Joachim Lafosse, réalisateur Habitué des festivals, le réalisateur belge Joachim Lafosse qui avait ému avec «L'économie du couple», «À perdre la raison» ou encore «Elève libre», s'attaque à la relation mère-fils dans «Continuer». Une histoire touchante d'une mère, qui pour éloigner son fils de la haine et de la violence, emmène son fils de 16 ans dans une traversée équestre du Kirghizistan. Les Inspirations ECO : Dans «Continuer», vous optez pour l'adaptation littéraire. Etait-ce une volonté depuis longtemps de mettre en image un roman ou c'est la lecture du roman qui l'a imposé ? Joachim Lafosse : Non, c'est vraiment la lecture du roman. Et c'est un moment dans ma vie où je tenais à parler du mystère de la relation mère-fils. Je pense qu'aujourd'hui, que c'est de là que viendra le progrès. Si on veut une vraie vie faite d'altérité, d'une rencontre entre le masculin et le féminin, qui se passe dans le désir, et dans une forme de plaisir, je pense que cela commence par là. Cela commence par la mère et le fils. Evidemment je ne dénigre pas le père mais c'est quand même quelque chose les mères pour leurs fils. Et quand je suis tombé sur le roman, j'étais à une période de ma vie où je réfléchissais à ça et donc j'en ai vu l'opportunité. Laurent Mauvignier a eu cette élégance de me laisser m'emparer du sujet… C'est une histoire que vous auriez pu créer de toutes pièces. Est-ce que c'est un voyage que chaque fils devrait faire avec sa mère ? En lisant le roman, c'est ce que je me suis dis. C'est le voyage que tous les fils devraient faire avec leur mère et je me suis demandé si j'étais capable de faire ce genre de voyage avec ma mère ? Être un homme, c'est à mes yeux, faire ce voyage avec sa mère. On distingue la femme et la mère. Pour les enfants, c'est difficile de relier la mère et la femme. Il y a un mystère qu'on cherche à expliquer par la jalousie avec le père, par le corps mais c'est bien au-delà de ça. Pour un fils, découvrir et accepter qu'une mère est autre chose qu'une mère est fondamentale. Bien des hommes ont des difficultés à l'accepter. Mais est-ce que le fils sort indemne de cette expérience ? C'est la question que le spectateur se pose, à défaut de le faire vivre à ses propres enfants…Je ne sais pas si cette mère devrait dire tout cela à son fils. Je ne suis pas certain qu'elle aurait dû en dire autant. Virginie Efira a été séduite par l'ouvrage aussi et voulait le produire. Comment est-elle devenue la mère ? Ce n'était pas une évidence pour moi au début mais Laurent Mauvignier, l'auteur de l'ouvrage, a su me convaincre. C'est une somme de désirs qui se sont rassemblés pour faire le film. Virginie a réussi le casting, c'était elle la mère… On sent que vous êtes exigeant dans la direction d'acteur. On vous sent spectateur aussi… C'est le premier plaisir du cinéaste, le privilège du cinéaste c'est d'être le spectateur de ses acteurs. C'est un plaisir énorme d'avoir l'autorisation et cette position là. De travailler avec des gens qui se laissent regarder avec toutes les difficultés et les dangers que cela peut représenter. Kacey Mottet-Klein, à seulement 18 ans, est déjà un acteur professionnel. Vous dirigez quatre acteurs dont deux chevaux…Comment avez-vous vécu l'expérience ? C'était quelque chose ! (Rires). Je n'ai jamais fais cela auparavant. J'aimerai remercier Mario Luraschi et Pascal Chino Madura qui étaient responsables des chevaux. On a travaillé avec deux chevaux et leurs doublures et pour moi c'était fascinant. C'est un film qui a été tourné en 31 jours, en hiver où les journées sont courtes. C'était très compliqué. Je n'aime pas tellement en parler, je trouve que les spectateurs devraient ressentir les choses. C'est quelque chose qu'on ne maîtrise pas, comment faire un film avec une nature qu'on ne dirige pas ? Et la nature dans ce film, est un personnage à part entière. Vous habituez à des huit clos, vous proposez un huit clos encore une fois mais en plein air… Le film est aussi un voyage avec le public. Avec mon directeur photographie, c'est la quatrième film que l'on fait ensemble. On a beaucoup travaillé en appartement. Dans Chevaliers blancs, c'était le désert mais cela restait un huit clos. Là, on voulait essayer à chaque fois des paysages différents, se confronter à des plans larges et à des plans serrés. Le roman le permettait… Quelles sont les difficultés auxquelles on fait face quand on adapte une histoire. Est-ce qu'il n'y a pas de limite dans la liberté de créer ? J'ai un peu de mal avec la liberté. Pour moi, le cinéma est l'art de la contrainte. Le roman c'est le contraire, le romancier peut vraiment aller là où il veut. Quand Mauvignier disait qu'il avait écrit cette histoire depuis sa chambre, qu'il n'est jamais allé au Kirghizistan, c'est possible dans le roman. Dans le cinéma, on est confronté au réel et avec ses principes de réalité. Pour un cinéaste, c'est absolument passionnant et j'espère que c'est passionnant pour le public aussi !