Patricia Cissé, Directrice générale d'Africa Investment and Business Advisers (AfIBA), cabinet de conseil en management spécialisé en stratégie, organisation et finance. Les Echos quotidien : Quelles perspectives le forum de Rabat pourrait-il ouvrir dans le cadre de la dynamisation des échanges intra-africains ? Patricia Cissé : Je crois que c'est une initiative qu'il faut saluer parce qu'elle vient d'hommes et de femmes d'affaires du secteur privé, qui sont conscients de la nécessité de l'intégration africaine, essentiellement par le biais des échanges économiques dynamiques. Bien souvent, nous concevons l'intégration africaine et régionale comme relevant du politique mais ce n'est, à mon sens, pas très juste. Je suis de celles qui restent convaincues du fait que ce sont d'abord les opérateurs économiques qui font l'intégration. Bien sûr, il leur faut des cadres appropriés pour ce faire, et en ce sens je crois que le forum de Rabat jouera un rôle important dans l'identification des axes d'amélioration qui permettront un rapprochement entre le Maroc (sachant que le Maroc lui-même est déjà très intégré dans la région MENA) et le reste de l'Afrique subsaharienne. Ce processus permettrait, in fine, d'aboutir à des échanges fructueux qui soient porteurs de développement, porteurs de création, de richesses et de valeur ajoutée. Quelles sont les difficultés que vous constatez quotidiennement, et qui entravent la bonne marche des échanges intra-africains ? Le point de blocage qui revient de façon régulière pour les entreprises africaines, reste l'accès aux financements. Cependant, à mon sens, ceci est certes un problème réel mais il n'est malheureusement pas le seul. Les compétences qui permettent de développer des activités dans un monde qui s'avère de plus en plus concurrentiel, et de produire, tout en faisant émerger des biens et des services compétitifs, reste assez complexe. À cela, nous pouvons ajouter la problématique de la formation, à la fois de la mise à niveau à toute l'échelle de l'entreprise, y compris de ses dirigeants eux mêmes. Il faut leur permettre de s'ouvrir à tout ce qui se passe dans le monde, il faut aussi les faire adhérer aux nouvelles pratiques de gestion qui doivent désormais se faire dans davantage de transparence. Elles doivent également être plus documentées et articulées pour permettre des partenariats solides et un meilleur accès aux informations. Tout ceci est un combat quotidien, et il convient de rester optimiste parce que les choses avancent tout de même. Dans ce sens, le cadre réglementaire y est largement favorable puisqu'il permet de développer des activités économiques dans un environnement assez bon en Afrique subsaharienne, en matière de droit, en matière de lois bancaires etc... Maintenant ce qu'il reste à faire est d'instaurer des partenariats gagnants-gagnants (win win) qui permettent de développer (dans tous les domaines) le savoir-faire africain pour permettre au continent d'émerger enfin. Pensez-vous qu'il y ait un manque de communication entre les pays africains ? Je pense qu'on s'ignore les uns les autres et c'est pour cela qu'une initiative comme celle du forum de Rabat est louable. Il faut apprendre à se connaître, à se parler... il faut apprendre tout simplement à mettre en place des canaux de transmission de l'information qui vont permettre d'être au fait des opportunités. Aujourd'hui, je crois qu'il est beaucoup plus facile pour une entreprise française d'être au fait des projets d'investissements dans les pays africains, que pour une entreprise marocaine, ce qui n'est définitivement pas normal. Quels sont justement les outils que l'Afrique devrait mettre en place pour favoriser la construction de ces canaux de communication ? Je suis de ceux qui pensent très fortement que ce travail doit être initié et mené par les opérateurs économiques. Aussi, les chambres consulaires, le patronat, les associations de sociétés exportatrices, devront travailler ensemble et en synergie pour garantir une meilleure fluidité des informations. D'autant plus que ces acteurs ont tous des homologues dans les différents pays subsahariens, ils gagneraient donc à collaborer étroitement. Cette réflexion nous mène à voir que dans tous ces cadres là, il y a de véritables pistes qui ne sont hélas pas suffisamment exploitées. Qu'est-ce que l'Afrique gagnerait concrètement dans l'émergence d'un système d'échanges bien ficelé ? Notre continent a tout à y gagner. En termes de création de valeurs, celles-ci resteraient de fait sur le continent et n'iraient pas ailleurs, ce qui se traduirait par des emplois pour les enfants du continent. Nous ne sommes tous pas sans savoir que du nord au sud, de l'est à l'ouest, la problématique est la même partout. La jeunesse africaine a besoin de travail, elle a besoin de pouvoir dignement gagner sa vie et se construire. Ces attentes ne peuvent se concrétiser que s'il y a des entreprises qui prospèrent et qui les engagent ou qui leur permettent de développer leurs propres activités tout en faisant l'acquisition de nouveaux marchés. Je pense que nous devons arrêter de raisonner en terme de nation de 20, 30, 100 ou 150 millions d'habitants pour commencer à raisonner en tant que continent d'un milliard d'habitants et notamment en tant que marché d'un milliard d'habitants. C'est ce qui permettra véritablement de créer des entreprises qui jouiront d'un rayonnement international, opérant à partir du continent et exportant dans le monde entier ou encore dans les autres pays africains. Avec toutes ces problématiques soulevées, qu'est- ce que le Maroc, et en l'occurrence ses acteurs économiques, peuvent apporter à la dynamisation et au développement des échanges intra-africains ? Sans aucun doute son savoir-faire dans de nombreux domaines. Je trouve malheureusement qu'il n'y a pas suffisamment d'échanges et j'espère que dans les années à venir nous parviendrons à dynamiser les activités communes. Le secteur financier a déjà commencé. De ce point de vue là de nombreuses banques marocaines sont très présentes sur le continent. Les compagnies d'assurance, dans de nombreux pays d'Afrique, sont souvent marocaines par actionnariat. J'espère que d'autres services suivront cette dynamique déjà amorcée par certains acteurs économiques marocains.