Il est quinze heures, Driss Ksikes à qui revient l'écriture de la pièce 180 degrés, Jaouad Essounani qui en est le metteur en scène, les comédiens de la troupe ainsi qu'une douzaine de spectateurs prennent place dans la salle de théâtre au complexe culturel. Les amateurs de jeu dramatique ont pu vivre en temps réel le déroulement de la pièce, dès l'écriture (dans l'atelier animé la veille par Ksikes) à la représentation sans oublier les répétitions. Elles ont permis aux uns d'échanger avec les autres en se familiarisant mutuellement, de faire des remarques, des commentaires, de poser des questions… : « Le principe est encore nouveau au Maroc », comme le dit Driss Ksikes, mais « correspond à l'approche de Dabateatr à impliquer les spectateurs dans la création artistique en y apportant leur contribution (analyse, point de vue, critique…) », ajoute Kaoutar Tbatou, chargée de communication. Le rôle des présents aux répétitions publiques est donc de voir, mais aussi de laisser une empreinte sur le spectacle théâtral de 20h30. La pièce donne le ton dès les premières répliques, c'est un jeu de mots et de lumières rythmé par des silences qui vous laissent happés tout en vous posant mille et une questions : « l'écriture est délibérément fragmentaire et la structure en tableau sert à créer un puzzle, explique Driss Ksikes. Les silences ont autant de poids que les phrases. Les langages des corps autant que ceux des mots ». Sur scène, 180° vous fait découvrir l'histoire de quatre binômes qui ne se verront jamais : K et H sont frère et sœur désunis, W et Y sont deux femmes de ménage, l'une est ex-prostituée et l'autre est future héritière, M et N forment un couple que seule la télévision du salon rassemble en fin de journée, et A et Z sont les protagonistes dont la relation suscite la curiosité des autres: A est photographe libertaire qui cherche à connaître Z, une femme en burqa qui ne supporte pas les regards des autres. La troupe Dabateatr a levé le rideau, le 14 juillet au complexe Sidi Belyout à Casablanca, sur une journée bien remplie. Leur relation complexe entre confidences et contradictions fait l'objet de commérages chez les autres binômes et devient le sujet principal de tous, bien que chacun des couples soit rangé dans sa solitude. 180° est aussi la désillusion d'individus perdus dans leurs âmes émouvantes, c'est « une pièce sur l'incommunicabilité que crée le trop plein de communication. La burqa y est un prétexte, une métaphore qui cristallise les désirs frustrés, la prédominance du paraître, la prévalence du jugement et la banalisation des stéréotypes », explique Ksikes avant d'ajouter : « Les dialogues sont hachés et laissés en suspens pour suspendre le désir comme le suspend la burqa». Pour le metteur en scène Jaouad Essounani, «180° pousse à la suggestion sans jamais imposer d'idées ou d'idéologies au public… la mise en espace du texte, plate-forme tournante, permet de changer l'ordre des scènes… une sorte de fondu-enchaîné cinématographique transposé au théâtre». La fin de la pièce vous laissera sur votre faim, sur un sujet entamé que vous aurez la tâche de méditer pour en faire une lecture : « Il faut qu'une mouche continue à tourbillonner dans votre tête, que le public sorte avec des interrogations à l'esprit qui le pousseront à réfléchir. C'est là tout l'intérêt de la pièce et du théâtre en général », conclut Ksikes à la fin de la rencontre. Faissal Azizi, membre de la troupe et comédien dans 180° livre ses impressions après le spectacle : « C'est la meilleure représentation de 180° jusqu'ici. Maintenant, c'est un travail qui commence à prendre forme, nous y ajoutons chaque fois des rectifications et c'est vu sur le public qui est resté non seulement jusqu'à la fin de la pièce mais aussi jusqu'à la clôture du débat». 180°, c'est aussi un matériel de 1 350 Kg en tout, une plate-forme tournante de 7 mètres de diamètre et des moyens colossaux d'éclairage et de son. Ecrite entre 2009 et 2010 par Driss Ksikes, 180° est la seconde mise en scène de Jaouad Essounani dans Dabateatr avec Ksikes, après « Il/Houwa » et la création des projets Dabateatr Citoyen et L'Khbar f'el Masrah, sans lequel, témoigne la troupe, l'écriture de 180° aurait été impossible. La pièce est à sa quatrième présentation, la première remontant à octobre 2010. Dabateatr participera fin juillet au Festival du théâtre de Larache et chacune de ses présentations «révélera de nouvelles surprises».