Un silence assourdissant gagne le ministère de l'Agriculture. Et pour cause, tout porte à croire que l'on se dirige vers une campagne agricole catastrophique. La dernière sortie du département d'Akhannouch remonte à la mi-janvier. Contenu : Il faut attendre pour se prononcer car la pluie peut arriver dans les semaines qui viennent. Un mois et demi plus tard, il n'y a plus de place au doute. Le royaume vient de connaître plus de trois mois de sécheresse accompagnée d'une vague de froid qui a durement touché certaines cultures, comme la pomme de terre et certaines régions, comme celle de la Moulouya. L'heure est grave et certains spécialistes remontent volontiers, dans leurs comparaisons, à 1999, dernière année de grande sécheresse au Maroc. Une chose est sûre, le secteur agricole sera durement touché. Et il ne sera pas le seul ! En effet, nul n'ignore que l'économie marocaine souffre d'une dépendance importante aux performances de son secteur agricole. Ainsi, si l'on se réfère à la contribution de la valeur ajoutée agricole à la croissance nationale ces dernières années, une mauvaise campagne agricole nous coûterait entre 1 et 2 points de croissance du PIB. Cette mauvaise nouvelle, si elle se confirmait, ne ferait que rajouter aux soucis du nouvel Exécutif. Cela ramène à l'ordre du jour avec d'autant plus d'acuité la problématique de la dépendance de l'économie marocaine aux performances du secteur agricole et plus précisément à la pluviométrie. Dans le contexte actuel, ce n'est plus tolérable, surtout que les changements climatiques risquent d'inscrire dans la durée les mauvaises performances du secteur agricole. Recours massif aux importations Les impacts de la mauvaise campagne agricole qui s'annonce ne s'arrêteront pas à la croissance. En effet, la production céréalière marocaine de cette année risque d'être anémique. Or, cela voudrait dire que le Maroc devra recourir à une importation massive de ces denrées pour couvrir ses besoins en la matière. Le gouvernement a d'ailleurs décidé de proroger le gel des droits d'importation du blé jusqu'à fin avril prochain. Toujours est-il que ce recours massif à l'importation aura pour principal impact d'alourdir les charges d'une Caisse de compensation déjà menacés par la flambée des prix du brut à l'international. Cette inquiétude transparaît d'ailleurs dans les propos du chef du gouvernement lors du dernier Conseil de gouvernement, où il a abordé la question . «La Caisse de compensation pourrait coûter beaucoup plus en 2012, face au renchérissement des prix du baril de pétrole et des céréales», estimait-il à juste titre. Désormais, cette inquiétude relève beaucoup plus de la menace réelle, non seulement pour le pétrole, mais aussi et surtout pour les prix des céréales à l'international. En effet, le Maroc est loin d'être le seul pays à souffrir cette année de l'impact des changements climatiques sur son secteur agricole. L'impact en Europe serait même supérieur et la donne est quasiment la même au niveau mondial. Aussi, les prix des céréales à l'international sont entrés dans une phase de renchérissement qui pourrait s'accroître encore plus dans les prochains mois, avec la confirmation des niveaux de production faibles au niveau mondial. Mesures d'urgence Pire, les marchés des matières premières sont devenus, depuis l'avènement de la crise économique et financière, le terrain de jeu favori des spéculateurs de tout bord. Aussi peut-on s'attendre sans trop se risquer, à une flambée des prix des céréales sur les marchés internationaux. La facture risque donc d'être salée au niveau des charges de compensation 2012. Cette donne sera-t-elle prise en compte dans le projet de loi de finances 2012 ? Rien n'est moins sûr, surtout que Najib Boulif, ministre des Affaires générales, veut en contenir la facture en deçà de 40 milliards de dirhams. Toutefois, ce qui risque bien de figurer au budget de l'Etat c'est la facture des mesures qui seront prises pour faire face à la mauvaise campagne. À titre d'exemple, le budget du fonds de développement agricole va être porté à 2,8 milliards de dirhams au titre de la loi de finances 2012, soit une augmentation de 19%. Par ailleurs, les professionnels du secteur et notamment ceux qui parlent au nom des petits agriculteurs, appellent de leur vœux un programme d'urgence pour sauver ce qui peut encore l'être. En effet, si la saison est compromise, entre mauvaise campagne et campagne catastrophique, il n'y a qu'un pas, que l'on peut très vite franchir, si rien n'est fait dans les meilleurs délais. Le sucre...«glacé» ! C'est le seul angle positif que l'on pourrait tirer de l'impact de la gelée sur la filière sucrière. La baisse exceptionnelle des températures, enregistrée ces dernières semaines, a en effet particulièrement touché les cultures sucrières. Un peu plus de 14.000 ha de canne à sucre (sur une superficie nationale globale de 17.000 ha), ont été exposés au gel, d'après les chiffres officiels. «Aucune perte n'a toutefois été enregistrée», tentait de rassurer la même source. Le département de l'Agriculture parle en effet d'une situation qui reste tout de même « maîtrisée», avec un suivi continu de l'évolution de l'état des cultures sur le terrain. De même, le rythme de la récolte est accéléré afin de prévenir toute dégradation de l'état du produit sur les champs. La tutelle précise également que celui-ci présente actuellement une bonne teneur en sucre, et se dit « vigilante» quant à l'évolution de cette situation, des plus défavorables pour la production sucrière. La légère remontée des températures, observée ces derniers jours, pourrait peut-être «réchauffer le cœur» des producteurs et des industriels de la filière avant la fin de cette saison. Céréales... Les silos touchent le fond C'est le nerf de la guerre pour le secteur primaire. Nul besoin en effet de revenir sur le poids – économique mais aussi social - que représente cette culture dans la stabilité et de l'économie, et de la société marocaine. Là, les supputations sur les chiffres vont bon train, du pire au moyennement mauvais. Cette dernière position est d'ailleurs, elle, adoptée par la tutelle. Celle-ci relativise les effets de la sécheresse. En dépit d'une pluviométrie en baisse de 27%, la tutelle juge «favorable» l'état végétatif des céréales. «Les conditions climatiques au démarrage de la campagne agricole 2011/2012 ont encouragé les agriculteurs à labourer 5,5 millions d'ha dont 4,7 millions ont été emblavés à la date du 15 janvier dernier», affirme-t-on auprès de la tutelle. Par ailleurs, sur l'ensemble de la superficie emblavée, une part de 30% présentait un état végétatif de «moyen» à «médiocre», contre 70% jugé «bon». Une chose est sûre, l'excellence n'y était pas du tout...et la situation pluviométrique ne s'est guère améliorée depuis lors. Viandes rouge et blanche... Les prix sur le «grill» Les principales retombées pourraient se ressentir sur les prix appliqués par les professionnels, qui tenteront d'y répercuter la hausse des charges liées à l'alimentation du bétail et de la volaille, elles-mêmes étroitement dépendantes des cours de certaines matières agricoles comme l'orge. Un véritable effet domino. La preuve par les chiffres ; le cours moyen du poulet de chair a augmenté de près de 10%, rien qu'en un mois ! Ils sont en effet passés de 10,45 DH/kilo, vif à la ferme, à 11, 35 DH/Kilo, entre le mois de décembre 2011 et celui de janvier 2012. Pour la filière de la viande rouge, le couvert végétal spontané des parcours pastoraux a été affecté par les conditions climatiques défavorables, principalement dans l'Oriental et le Sud, selon les observations de la tutelle. La situation serait comparable à celle connue lors de la campagne précédente, d'après la même source. Le ministère ajoute toutefois, pour rassurer, que l'intervention de l'Etat dans le cadre des programmes de sauvegarde et de protection du cheptel, qui s'imposent dans les zones au climat défavorable, «permet aux éleveurs de faire face à cette situation». Agrumes...mal «pelés» ! Sur cette filière, c'est le segment à l'export où le mal se ressent le plus. À la mi-janvier, date à laquelle remontent les dernières actualisations de la tutelle concernant ce secteur, les exportations étaient en baisse de 15% par rapport à la campagne précédente, à pareille période. En volume, cette variation correspond à un cumul de quelque 267.000 tonnes à l'export. La tutelle parle également d'une campagne d'exportation qui a démarré «en retard» par rapport au calendrier normal, un décalage estimé à 15 jours par rapport à la campagne 2010/2011. Cette situation serait justifiée par les fortes pluies de la dernière décade de novembre 2011. Sur le marché intérieur, la prévalence de cette conjoncture s'est exprimée à travers une hausse des prix moyens appliqués au stade du gros, en janvier dernier. Pour la catégorie des petits fruits, la variation est de 2% par rapport à la précédente campagne de commercialisation. Cette hausse a toutefois été moins virulente pour les oranges, dont les cours moyens, en gros, ont progressé de 1%. Pommes de terre...ensevelies ! Ça grelotte aussi sous la terre. Les cultures de pommes de terre ont payé un lourd tribut à la rugosité de cet hiver. Le phénomène du gel a touché une superficie de près de 6.000 ha (sur une superficie nationale plantée de 60.000 ha), dont 4.700 ha ont été perdus, selon les dernières actualisations du ministère d'Akhannouch. La région de Tanger-Tétouan est la plus touchée par ces pertes avec 3.440 ha affectés. Une fois la situation définitive arrêtée, le gouvernement annonce qu'il étudiera les mesures envisageables pour soutenir les agriculteurs touchés. Sur cette filière aussi, la vigilance est de mise et le département de l'Agriculture s'attend au pire. Il faut savoir que, durant le mois de décembre dernier, 29 jours sur 30 ont enregistré des températures inférieures à 10°C, un niveau en dessous duquel la croissance de cette culture peut être ralentie, voire stoppée. Un peu plus tôt dans l'année, en janvier, plus précisément, la sécheresse pesait déjà sur les cultures maraichères. Cela s'est traduit par une baisse de l'offre sur le marché national, ou par la récolte prématurée des pommes de terre. Légumineuses...mauvaises graines ! La situation est également peu enviable dans cette filière. La moitié des cultures de fèves, sur une superficie de 800 ha, ont été affectées par les chutes des températures enregistrées ces dernières semaines au niveau de la région de l'Oriental. Par ailleurs, une récente évaluation de l'Office régional de mise en valeur agricole de la Moulouya (ORMVAM), parle de pertes loin du négligeable. La structure régionale avance en effet près de 40% de pertes sur les cultures des petits pois (près de 430 ha) et d'artichauts (200 ha). Ces dégâts ont principalement été recensés au niveau du périmètre irrigué de la Moulouya, notant que les superficies affectées par les gelées matinales sont essentiellement localisées dans les plaines de Triffa (province de Berkane) et Zebra (province de Nador). Concernant les pluies, l'Office note par ailleurs que l'actuelle campagne agricole a été marquée par «des chutes de pluie abondantes mais pas bien réparties dans le temps». Point de vue Ahmed Ouayach, président de la Confédération marocaine de l'agriculture et du développement rural (Comader). Nous pouvons dire que cette année agricole sera d'appréciation moyenne à mauvaise, pour ne pas tomber dans un pessimisme prématuré, ce qu'il faudrait , éviter, en dépit du fait que la situation soit plutôt alarmante. Tous les ingrédients sont en tout cas réunis pour que ce soit l'une des pires saisons que l'on ait eue depuis 2007. À l'époque, seule les céréales avaient été touchées. La production n'avait pas dépassé les 20 millions de quintaux, à cause d'un déficit de pluviométrie. Cette année, par contre, la principale source d'inquiétude est liée à la combinaison des impacts de la sécheresse, pour des cultures comme les céréales, et ceux de la vague de froid, sur d'autres cultures sensibles. C'est ce qui fait que presque toutes les filières du secteur primaire sont touchées. Pour le cas spécifique des céréales, la récolte ne devrait pas dépasser la barre des 40 à 50 millions de quintaux. Cela équivaudrait à la moitié du volume enregistré lors de la dernière campagne agricole. De toute façon, 25 à 30% des surfaces plantées sont irrécupérables. La culture céréalière est très difficile à gérer dans ce genre de situation. Quand la campagne démarre sur de mauvaises bases, il est quasi-impossible d'y remédier. faudrait pour cela mettre en place des mesures d'accompagnement en faveur des agriculteurs, notamment en poussant les petits agriculteurs à mutualiser leurs services, à travers des coopératives. Parallèlement, il faudrait également améliorer la logistique et le circuit de distribution, de manière à assurer une meilleure distribution des revenus aux producteurs et de limiter la prépondérance des intermédiaires dans le processus. Un autre aspect sur lequel il faudrait aussi multiplier les efforts, c'est l'utilisation des NTIC, pour mieux informer les agriculteurs. À ce niveau, un projet pilote que nous venons de mener s'est avéré très concluant en matière d'information pour les producteurs.