Interview. L'écrivain et peintre Mahi Bine Bine a présenté son dernier roman «Pollens» dimanche 27 janvier au Salon international de Tanger. A cette occasion, il a réaffirmé à ALM son profond attachement au Maroc. Aujourd'hui le Maroc : Vous êtes à la fois écrivain et peintre. Comment éprouvez-vous le passage d'un mode d'expression à l'autre ? Mahi Bine Bine : L'écriture me pèse. C'est dur ! Je souffre en écrivant. Je travaille toutes les nuits de minuit à 6 h du matin pour pondre une page ou - deux pages. Alors que peindre est un vrai plaisir. Je m'amuse, je ne vois pas le temps passer. Je suis dans l'âme peintre, mais je ne sais pas pourquoi j'écris. En plus, ça ne me rapporte rien… Plus sérieusement, ça me coûte d'écrire, l'écriture est pénible. La peinture, c'est un intermède, une récréation… C'est la paix totale. Quand je suis dans mon atelier, je ne réfléchis pas. J'ouvre les portes de mon âme et je laisse couler. «Cannibales» est un roman violent. Il est écrit sans complaisance. Vous n'avez pas beaucoup de tendresse pour vos personnages. Il y a des personnages auxquels je m'attache, il y a des personnages que j'aime. Quand je décris un personnage, je me mets dans sa peau, et c'est lui qui me dicte la conduite à suivre. Quand j'habite un personnage, je ne veux pas être complaisant, je ne cherche pas à me faire plaisir. Je laisse le personnage me guider là où je veux aller au bout du compte. Je suis littéralement quadrillé par la logique du personnage. Qu'est-ce que vous avez essayé de dire dans «Cannibales» ? J'ai raconté dans «Cannibales» le désespoir d'une génération. Les gens veulent partir. J'ai lu dans un sondage que 75% des jeunes ont envie de se barrer. C'est incroyable ! Ils veulent partir, parce qu'ils ne rêvent plus chez eux. Dans votre dernier roman «Pollens», l'espace que vous avez choisi, c'est Ketama. Oui, cela répond d'ailleurs à mes préoccupations… Je veux raconter ce pays, le raconter sans fard, le raconter avec ses tragédies, ses joies, ses peines… Il est question de l'abus du pouvoir dans «Pollens». Vous ne craignez pas de porter sur ce pays un regard de l'extérieur, puisque vous vivez à Paris ? Il y a un poète espagnol qui dit : «Je suis parti pour mieux rester». Pareil pour moi. Avec mon cinquième roman, je n'arrive toujours pas à écrire sur autre chose que le Maroc. «Ce Maroc qui nous fait mal», comme disait Khaïreddine, je n'arrive pas à m'en détacher. Et puis, j'y ai vécu dans ce Maroc. Je suis né dans une médina. Je reviens souvent au Maroc. Il est vrai que je n'arrive pas à écrire sur autre chose. Quand pensez-vous arriver à vous détacher du Maroc, à parler d'autres lieux dans vos romans ? Je pense que ça finira par arriver. J'ai envie d'être écrivain tout court. Ca fait 20 ans que vis à l'étranger. Et il faut que je raconte ce que je vois autour de moi. Mais il y a tellement de choses qui ne vont pas chez nous… Je me sens dans l'obligation de ne pas m'aveugler sur ces choses-là. J'apporte ma petite pierre. C'est un devoir. Il y a une dimension poétique dans ce que vous écrivez. J'essaie d'enrober les événements les plus terribles de poésie. Cela permet de mieux les faire passer. La même chose m'arrive en peinture. Je peins des masques absolument terribles, mais avec de jolies couleurs. Si on vous demandait de choisir entre la peinture et l'écriture, que feriez-vous ? Je peux facilement cesser d'écrire. Peindre, j'ai ça dans les tripes. Et puis, écrire c'est tellement douloureux que je préfère de loin la paix de la peinture.