Simon Abkarian. Comédien, metteur en scène, scénariste Dans la catégorie Un Certain Regard, il était venu défendre au festival du cinéma de Cannes «Les hirondelles de Kaboul», film d'animation de Zabou Breitman et Eléa Gobbé-Mévellec adapté du roman éponyme de Yasmina Khadra. Un film d'une belle émotion auquel Simon Abkarian prête sa voix et son corps, entre deux films et deux pièces qu'il écrit pour le théâtre. Rencontre avec un boulimique des mots, d'un artiste d'une grande humanité. À quel point le travail sur un personnage d'animation est-il différent d'un personnage en prise réelle ou à la scène ? J'avais déjà lu le livre. Ce qui n'est pas anodin. En fait il s'agit toujours de jouer. Après il n'y a pas les décors, mais mon but c'était de jouer ce qui était écrit et d'être au plus près de la vision de Zabou. J'aime beaucoup que ce soit dessiné, parce qu'un acteur, que ce soit au cinéma ou au théâtre, il se dessine constamment. Il s'auto-dessine. Donc c'est la même chose. Ce n'est pas tant différent que cela. Ce ne sont pas des voix collées sur des dessins déjà faits. Ce n'était pas du doublage, c'était de la création et du jeu pur. Comment s'est fait le travail de direction ? Est-ce que vous jouiez sans texte, vous aviez le texte en main ? Parfois on avait le texte en main, parfois on l'avait appris. Parfois, il fallait avoir les mains libres. Les réalisatrices avaient une vision précise de l'espace où on allaient être. Elles visualisaient. Nous, non. Elles avaient leur monde en tête. Lorsque l'on voit le film, on voit à quel point c'est une proposition très transposée : de l'architecture, de ce que c'est que la guerre, du son. On était au plus près de ce qu'elles disaient. Elles avaient la vision globale, pas nous. Comment on travaille l'émotion lorsqu' elle ne passe que par la voix et non l'expression du visage ? L'émotion, c'est celle du spectateur. On ne peut pas la sentir. On ne peut que faire transparaître ce qui a été écrit. L'histoire est terrible, c'est une tragédie. Cela pourrait être une pièce écrite par un grec il y a 2500 ans. Vu ce qui se passe à la fin du film. Alors à la fin du film…(Rires). À partir du moment où la mécanique du tragique est mise en place, je m'y sens bien. J'adore ça. Est-ce que c'était un travail différent de celui de Persepolis ? Pas tant que ça parce que Marjane Setrapi était aussi parti de nous, de nos corps. Ce n'est pas tant différent que ça puisque dans les deux cas, elles sont arrivées à réaliser des oeuvres d'art. je ne dis pas que les dessins animés Pixar ne sont pas à la hauteur. Mais ce n'est pas la même approche. À la limite, ça rappelle les Disney des années 50 où on filmait des acteurs et on calait les dessins sur les acteurs. Il fallait que les acteurs soient bons. Vous jouez, vous mettez en scène, vous écrivez. Comment trouvez le temps et comment se font les choix de création, les choix artistiques ? Plus que des choix, ce sont des obsessions. À un moment donné de notre vie. Ce qui m'obsède en ce moment… c'est le tragique. J'aime la tragédie et écrire pour les femmes et les filles. C'est ce qui me taraude en ce moment. Je pense que cela va durer un bout de temps. Et le temps je le trouve. Quand on veut faire quelque chose, quand on veut voir quelqu'un, répondre à quelqu'un, on trouve toujours le temps. Si vous ne le faites pas tout de suite, c'est que la personne qui vous appelle ou la chose qui vous interpelle n'est pas si important que cela à ce moment là de votre vie. Ce n'est pas dénigrer la personne en face, ou le sujet abordé, c'est juste qu'il y a des choses qui vous prennent à coeur et au corps à ce moment la de votre vie. Comme disent les anglais « The clock is ticking », je ne peux pas attendre que e fruit tombe dans ma bouche. C'est une nécessité de le faire, un besoin. J'ai besoin de raconter ces histoires là. Sinon j'ai toujours un blocnote sur moi, j'écris constamment. Il faut avoir des heures précises, se lever tôt, écrire de telle heure à telle heure. Quand je dois mettre mes idées dans l'ordre, je dois m'isoler, m'enfermer quelque part, me couper de tout, pour écrire. On sent cette urgence dans votre travail. Est-ce que c'est le fait d'être arménien, d'avoir vécu au Liban, d'avoir connu la guerre, de trainer ces bagages là… ? Oui je pense qu'on est constitué de son histoire, de ce qu'on est, de ce qu'on a voyagé, de ce qu'on a subi, de ce qu'on a souffert, de ce qu'on a offert, de nos manques. Je ne fais pas fide mes origines, de mon histoire, du fait de ma migration, de mes exils. Mais le plus important, c'est d'en faire quelque chose. Si on ne fait rien, ça empoisonne. Moi j'ai besoin d'en faire une histoire, un film, une chanson, d'en faire une discussion. Même discuter. Parce que je pense que quand on ne le dit pas, c'est perdu. On est tout ce qu'on a vécu. D'avoir été à la préfecture, d'avoir le sentiment de quémander une carte de séjour, et quand je dis quémander je pèse mes mots. Parce que même quand on a tous les papiers, il manque toujours quelque chose. Ne pas nier l'accueil qu'on nous fait aussi derrière. Tout ça, tous ces obstacles que nous visons nous immigrés, exilés même si aujourd'hui on dit migrants, qui sont faits pour décourager les demandeurs d'asile. Et de l'autre côté il y a un vrai esprit d'accueil en France. On ne peut pas le nier. Donc toutes ces contradictions sont en moi, dans mon travail. Mais aussi le rapport aux hommes, aux femmes, aux mots, au langage, à la poésie, au trivial. Mon langage est fl euri. Ça choque. Mais le monde est constitué de ça, il n'est pas beau tout le temps. C'est même salutaire. Vos histoires sont d'une belle poésie triviale. Est-ce que vous savez toujours où vous allez quand vous écrivez ? Non. Je sais pourquoi j'écris, je sais l'histoire que je veux raconter. Mais à l'intérieur de cela , comment ça s'articule, non. La première pièce que j'ai écris est parti d'une image, d'une femme assise sur une machine à coudre. Je ne sais pas ce qui va se passer à l'intérieur d'une histoire. C'est porter aussi plusieurs personnages à bout de bras, ne pas être le porte-parole mais que chaque personnage soit son propre porte-parole. Des fois, j'écris mes positions politiques et j'enlève quand je trouve que c'est trop. Au théâtre on raconte des histoires, ce n'est une arène politique.