En ces temps de confinement et d'Etat d'urgence, les revenus s'amenuisent et la capacité de pouvoir tenir ses engagements auprès des établissements financiers devient de plus en plus problématiques pour bon nombre de salariés et entreprises en difficulté. C'est dans ce sens que le Comité de veille économique (CVE) a mis en place, en mars dernier, une batterie de mesures qui permettra le report des échéances bancaires des mois de mars, avril, mai et juin. Un dispositif qui devrait s'effectuer sans paiement de frais ni de pénalités, chose qui devrait davantage alléger le poids de la dette des ménages. Or, sur le terrain, les explications des banquiers sont souvent incomprises par le consommateur qui ne comprend pas pourquoi il va au final payer un surcoût. «C'est une tâche hasardeuse à laquelle se prêtent les banques aujourd'hui. Elles ne manquent pas une occasion pour dégager une marge confortable, mais cette fois-ci, elles le font sur le dos de la misère de la population», s'insurge Ouadi Madih, président de l'association de protection du consommateur UNICONSO. «Le moment est à la solidarité comme le stipule le CVE à travers ses mesures, et non à l'appât du gain», poursuit-il, laissant entendre qu'il faut saisir le chef de gouvernement, le ministère de tutelle et les autorités compétentes. «Attention, il ne s'agit pas exactement de frais supplémentaires, ni de traite additionnelle. Toute franchise ou report d'échéances implique que le remboursement du capital est suspendu, mais les intérêts qu'il génère sont capitalisés et additionnées au capital restant dû au moment de la reprise des remboursements du crédits», justifie un banquier de la place. Et d'ajouter: «c'est peut-être cela qui donne l'impression qu'une pénalité a été appliquée. Mais effectivement, on peut parler de surcoût comme dans n'importe quelle opération de franchise». Pour rappel, le président de la CGEM avait adressé un courrier au GPBM reprochant aux banques d'augmenter leurs marges et la tarification des emprunts et d'appliquer des intérêts supplémentaires au lieu de supprimer toute pénalité. Des accusations jugées inadmissibles par le groupement des banques. Un dossier qui a semble-t-il été classé sans suite… jusqu'à cette semaine, où l'opposition a exposé, lors de la session parlementaire devant le ministre des Finances, toutes les « exactions » des banques. Le Parti authenticité et modernité (PAM) va plus loin et pense non seulement que les banques n'auraient pas «respecté les décisions du comité», mais qu'elles auraient de surcroît «augmenté l'intérêt jusqu'à 200% dans certains cas». Dans une question écrite adressée au ministre de l'Economie et des finances, le parlementaire PAMiste Aziz Lebbar a souligné que les banques marocaines ne se sont pas pleinement engagées dans leur mission de limiter les effets de la crise sanitaire, économique et sociale, et ce bien qu'elles soient membres du CVE. Lebbar souligne également que les banques marocaines ont créé plusieurs conditions supplémentaires qui alourdissent la charge des contrats, affirmant que la «ligne de prêt supplémentaire» garantie par la CCG pour soutenir les TPME, censée être accordée au taux d'intérêt de Bank Al-Maghrib (2%), est accordée à un taux de 14% auprès des banques, sous prétexte de couvrir les dépenses. Le parlementaire du Parti de l'Istiqlal (PI) Lahcen Haddad a également saisi le ministère des Finances pour lui rappeler la nécessité d'inciter les banques à reporter le paiement des prêts au logement et à la consommation aux familles ainsi qu'à adopter des mesures audacieuses pour sauver le tissu entrepreneurial. Il appelle également le ministre à veiller à ce que les autorités de tutelle coordonnent avec Bank Al-Maghrib la modification du taux d'intérêt de référence afin de soutenir les entrepreneurs en difficulté et les aider à sortir de cette crise avec un minimum de dégâts. Dans sa missive, Haddad espère la mise en place de plus de mécanismes audacieux en vue d'accorder des prêts aux PME touchées par la pandémie. «Ces prêts pourraient être remboursables sur une période de cinq ans et sans intérêt, avec une première échéance payable dans un an», propose-t-il. Pourtant, cette polémique autour des frais supplémentaires et les pénalités de retard aurait pu être évitée, comme le précise Ouadi Madih. «L'article 149 de la loi 31-08 édictant des mesures de protection des consommateurs offre la possibilité de prétendre à un délai de grâce pouvant aller jusqu'à 24 mois et exempte de tout intérêt», explique-t-il. Ce texte de loi octroie ainsi au débiteur, après saisine du président du tribunal, de bénéficier d'une suspension des échéances bancaires en cas de licenciement ou de situation sociale imprévisible. «En outre, le juge peut déterminer dans son ordonnance les modalités de paiement des sommes qui seront exigibles au terme du délai de suspension, sans que le dernier versement puisse excéder de plus de deux ans le terme initialement prévu pour le remboursement du prêt; il peut cependant surseoir à statuer sur ces modalités jusqu'au terme du délai de suspension», soumet l'article 149. Selon Madih, si le consommateur n'arrive pas à obtenir un accord écrit avec la banque sur la suspension gratuite de son crédit, il pourra s'adresser au tribunal de commerce pour obtenir ce «délai de grâce». «Généralement, les juges accordent une année de suspension, cela reste mieux que ce qu'offrent actuellement les banques et le CVE», conclut-il.