Une ambiance sombre, un silence tranchant, mais de courte durée, interrompu par des clichés de photographie. Derrière l'appareil, A, un photographe libertaire, envoyé par son magazine pour percer le mystère de Z, une femme dont le corps est couvert par une burqa, et la personne est entourée de secrets. Deux personnages, les intérêts de l'un, aux antipodes de ceux de l'autre, ou peut-être pas, sont au centre de la nouvelle création de la compagnie Dabateatr, signée Driss Ksikes, et mise en scène par Jaouad Essounani. Au fil de la pièce, intrigues et commérages dominent les dialogues. Trois autres paires de personnes, aussi séparées et distantes que la première, défileront. Un couple qui n'a plus rien à se dire, et dont la télévision reste la seule échappatoire, deux ouvrières partageant la même pièce, l'une prostituée repentie, l'autre héritière déshéritée par son mari, homme de religion qui a tout misé sur le Pakistan... et enfin, un frère et une sœur sans harmonie, qui se rendent compte qu'ils ont trop longtemps vécu ensemble, et qu'il était temps de se séparer. Leurs contradictions, leurs histoires et leurs solitudes se déclareront dans celles de A et de Z. «180 degrés est une pièce sur l'incommunicabilité que crée le trop plein de communication. La burqa y est un prétexte (...) qui cristallise les désirs frustrés, la prédominance du paraître, la prévalence du jugement et la banalisation des stéréotypes», explique le dramaturge Driss Ksikes. Selon lui, le corps est au centre de la pièce, les silences ont donc autant de poids que les phrases, et les dialogues hachés et laissés en suspens pour suspendre le désir. Mise en scène, l'autre écriture du texte «À l'écriture dramaturgique s'ajoute l'écriture scénique», explique le metteur en scène Jaouad Essounani. «180 degrés pousse à la suggestion sans jamais proposer d'idées au public». Le choix de la plateforme tournante, empruntée au cinéma pour donner une impression de fondu/enchaîné, permet de changer l'ordre des scènes. Les personnages sont dans un cercle qui bouge, et «qui donne l'impression que rien ne change». Pleine de suggestions, de questionnements, 180 degrés se veut une pièce universelle. Elle s'interroge sur le paraître, la négation du corps et sa surexposition. À ces questionnements, elle ne propose aucune fin concrète au spectateur, on s'y cherche. Selon l'anthropologue Michel Peraldi, «c'est souvent comme cela dans les pièces de Driss Ksikes, on ressent une tension forte, palpable, entre des gens qui ne s'aiment pas, voire ne peuvent s'aimer, ne peuvent imaginer l'amour possible entre eux, mais ont pourtant un besoin vital des autres».