Au delà d'une simple déclaration faite dans le cadre du respect des dispositions constitutionnelles, la présentation, aujourd'hui, de la déclaration de politique générale par le chef de gouvernement s'annonce comme une épreuve de vérité pour Benkirane. Ce rendez-vous qui met face à face la majorité et l'opposition parlementaire et au sortir duquel le nouveau gouvernement sera pleinement investi de ses fonctions, permettra au chef de gouvernement de jauger de la capacité de la coalition gouvernementale à accompagner la mise en œuvre de son programme et celle de l'opposition à apporter sa contribution à la poursuite de la mise en œuvre des dispositions de la Constitution. C'est une étape que le nouveau gouvernement prend à cœur, comme en témoigne sa préparation, qui a débuté bien avant la constitution du gouvernement. L'enjeu principal était de parvenir à un texte qui prendrait en considération les engagements électoraux sur la base desquels le parti de la lampe a su gagner la confiance des électeurs, tout en veillant à faire converger les programmes des trois autres formations composant la majorité. Au final, c'est une feuille de route assez vague comme c'est souvent le cas en pareille circonstance, qui a été adoptée lors du Conseil de gouvernement tenu mardi dernier. Dans le fonds, la DPG version Benkirane s'avère plus réaliste que le programme du Parti qui avait, déjà en son temps, été qualifié «d'irréaliste» par plusieurs observateurs de la scène politique nationale, au vu notamment de la conjoncture actuelle. Si la DPG a retenu les grandes orientations stratégiques annoncées depuis par la direction du PJD, certaines prévisions ont été, réalisme oblige, revues à la baisse ou étalées sur la durée du mandat. C'est le cas du SMIG, que le PJD ambitionne de porter à 3000 DH, à travers un rééchelonnement de son augmentation sur plusieurs années. Même chose pour le taux de croissance, qui a été revu à 5,5% pour la première année du mandat, le temps d'ajuster le tableau de bord de l'économie nationale. Même si ces estimations paraissent surévaluées, au regard des prévisions des experts sur la base de l'état de l'économie mondiale, la feuille de route gouvernementale paraît plus pragmatique que les annonces faites au lendemain des élections du 25 novembre. Cela n'enlève en rien l'empreinte que voudrait apporter la nouvelle coalition à la gestion des affaires de l'Etat. Changement dans la continuité «Le changement doit commencer dès cette année», souligne Lahcen Daoudi, ministre de l'Enseignement supérieur et de la recherche scientifique et membre du bureau politique du PJD. Dans l'ensemble, la DPG a été structurée autour de cinq axes majeurs, selon les explications données par Mohamed Najib Boulif, ministre délégué chargé des Affaires générales et de la gouvernance.Il s'agit d'un projet sociétal qui s'articule autour des aspects liés à l'identité, la culture et la langue, la gouvernance et à la mise en œuvre démocratique dans la nouvelle Constitution notamment le vaste chantier de la régionalisation, la compétitivité de l'économie nationale pour une croissance productive et génératrice de postes d'emploi, la répartition équitable dans le domaine sociale, ainsi que la position du Maroc sur les plans arabe, islamique, africain et international. Un accent particulier sera mis sur la lutte contre la corruption et la réduction des inégalités sociales, notamment sur l'accès aux services sociaux de bases (éducation, santé, et habitat). La touche finale à la mouture du projet de loi a été portée par la commission ministérielle ad' hoc commise à cet effet et composée outre de son président, le ministre d'Etat Moustapha Baha (PJD), des ministres en charge de l'Economie et des finances, Nizar Baraka (Istiqlal), de l'Intérieur, Mohand Laenser (MP), du Tourisme, Lahcen Haddad (MP) , celui de la Culture, Amine Sbihi (PPS), ainsi que les ministre délégués en charge des MRE, Abdelatif Maazouz (Istiqlal), du Budget, Idriss Yazami (PJD), celui de la communication , Moustapha Khalfi (PJD) et de la Formation professionnelle et de l'emploi, Mohamed Souheil (PPS). La DPG n'apporte à vrai dire rien de nouveau par rapport aux défis du Maroc d'aujourd'hui, que tous les acteurs, économiques comme politiques, connaissent parfaitement. C'est sur les mécanismes de leur mise en œuvre et les orientations stratégiques que porteront les discussions au niveau du Parlement. Plus qu'une simple formalité, Benkirane aura en vue de sortir vainqueur de cette épreuve. Il s'agira d'abord de savoir vendre ce nouveau programme de gouvernance, à l'aune duquel la coalition gouvernementale sera évaluée et jugée, à la fin de son exercice. Plus que de simples promesse ou orientations, la DPG se décline, donc, comme un véritable plan d'action, qui sera mis en œuvre par les différents départements ministériels, à travers des stratégies sectorielles, en fonction des enjeux et des défis à relever. Un signal, donc par ailleurs très attendu par les citoyens et les partenaires institutionnels et privés, en attente de visibilité pour les cinq prochaines années. Il y a là de quoi accentuer la pression sur le gouvernement, qui aura fort à faire à une opposition certes dispersée, mais qui ne lésinera sur aucun moyen pour mettre le gouvernement, et partant, la majorité en mauvaise posture. «Nous serons là pour alerter l'opinion publique et les citoyens marocains dès que le gouvernement sera en train de reculer et si la DPG revient sur les engagements électoraux pris par le PJD», annonce déjà Mehdi Bensaid, député du PAM. Le ton est déjà annoncé et le débat sur la DPG, prévu pour la semaine prochaine, s'annonce des plus houleux. Il y a là de quoi s'attendre à un remake de la campagne électorale, sur fonds de calculs politiciens... Frictions au sein de la majorité Si théoriquement, Benkirane peut compter sur la majorité parlementaire pour adopter sa déclaration de politique générale et obtenir l'investiture de son gouvernement par le Parlement, les choses ne s'annoncent pas aussi simples. Certains députés appartenant à des partis de la coalition ont menacé de ne pas suivre le mot d'ordre de leur direction pour voter en faveur du projet. C'est une manière cavalière de peser sur l'échiquier, mais aussi de manifester le mécontentement apparu au niveau de certains états-majors de ces partis au lendemain de la publication de la liste du nouveau gouvernement. À l'allure où vont les choses, il est peu probable que ces mésententes, très vivaces au sein du PPS et de l'Istiqlal, survivent jusqu'au jour J. Cela n'a pas empêché le PJD de prendre ses dispositions. La DPG a, en effet, été ébauchée par une commission au sein de laquelle siégeaient deux représentants par parti politique de la majorité, avant d'être peaufinée par une commission ministérielle présidée par le ministre d'Etat, Mustapha Baha, sur la base des remarques établies par les différents départements ministériels composant le gouvernement. C'est une «démarche participative», qui engage la responsabilité des quatre formations politiques membres de la coalition du gouvernement. Hassan Benaddi, Président du Conseil national du PAM. «Nous n'écartons pas la possibilité que le gouvernement puisse nous étonner» Les Echos quotidien : Quelle sera la position du PAM vis-à vis du programme gouvernemental ? Driss Benaddi : On devra attendre la présentation. Je tiens à préciser que ce n'est pas politiquement correct de trancher sur l'évaluation de ce programme sans avoir pris connaissance de ses orientations, car cela risque de se transformer en un procès d'intention. Certaines formations de l'ex G-8, comme le parti travailliste ont déjà annoncé qu'ils voteront contre le programme. Est-ce que ecette position est partagée par les autres composantes de l'Alliance ? Non. Nous n'écartons pas la possibilité que le gouvernement puisse nous étonner. C'est au cours de la discussion du programme que le débat sérieux sera enclenché, avec les interventions des groupes parlementaires et la réponse du président du gouvernement. La discussion du programme risque-t-elle de durer ? Cela pourrait prendre une petite semaine, avant de passer au vote des députés.