Je crois que notre télé ne changera jamais. J'enfonce peut-être des portes ouvertes en disant cela, mais ça pourrait au moins créer un peu de courant d'air. Je sais qu'elle a bon dos, notre télé, et qu'on s'est tous, à un moment ou un autre, vengé sur elle, mais franchement, je pense qu'elle le cherche bien. Je suis désolé si jamais je froisse mes amis qui sont à la commande de cette honorable institution, mais je ne peux pas rester «les yeux croisés». Contrairement, sans doute, à d'autres qui ont d'autres motivations, personnellement, je ne suis poussé que par mon souci quasi maladif de voir un jour les choses avancer réellement dans ce pays, pour qu'on ne soit plus, tout le temps, soit en train de justifier pitoyablement notre retard, soit en train, lamentablement, de le nier. Mardi soir, j'ai décidé, à mon corps défendant – comme quoi, je sais faire des sacrifices quand il s'agit de la bonne cause – de regader l'émission Hiwar car l'invité de marque de ce soir-là n'était autre que le grand boss du PJD, le tonitruant Abdelilah Benkirane. S'il y a au moins une chose qu'on devrait tous reconnaître à ce bonhomme, c'est qu'il a un sacré culot pour accepter, à chaque fois qu'on l'invite, de subir les foudres de ses interlocuteurs désignés. Je préfère, afin d'éviter toute ambiguïté, vous préciser tout de suite, qu'à part quelques poignées de mains très épisodiques et quelques échanges de propos plutôt sympathiques, rien de concret ne me lie à ce monsieur, et encore moins sur les plans idéologique et politique. Je pourrais même affirmer avec clarté, que mes convictions et les siennes sont aux antipodes les unes des autres. Ceci étant clarifié, je reviens à l'émission de ce mardi qui ressemblait à un vrai jeu de cirque romain, au sens césarien du mot : on met un gladiateur – le terme va très bien d'ailleurs à Benkirane – au centre, on ramène des cogneurs sous la houlette d'un animateur à l'âge certain, mais au coup de frappe encore redoutable, et on leur dit, ou on leur suggère, je n'en sais rien, haro sur le pauvre héros ! Je crois que la seule différence avec le cirque romain, c'est que dans les gradins, il n'y a que des potes de la «victime», consentante d'ailleurs, et qui n'hésitent pas à soutenir leur idole à supporter les coups par des applaudissements nourris et hilares. «Hiwar» signifie, si ne m'abuse, «dialogue». Or, quand vous voyez ce qu'on a fait à ce mec – qui a sûrement, comme nous tous, des choses à se reprocher – tout ce qu'on peut déduire, c'est qu'il est temps de changer le titre de ce programme. Ce n'était plus un entretien avec des questions, mais un vrai interrogatoire avec des accusations en bonne et due forme. En plus, il n'y avait que des avocats à charge. Et vous savez où se situe la grande gaffe des organisateurs de ce «match» ? ( Là, c'est l'ex-pro de la com qui parle) : quand un combat est très inégal, le public prend systématiquement position en faveur de la victime. Vous avez pigé, et je vous fais le dessin d'une urne ?