Crise de liquidités, hausse des créances en souffrance et une réglementation de plus en plus rigoureuse... L'année 2012 s'annonce celle de tous les risques pour le marché des crédits. En effet, en milieu de semaine écoulée, les interventions hebdomadaires de la Banque centrale sur le marché interbancaire venaient afficher un nouveau record, soit 35 milliards de DH, démontrant le regain de tension dans les trésoreries bancaires. Cette situation, qui perdure depuis le début de l'année, après une légère accalmie fin 2011, laisse planer le doute sur la capacité des banques à maintenir le rythme de financement de l'économie, notamment celui de la distribution de crédits. Certes, les dernières statistiques de la Banque centrale et traitant du mois de janvier dernier, pourraient en conforter plus d'un, vu que «les créances sur l'économie ont marqué une hausse de 10,4% au lieu de 4,7% en janvier 2011, suite à une accélération du rythme de progression des crédits bancaires, qui s'est établi à 10,6% contre 5,9%», note la Banque centrale. Cependant, à y voir de plus près, cette tendance n'est que superficielle. En effet, si le marché des crédits affiche cette bonne performance au terme du premier mois de l'année, c'est surtout parce que les banques ont distribué davantage de crédits à la trésorerie. Cette catégorie affiche en effet une progression de 20,4%, pour un encours global de 167,68 milliards de DH, contre une hausse de 3,9% à la même période de 2011. En d'autres termes, dans un contexte économique des plus incertains, l'on comprend que les trésoreries bancaires ne soient pas les seules à souffrir, mais aussi celles des entreprises nationales, lesquelles se voient confrontées depuis plusieurs mois à un rallongement des délais de paiement (www.lesechos.ma). Parallèlement, la machine de l'investissement dans l'économie semble battre de l'aile. Les crédits à l'équipement, véritables indicateurs sur la question, ont poursuivi leur décélération en janvier. D'après Bank Al-Maghrib, les établissements de la place ont vu l'encours des crédits à l'équipement s'accroître de 3,8% seulement, contre plus de 16% en janvier 2011. En tout, les banques marocaines affichent un encours de 139,67 milliards de DH sur ce segment. Selon les professionnels, des risques d'une poursuite de la même tendance durant ce semestre subsistent, en raison de la conjoncture économique qui s'annonce moins favorable que prévu. Perspectives sombres pour le secteur agricole, un contexte international qui rappelle de plus en plus celui du début de la crise, le retard enregistré par le projet de loi finances et son impact sur la visibilité des opérateurs... autant d'indicateurs qui laissent présager le maintien du statu-quo auprès des entreprises en termes d'investissement et, partant, la poursuite du ralentissement des crédits à l'équipement. Au même moment, le système bancaire, avec son problème de sous-liquidité, se voit obligé d'opérer des arbitrages. Financer le secteur immobilier, qui jouit en partie d'une garantie étatique et d'un rendement légèrement supérieur, ou financer les équipements des entreprises qui osent l'investissement, avec le risque d'impayé qui devient plus important? Le choix est vite fait, semble-t-il, puisqu'en 2011 en effet, ce sont les entreprises qui auraient tiré le taux des créances en souffrance à la hausse. Notons à ce titre, qu'au terme du mois de janvier 2012, les créances en souffrance au sein du système bancaire s'établissaient à plus de 33 milliards de DH, se maintenant au même niveau de la fin de l'année écoulée. En rythme annuel, c'est une bonification de 13,2% qu'affichent les données de la Banque centrale. Une réglementation stricte Par ailleurs, les contraintes réglementaires, imposant aux banques d'allouer aux différentes catégories de crédit des ressources de même maturité limitent partiellement l'action des banques. Sur le marché, prédominent en effet les ressources à court terme, alors que les crédits à l'équipement (au même titre d'ailleurs que l'immobilier) sont généralement de maturité dépassant cinq années. Cette situation est d'autant plus pesante, lorsqu'on sait que le plan d'épargne lancé par le gouvernement en 2011 et qui pouvait répondre à cette contrainte, n'arrive toujours pas à convaincre la clientèle. «Il est aujourd'hui difficile pour une personne de justifier que les sommes épargnées bénéficient exclusivement au financement de l'éducation ou à l'acquisition d'un logement, chose qui décourage la souscription à ce genre de produit», indiquait aux Echos quotidien, Ahmed Rahhou, Président directeur général du CIH. Quid des sociétés de financement ? À l'instar du système bancaire, les sociétés de financement subissent également de plein fouet le contexte de sous-liquidité du marché... à une différence près. Si pour les établissements bancaires, le refinancement se fait en partie grâce aux interventions de la Banque centrale, les sociétés de financement elles, ne disposant pas de ressources propres, se voient obligées de puiser dans les ressources des banques. Or, dans un contexte de manque de ressources, quoi de plus logique que de voir les taux d'intérêt du refinancement s'inscrire en hausse? «Cette montée des coûts de refinancement influe directement sur les marges des sociétés de financement, vu qu'il est de plus en plus difficile de la répercuter sur les taux facturés», nous explique-t-on auprès d'une société de financement de la place. Le contexte concurrentiel limite en effet la possibilité de revoir à la hausse les taux des crédits en raison de l'avantage concurrentiel que cela octroiera à certains au détriment des autres. Abderrahim Rhiati, Administrateur directeur général d'Eqdom. «2012, un exercice compliqué» Les Echos quotidien : Quelle évaluation faites-vous du secteur national du crédit à la consommation au titre de l'année 2011 ? Abderrahim Rhiati : Ce secteur a connu un bilan un peu mitigé, puisqu'il a souffert d'un environnement économique difficile, caractérisé par une certaine fragilité, au niveau de certains autres secteurs, orientés vers les exportations et le tourisme. Il a également souffert de la montée des risques, mais il a en revanche tiré avantage du bon comportement du secteur de l'automobile, qui a progressé d'à peu près 9% en 2011. Le secteur a terminé l'année avec une progression moyenne de son encours, autour de 5%, ce qui est largement inférieur à ce qu'on avait connu dans le passé. La demande du crédit a été freinée par la mise en place de nouvelles réglementations comme la loi sur la protection du consommateur, et la réglementation de Bank Al-Maghrib en matière de mise à disposition de fonds. Globalement, dans le crédit affecté, il s'est bien comporté en 2011, puisque les ventes de voitures ont augmenté, et en même temps le secteur a mis en place de nouvelles formes de financements, qui sont assez attractives, notamment la LOA avec dépôt de garantie. Quid pour le reste des produits commercialisés, c'est-à-dire les crédits non affectés ? Les crédits non affectés sont des prêts personnels mis à la disposition des clients, et qui n'ont pas comme finalité l'acquisition d'un bien. Dans les crédits affectés, il faut aussi souligner la bonne tenue de l'activité de financement des biens d'équipements domestiques, qui a réalisé une progression moyenne, mais c'est un marché qui reste assez limité, puisqu'il ne représente que moins de 5% de l'en-cours global des sociétés de financements. Pour ce qui est des autres produits comme le revolving, ce sont des niches dont les volumes sont assez faibles pour soutenir véritablement la croissance du secteur. Le secteur bancaire a connu, également, une année 2011 assez difficile. Dans quelle mesure cela a-t-il eu un impact sur vos activités ? Effectivement, il y a un manque de liquidités sur le marché. De ce fait, les taux de crédits bancaires augmentent et comme vous le savez, les sociétés de crédits n'ont pas de dépôt, elles se refinancent totalement auprès des banques ou des marchés financiers, les sociétés de crédits subissent donc de plein fouet cette augmentation. Quand on parle d'augmentation de taux, cela veut dire que la marge se rétrécit, puisque du côté du taux de facturation, il y a une très forte concurrence, le taux de sortie continue de baisser. Il faut donc jouer sur le volume pour compenser cette baisse de marge, et maintenir la rentabilité des sociétés de crédits de consommation. Comment peut-on jouer sur le volume alors que les conditions d'accès aux crédits sont de plus en plus difficiles et les clients surendettés ? Il n'y a pas encore de crise d'endettement au Maroc. Il y a un certain nombre de personnes surendettées, mais les statistiques montrent que nous sommes loin du niveau d'endettement de certains pays plus développés que le Maroc. Il y a un pourcentage très faible de fonctionnaires endettés. Pour revenir à votre question, je dirai que c'est là où se joue la différence entre les sociétés de crédits à la consommation. Il y a des sociétés capables de mobiliser des fonds à des tarifs ou à des coûts plus intéressants que d'autres, parce qu'elles ont une grande structure, des fondamentaux solides ou qu'elles appartiennent à de grands groupes qui leur apportent leur soutien, ou encore parce qu'elles peuvent créer de nouveaux produits capables d'attirer une nouvelle clientèle, grâce à une force commerciale dynamique, qui leur permet de gagner des parts de marché, et de découvrir de nouvelles niches, contrairement à d'autres qui ont des moyens limités du fait de leurs tailles. C'est la loi du marché. Cela sera-t-il profitable au secteur ? C'est tout à fait normal. Le but recherché par les autorités monétaires est d'arriver à un secteur où il y a de gros opérateurs, capables de faire face à un environnement compliqué, et à une réglementation de plus en plus exigeante. Il n'y a plus de place pour les petites structures. Nous assistons à une dynamique de concentration qui est appelée à s'accélérer. Est-ce à dire que nous assisterons à des opérations d'acquisitions-fusions, celle d'Eqdom par exemple, avec un autre leader du marché ? Les petites structures vont chercher à s'adosser à de grands groupes et nous cherchons, bien évidemment, des relais de croissance internes, sauf que le marché n'offre pas de réelles opportunités dans ce sens. Néanmoins, nous restons ouverts à toute proposition de nature à développer notre taille de marché, sans chercher à cibler particulièrement une entreprise. Au vu du contexte national et international, quelles sont vos perspectives pour 2012, et avec quelle stratégie entendez-vous maintenir votre plan de développement ? S'agissant de 2012, l'année risque d'être compliquée, en raison du contexte et de l'environnement qui s'annoncent difficiles pour le Maroc. Nous allons continuer à subir les effets de la crise européenne. De plus, la mauvaise campagne agricole qui se profile n'arrangera pas les choses pour nous. Cependant, Eqdom a la chance d'avoir un portefeuille bien diversifié et sécurisé, parce que moins risqué que celui des autres. Plus de 75% de nos activités sont basées sur des prélèvements à la source. C'est donc sur cette base de portefeuille saine que nous allons nous appuyer pour intensifier notre ciblage sur des marchés comportant moins de risques et nous renforcer sur nos marchés classiques, comme le secteur de l'automobile.