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Guerre de robots sur les marchés
Publié dans Les ECO le 26 - 08 - 2010

Il est 07h55 ce matin là dans la salle des marchés. Il y a encore très peu de monde, car la plupart des opérateurs arrivent vers 8h30, heure à laquelle nous tenons souvent une réunion sommaire pour préparer la journée. Pourtant, quelques-uns s'activent déjà frénétiquement. Il ne reste plus que quelques minutes pour allumer les ordinateurs et entrer les innombrables mots de passe nécessaires pour lancer les programmes de trading. Car, si les marchés d'actions ne démarrent qu'un peu plus tard, comme l'indice CAC 40 qui ouvre à 9h, certains marchés à terme ouvrent dès 8h, et c'est bien ce qui nous intéresse à ce moment là. Ça y est! Les ordinateurs ronronnent doucement, et les programmes sont enfin lancés. Il était temps: il est 7h59 ! Soudain, «Bang Bang !» : deux coups de fusil claquent et rompent le silence de la salle encore endormie. Toute personne étrangère au service qui se serait trouvée présente par hasard à ce moment là aurait certainement plongé sous l'une des tables pour éviter la fusillade. Pourtant, je ne branche pas, car en fait de fusil, ce n'est que le bruit du programme de mon collègue d'en face qui vient d'effectuer une opération dès l'ouverture du marché à terme. «Boing Boing!», cette fois, c'est le bruit d'un ressort de trampoline qui se détend brusquement : le programme vient de clôturer la position prise quelques secondes plus tôt. Je demande quand même à mon collègue de baisser un tantinet le son de sa machine. De bon matin, c'est un peu stressant, surtout lorsque l'on sait que cela risque de durer toute la journée. Cette scène, qui se déroule devant moi tous les matins, se passe aussi, à peu de choses près, dans la plupart des salles de marché. En effet, depuis quelques années, il y a très peu de banques où de sociétés de gestion qui ne possèdent pas une activité de trading automatique, communément appelée «les robots». Il faut savoir qu'à l'heure actuelle, et à quelques rares exceptions près, la plupart des marchés financiers sont électroniques. Pour acheter une action ou un produit financier quelconque, dans n'importe quel pays, il suffit de posséder le programme et les autorisations appropriés pour pouvoir compléter soi-même l'opération. En quelques clics de souris, on introduit les détails de l'opération que l'on veut effectuer, et on envoie l'ordre, qui rejoint automatiquement les systèmes informatiques du marché, pour être exécuté dès que les conditions le permettent. Jusque-là, rien de vraiment exceptionnel. Ce qui est plus intéressant, c'est que la plupart des professionnels de la finance ont poussé, comme toujours, cette logique à l'extrême, pour profiter des accès électroniques. Exit la souris, bien sûr. Ce n'est plus qu'une affaire de programmes. Une fois la stratégie financière établie, il s'agit de développer un outil informatique qui va automatiquement envoyer les ordres d'achat et de vente sur le marché lorsque les conditions de la stratégie établie seront réunies. Cette fois, il n'est plus question de secondes pour voir son ordre transmis au marché. On change radicalement d'échelle pour aller vers l'infiniment rapide, et on parle alors de millisecondes ou microsecondes. Ce qui signifie que dans la même seconde, il sera possible d'effectuer plusieurs achats-ventes sur le même produit... C'est alors du trading à haute fréquence.
Un travail de surveillance
On est bien loin de la vision traditionnelle de l'investisseur qui étudie les fondamentaux financiers d'une société ou d'un indice avant de prendre une décision! C'est bien sûr une toute autre activité, qui s'apparente beaucoup plus au monde des jeux électroniques qu'aux aspects traditionnels de la finance. Aujourd'hui, plus naturellement que par plaisanterie, de nombreux opérateurs appellent leur programme «Game Boy», ou disent le matin qu'ils doivent «allumer la Playstation». Le travail consiste alors à surveiller le comportement du «robot», à vérifier qu'il suit bien la stratégie établie, et qu'aucun comportement aberrant ne survient. Sans oublier bien sûr, la composante principale de l'activité : il s'agit surtout de surveiller le résultat quotidien, à savoir l'état des gains ou des pertes de la journée, qui s'affiche et évolue en temps réel sur les écrans. Là encore, il n'y a intervention de l'opérateur que pour régler les problèmes éventuels, ou pour ajuster les montants mis en jeu en cas de variations trop fortes. Seulement, le travail du trader haute fréquence ne s'arrête pas là, et on peut dire finalement qu'il ne s'arrête jamais. Pour être efficace dans ce domaine, il faut constamment être à la pointe de la technologie, car les opportunités de marchés et les possibilités d'arbitrage sont les mêmes pour tout le monde, et c'est souvent le plus rapide qui remporte la mise. Dès lors, c'est une course de vitesse. Il faut constamment optimiser les programmes pour qu'ils calculent le plus vite possible, voire utiliser de nouveaux langages de programmation lorsqu'ils s'avèrent plus rapides. Il s'agit également d'avoir les machines les plus performantes, ce qui implique d'avoir les ordinateurs et les serveurs les plus puissants, et de les changer régulièrement. Un épiphénomène, diriez-vous ? Absolument pas, loin s'en faut. Ce serait plutôt un tsunami. Les transactions électroniques des robots de trading à haute fréquence représentent plus de 60% du volume des actions américaines, et la proportion devient bien plus élevée si l'on s'intéresse aux marchés à terme de taux et d'indices. De ce fait, entendre des bruits de coups de fusil ou de caisse enregistreuse à longueur de journée est devenu, ces dernières années, le quotidien de toutes les salles de marché.
Il y a fort à parier que l'on entendra très prochainement parler de ces transactions automatiques et des robots financiers, que l'on accuse entre autres d'avoir été à l'origine du mini-krach de Wall Street le 6 mai dernier, lorsque le Dow Jones avait perdu près de 1.000 points en quelques minutes...


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