cette proposition est «injustifiée en raison de l'absence d'une crise politique au sein de la coalition gouvernementale», selon Saâd Dine El Otmani. Le parti de la lampe défend bec et ongles le bilan actuel du gouvernement. Dans un communiqué de son secrétariat général, le PJD «rejette tout discours visant à porter atteinte au choix démocratique en prétextant l'efficacité dans la lutte contre les répercussions de la pandémie». Même son de cloche au sein des composantes de l'alliance gouvernementale. Mustapha Baitas, député et membre du bureau politique du RNI, estime que le royaume ne vit pas une crise politique mais connaît plutôt des circonstances économiques difficiles à cause de la pandémie. Et de préciser que la reddition des comptes devra se faire dans les urnes, lors des prochaines élections. Même du côté de l'opposition, qui soutient le gouvernement depuis le déclenchement de la crise sanitaire, l'idée d'un gouvernement de technocrates ou d'union nationale est vertement critiquée. Le PAM, première force numérique de l'opposition, rejette ce scénario par la voix de son secrétaire général, Abdellatif Ouahbi. Le chef de file du parti du tracteur dégaine et tire sur les initiateurs de cette idée. Le Parti de l'Istiqlal et son secrétaire général, Nizar Baraka, abondent dans le même sens. Le dernier communiqué du comité exécutif du parti de la balance est on ne peut plus clair: «Le comité exécutif rejette toutes les tentatives de détournement du processus démocratique et du développement politique de notre pays, et réaffirme son attachement au choix démocratique en tant que l'une des constantes constitutionnelles à laquelle on ne peut pas porter atteinte et au mécanisme électoral en tant que déterminant fondamental pour la formation des institutions élues et la gestion des affaires publiques». Du côté du PPS, on parle de la même voix. Le chef des progressistes, Nabil Benabdellah, a affirmé à plusieurs reprises qu'un gouvernement d'union nationale n'était pas à l'ordre du jour et qu'il faut respecter le processus et les choix démocratiques. Par ailleurs, les partis politiques, notamment ceux de l'opposition, défendent l'impératif d'un nouveau pacte politique pour restaurer la confiance perdue dans les institutions et insuffler une nouvelle dynamique à la vie politique au lieu de renforcer l'image des technocrates au détriment de celle des acteurs politiques. Le débat sur la composition d'un gouvernement de technocrates ne sert pas la démocratie, selon nombre de politiciens et d'observateurs. Le développement tant escompté est en effet tributaire du rôle que doivent jouer les formations partisanes. Celles-ci ont un rôle important et sont des rouages vitaux pour exercer la démocratie. Les chefs de file des partis politiques reconnaissent par ailleurs qu'il faut redresser les dysfonctionnements qui ternissent l'image de l'échiquier politique. Le rajeunissement des élites politiques, la démocratie interne, la transparence en matière d'accréditation aux élections, les alliances pré-électorales sont autant de préalables pour gagner le pari de la confiance. Abdellatif Ouahbi Secrétaire général du Parti authenticité et modernité ( PAM) Que pensez-vous du débat sur un gouvernement d'union nationale ou de technocrates ? L'appel à constituer un gouvernement d'union nationale ne peut provenir que d'une partie qui n'est pas démocratique. Je n'arrive pas à comprendre le raisonnement de ceux qui prétendent que les technocrates gèrent mieux les affaires publiques que les politiciens. C'est une logique qui n'est pas saine. Et je ne comprends pas non plus pourquoi elle a été évoquée en cette conjoncture. Certes, on a des observations et des critiques concernant la gestion gouvernementale. Mais le gouvernement a la légitimité politique. Il faut respecter la volonté du peuple. Soulever cette idée relève de surenchères insensées. Un gouvernement de technocrates n'est acceptable ni sur le plan moral, ni sur le plan constitutionnel. Croyez-vous que le report des élections est possible ? Rien ne justifie le report des élections pour le moment. Le Maroc peut être au rendez-vous car les choses marchent normalement. Les éléments du report des élections ne sont pas réunis, et le temps est suffisant pour tenir les législatives à temps. Vous avez déjà dit qu'en cas de report des élections, le Maroc aura besoin d'un gouvernement d'union nationale… Il est prématuré de soulever cette question. Dans le cas où les élections seraient reportées, il faudrait voir plusieurs volets dont la composition du gouvernement d'union nationale, qui le présiderait… Je pense que ce débat n'est pas à l'ordre du jour. Les discussions sur les lois électorales entre le gouvernement et les partis politiques reprendront après la fin du confinement. Quid du plan constitutionnel ? La composition d'un gouvernement de technocrates est anticonstitutionnelle car la loi fondamentale stipule la nomination du chef de gouvernement au sein du parti politique en tête des élections des membres de la Chambre des représentants. Selon plusieurs spécialistes du droit constitutionnel, la composition d'un gouvernement de technocrates ou d'union nationale n'est possible qu'en cas de proclamation de l'Etat d'exception (article 59 de la Constitution). Sauf que ce scénario n'est envisagé que «lorsque l'intégrité du territoire national est menacée ou que se produisent des événements qui entravent le fonctionnement régulier des institutions constitutionnelles». Il est aussi possible de mettre fin à l'action du gouvernement par le recours à la motion de censure pour mettre en cause la responsabilité de l'Exécutif (article 105). La motion de censure n'est recevable que si elle est signée par le cinquième -au moins- des membres composant la Chambre des représentants, et n'est approuvée que par un vote pris à la majorité absolue des membres qui la composent. Cette option est peu probable au vu des positions des partis politiques, du moins pour le moment.