«Le retard dans l'adoption de la loi de finances peut être une stratégie d'austérité déguisée», lançait sous forme de boutade, Mohamed Berrada, président du centre de recherche Links, à l'occasion d'un exposé sur les perspectives économiques du royaume, présenté la semaine dernière à Casablanca. Toutefois, au-delà de l'aspect ironique de cette assertion, celle-ci peut prendre tout son sens, si elle est mise en perspective d'une des mesures que pourrait comprendre la refonte de la loi organique de finances. En effet, parmi les propositions que comprend cette réforme, il convient de relever celle qui a trait à l'interdiction des reports de budgets d'une année à l'autre. Si cette mesure est effectivement adoptée d'ici à la fin de l'année, cela impliquerait que le Budget adopté au titre de l'année 2012, devra être consommé en six mois vu que l'exécution de ce dernier ne va commencer effectivement qu'au deuxième semestre. Dans cet ordre d'idées, le retard dans l'adoption de la loi de finances représente une chance pour l'Exécutif, qui pourrait ainsi profiter du fait que le calendrier d'exécution du Budget soit tronqué d'un semestre. Climat d'attentisme Cela permettrait notamment au gouvernement d'éponger une partie des charges de compensation, qui s'annoncent faramineuses cette année dans un contexte de renchérissement des matières premières et surtout de l'explosion de la facture énergétique. Néanmoins, faute de réformer la Caisse de compensation de manière imminente, les décideurs pourraient profiter de ce subterfuge pour limiter les dégâts des charges de compensation. Toutefois, il ne faut pas se leurrer, ceci ne représente qu'un jeu d'écriture et les charges de compensation continueront, jusqu'à ce que le système de subventionnement soit réformé, à représenter littéralement un boulet pour les finances de l'Etat. Plus encore, dans la configuration actuelle, les finances de l'Etat devraient souffrir d'un déficit budgétaire important. Pire, le retard enregistré dans l'adoption de la loi de finances est du plus mauvais effet pour l'économie marocaine. En effet, ce retard a clairement impacté la conjoncture nationale en l'installant dans un climat d'attentisme. Plus encore, les investissements publics représentent la principale locomotive de l'économie nationale, en tant que première composante de la demande intérieure. Or, le retard enregistré dans l'adoption de la loi de finances a eu pour effet de geler ces investissements pendant des mois. Les prestataires de l'Etat en savent quelque chose, puisqu'ils se plaignent du fait que les marchés publics ont été quasiment gelés, en attendant l'attribution des budgets des différents départements. De plus, cela devrait se gréver significativement sur la croissance nationale en 2012. Une croissance qui, rappelons-le, subit déjà la rétraction de la demande extérieure adressée au Maroc, du fait de la conjoncture difficile qui a lieu chez nos principaux partenaires européens, et surtout une campagne agricole en dessous de la moyenne. In fine, la conjoncture économique nationale fait face à une adversité certaine et le retard dans l'adoption de la loi de finances ne fait que s'ajouter à ses difficultés. «Nous aurions pu adopter le projet de loi de finances dans sa première mouture et passer ensuite par une loi de finances rectificative», signifiait, récemment aux Echos quotidien, Salaheddine Mezouar, ministre sortant des Finances et, de ce fait, auteur de la première version de la loi de finances 2012. Cela est d'autant plus vrai que les amendements apportés par le nouvel Exécutif ont été en fin de compte minimes. Exécution sous haute tension Au final, c'est donc à un tout autre scénario que nous avons assisté. Un scénario surtout marqué par le retard qu'il a engendré et qui désormais, représente un autre handicap, que l'économie marocaine doit subir. De facto, il reste donc six mois pour exécuter le Budget de 2012. Gageons qu'une partie du retard sera compensée par le volontarisme des investissements publics durant le deuxième semestre. Toutefois, ce dernier comprend la saison estivale et surtout le mois de Ramadan. Or, comme chacun le sait, pendant cette période, l'activité économique fonctionne au ralenti, pour ne pas dire qu'elle plonge dans une certaine léthargie. Cette année fera-t-elle exception ? Rien de moins sûr, même s'il serait de bon aloi que les départements publics et les opérateurs économiques adoptent un volontarisme pour optimiser le calendrier. Maintenant, il y aurait pu avoir une autre solution pour sortir de cette impasse. En effet, l'Exécutif aurait pu tabler sur un Budget 2012-2013, comme dans d'autres pays, tels que l'Egypte. Toutefois, pour ce faire, il aurait fallu passer par un amendement de la loi organique de finances. Or, si la réforme de cette dernière semble sur les rails, elle est loin d'être achevée. Pour l'instant, le gouvernement et le Parlement sont encore dans une phase de mise à plat des différentes propositions. Le processus aura-t-il abouti avant la fin de l'année ? Espérons le, car une des principales mesures de cette réforme concerne le suivi de l'exécution du Budget par les parlementaires. Cependant, une telle mesure, si elle est adoptée à temps, pourrait permettre aux observateurs d'avoir le fin mot sur l'exécution du Budget 2012, qui risque d'être semée d'embûches.