Arnaud Montebourg réussira-t-il en 2012, là où ses prédécesseurs, Jean-Louis Borloo puis Laurent Wauquiez ont échoué respectivement en 2004 et 2010, à faire rapatrier les centres d'appels français externalisés, en vue de sauver des emplois dans l'hexagone ? La réponse est encore en suspens mais la réelle volonté du ministre français du Redressement productif inquiète au Maroc. Cela, en dépit de la sérénité affichée par les opérateurs nationaux regroupés au sein de l'Association marocaine de relation clientèle (AMRC) et de la Fédération des technologies de l'information, des télécoms et de l'offshoring (APEBI). Cette dernière vient d'ailleurs de tenir son Conseil d'administration consacré pour l'essentiel, à la réorganisation institutionnelle de la Fédération affiliée à la CGEM, mais s'est également penchée sur les voies et moyens permettant de maintenir la dynamique de croissance que connaît le secteur. Entres autres mesures prises, la préparation d'un bilan commun sur le Plan Maroc Numeric dans le cadre de commissions mixtes, en collaboration avec le ministère de tutelle, prévues pour la fin de l'année, le développement des veilles sur les marchés pour permettre à des entreprises membres de saisir de nouvelles opportunités, ainsi que l'élargissement des offres sectorielles. En clair, il s'agit de la définition de nouveaux outils de développement pour le secteur de l'offshoring, afin d'atténuer les menaces qui risquent de briser l'élan pris par le secteur. «Le débat sur le rapatriement des centres d'appels français, qui va beaucoup impacter le secteur au Maroc, n'est que la partie visible de l'iceberg, ce ne sera pas le seul qui sera concerné, d'où l'impératif de redéfinir la feuille de route sectorielle», avertit un opérateur du secteur. Même son de cloche auprès de cet expert des relations franco-marocaines qui affirme que: «on est plus dans la symbolique que dans la réalité économique des choses. La crise en Europe est beaucoup plus endémique. Ce n'est pas le rapatriement de quelques milliers d'emplois qui va permettre de remédier à cette problématique de l'emploi. Il faudrait pour cela trouver d'autres gisements de croissance et c'est cela qui constitue le véritable enjeu. Cela implique qu'il nous faut définir de nouveaux modèles de partenariats, plus cohérents et équilibrés et dans ce sens, nous devrons explorer de nouvelles rives». En clair, avec ce débat sur les centres d'appels, c'est tout le secteur de l'Offshoring qui retient son souffle. Un enjeu de taille pour le Maroc, puisque ce secteur fait partie des chantiers prioritaires du Pacte pour l'émergence industrielle. Autant dire près de 40.000 emplois au Maroc qui sont menacés et 100.000 à l'horizon 2015, si l'on se base sur les prévisions du Pacte émergence. Il est vrai que les opérateurs français ne constituent qu'un des marchés du Maroc, mais il en est le plus gros client. Quoique, quelques observateurs préfèrent nuancer: «Le Maroc ne va pas beaucoup souffrir du rapatriement des centres d'appels, puisque cela dépend aussi des enjeux compétitifs pour les entreprises françaises. Il faut appréhender la question dans le cadre plus global des échanges commerciaux entre la France et le Maroc car beaucoup d'entreprises, notamment du CAC 40, sont présentes au Maroc. Il est nécessaire de s'adapter à la nouvelle configuration commerciale mondiale, qui ne s'inscrit plus dans le sens logique de délocalisation-relocalisation mais dans de nouveaux modèles de partenariats». Mesure compliquée Le combat d'Arnaud Montebourg n'est pas gagné d'avance. Preuve en est sa proposition faite mardi dernier, aux responsables des quatre principaux opérateurs français qui sont les plus indexés : SFR, Bouygues Telecom, Orange et Iliad (Free mobile), de rapatrier des centres d'appels en contrepartie de lignes payantes, n'a pas beaucoup convaincu chez les opérateurs français. Il faut dire qu'au Maroc, également, cela ne semble pas alarmer les opérateurs. «Plusieurs centres d'appels installés au Maroc sons des sous-traitants qui emploient également des français dont certains sont également actionnaires», nous confie le responsable d'un call center installé à Casablanca. Si pour le gouvernement français, l'enjeu est de sauver des emplois, les opérateurs eux sont plus préoccupés par les risques de «hotlines payantes». «La question qui se pose actuellement est de savoir si les consommateurs français pourront accepter une légère hausse de prix en contrepartie de la relocalisation d'emplois, qui sont en train d'être détruits?», s'interroge Montebourg. Visiblement pas et c'est pour cette raison que certains opérateurs demandent au gouvernement de revoir la problématique sous un double aspect social, certes mais aussi économique. Pris comme argument, le critère économique tourne à l'avantage du Maroc comme le souligne, Stéphane Richard, le PDG d'Orange qui fait remarquer que «ces délocalisations se font pour des raisons économiques, le coût des services en question est deux à trois fois plus bas dans les pays où ces centres ont été localisés». À cela s'ajoutent aussi d'autres facteurs qui tendent à amplifier la complexité de traduire en acte la volonté de Montebourg. «Il y a aussi la question de la disponibilité horaire, nos clients exigent d'avoir une présence téléphonique 24H/24, 7 jours sur 7, y compris les jours fériés. Jusqu'à ce jour, il est strictement impossible d'organiser cette disponibilité continue avec les salariés du groupe en France», a indiqué le PDG d'Orange à l'issue de leur rencontre de mardi dernier avec le ministre français du Redressement productif et son homologue déléguée à l'Economie numérique, Fleur Pellerin. En attendant la suite des consultations que mènent les autorités françaises et ce qui en sortira, au Maroc l'heure est au bilan. Pour beaucoup d'opérateurs nationaux, c'est l'occasion de revoir le modèle économique national et de se pencher notamment sur de nouveaux modèles de partenariats. La France est, en effet, le premier partenaire commercial du Maroc et ce premier couac amplifie les effets de la crise économique au niveau interne. Cela tombe bien, les deux pays se préparent à baliser un nouveau modèle de coopération, dans le sillage du contexte économique et sociopolitique actuel. Le sommet de haut niveau marocco-français prévu d'ici la fin du mois, sera à tout point de vue décisif. Point de vue Abdelkader Aâmara, Ministre de l'Industrie, du commerce et des nouvelles technologies. L'offshoring est un secteur d'activité très volatile. Il l'a toujours été et il le restera. Aujourd'hui, un travail d'adaptation est nécessaire. Au sein du département que je dirige, j'ai dit qu'il fallait absolument établir une veille efficace pour déceler les nouvelles tendances. Ce qui est évident pour nous est que là où il y a le plus d'activités et de risques, c'est au niveau des centres d'appel. C'est le secteur le plus employeur. Sur les autres activités de l'offshoring, c'est assez stable. Beaucoup d'entreprises, même du CAC 40 par exemple, sont présentes sur ce domaine. Il faudrait juste donner à cet acquis une dimension entrepreneuriale et d'affaires plus grande. C'est ce qui était entendu par la création de nouvelles zones offshore à Fès, Tanger et ailleurs, pour permettre à ces entreprises d'entreprendre leur extension. Sur la question de l'offshoring en général, et compte tenu de la volatilité du secteur, nous sommes en train de penser à lancer une étude qui va nous permettre de voir plus clair dans le secteur, de le repositionner. Par ailleurs, et c'est là une idée qui devra être confirmée suite à l'étude, Il faudrait que nous opérions un virage dans le sens de rendre notre offshoring plus global, parce que jusqu'à présent, il a surtout été francophone. Sur un plan global, le marché anglophone, qui est quasi écrasant dans l'ensemble, avec une part de près de 80%, est une opportunité pour le Maroc. D'emblée, toutefois, je peux dire qu'il faut rester aux aguets. Par exemple, si les choses se normalisent au Sénégal, le pays peut devenir une destination intéressante. Je reste néanmoins confiant. La conjoncture actuelle confère au Maroc une position privilégiée, du fait de sa stabilité, nécessaire pour les investissements de longue durée.