À en croire la presse, le projet de loi de Finances pour l'année 2012 sera l'événement fiscal par excellence ! Avec la concrétisation de ce projet, l'ossature fiscale marocaine se trouverait étoffée par l'instauration d'un nouvel impôt portant sur la fortune. En effet, l'opinion publique se passionne depuis quelques temps pour le projet portant cette nouvelle disposition fiscale. L'intitulé même de cet impôt traduit clairement l'esprit de la nouvelle Constitution, considérée sous l'angle de la dynamique de mise à niveau de l'arsenal du droit positif marocain, visant notamment la consécration du principe d'égalité des citoyens devant l'impôt. Or, le constat du débat médiatique au sujet du projet de loi en question aboutit à déplorer que la presse n'ait pas efficacement contribué à éclairer l'opinion publique. En effet, une confusion se répète souvent dans de nombreux articles à travers la presse, qui aboutit à un amalgame entre l'impôt sur la richesse et la notion de signes extérieurs de richesse. En d'autres termes, trop nombreux sont les commentateurs qui confondent l'impôt sur la richesse, qui renvoie à l'assiette de l'impôt et les signes extérieurs de richesse, qui déterminent un procédé de contrôle s'appliquant à l'impôt sur le revenu. Dans cet ordre d'idées, et pour resituer le débat dans son contexte juridico-fiscal, il importe de signaler qu'on confond assez souvent les signes extérieurs de richesse avec l'impôt sur la richesse. Des journalistes vont jusqu'à parler «d'impôt sur les signes extérieurs de richesse». Certes, les deux notions renvoient à des procédés fiscaux. Mais les confondre revient purement et simplement à induire les citoyens en erreur. Imposer la richesse, un vœu pieux ? De toute façon, en l'absence de tout texte officiel, il serait vain de mettre la charrue avant les bœufs, en s'aventurant à analyser cet hypothétique impôt sur la fortune version marocaine. La seule matière disponible étant les échos de presse de ce qui pourrait très bien s'avérer une rumeur en guise de «ballon d'essai»... Toutefois, dans une démarche purement académique, il est pertinent de recourir aux ressources du droit fiscal comparé, en particulier le droit interne français, pour s'inspirer de la façon dont l'impôt sur la fortune a été appliqué dans l'Hexagone. Partant, il sera possible d'établir la ligne de démarcation entre les deux notions qui font actuellement l'objet, semble-t-il, d'une grave confusion. L'éventuel impôt marocain sur la richesse constituerait, en fait, l'équivalant de l'impôt sur la fortune en vigueur en France, où il est entré en application pour la première fois en 1982, sous l'appellation d'Impôt sur les grandes fortunes (IGF). L'IGF a été collecté pendant cinq ans pour être supprimé à compter de 1987. Il a été remis au goût du jour à compter du 1e janvier 1989, sous la dénomination «Impôt de solidarité sur la fortune (ISF)». Il s'agissait d'un impôt frappant le capital. Sont soumis à l'ISF tous les biens immeubles ou meubles, les biens corporels et incorporels dont le contribuable est propriétaire. Il taxe la fortune globale, soit les éléments constitutifs de la richesse et non les signes extérieurs de richesse. L'impôt sur la richesse, de par sa résonance idéologique, est un mode d'appréhension de la matière imposable lié à la détention d'un patrimoine dépassant un certain seuil fixé par le législateur. Etant entendu que la présente contribution ne vise nullement à tracer les grandes lignes d'un éventuel futur impôt sur la richesse, d'autant plus que notre ministre de l'Economie et des finances s'est empressé de démentir l'existence d'un tel projet. Donc, il n'y a qu'à attendre qu'il voie le jour, comme dit notre vieux dicton, et nous le nommerons après. En revanche, pour ce qui est des signes extérieurs de richesse, force est de constater que tout le monde en parle en initié, mais que très peu en connaissent la nature où en ont cerné les contours. Signes de richesse et abus de langage À l'exception de la dimension psycho passionnelle de cette notion, qui se prête à toutes les dramatisations, allant jusqu'à relever de la crainte terrifiée d'afficher des richesses au risque d'en être spolié... Les abus de langage ont hélas tendance à l'emporter sur les notions mères et les sujets les plus médiatisés sont souvent les moins maîtrisés par l'opinion publique. À force de ressasser, on finit logiquement par prendre des chimères pour argent comptant. Comble du paradoxe, aucun texte légal, aucune disposition du Code général des impôts ne parle de signes extérieurs de richesse. D'où provient-elle donc, cette notion tant galvaudée? Quel est son vrai visage, et quel rôle joue-t-elle dans la construction fiscale marocaine? De prime abord, il importe de signaler que la notion de signes extérieurs de richesse n'est que la dérive linguistique de la notion-mère «les signes extérieurs de revenus». Cette dérive trouve son origine dans le droit fiscal français, plus précisément dans le Code général des impôts (article 168), qui parle de la disproportion marquée entre le train de vie d'un contribuable et ses revenus. C'est à la lecture de ces éléments de train de vie énumérés par l'article ci- dessus qu'il s'avère que leur manifestation ne peut être que le fait de personnes fortunées, tels celles qui possèdent des yachts, des avions de tourisme et des chevaux de course... Il s'agit là bien évidement de signes extérieurs de richesse, nul ne pouvant prétendre le contraire. En revanche dans le droit fiscal marocain, aucune disposition du Code général des impôts ne parle expressément des signes extérieurs de richesse. Mais une lecture, en filigrane, permet de conclure que le législateur marocain a emboîté intelligemment le pas à son homologue français. Il s'en est inspiré, sans évoquer ni les éléments du train de vie ni les signes extérieurs de richesse, pour ne pas bousculer la ruche en s'attirant les foudres des détracteurs. Qu'on le veuille ou non, la présente disposition revêt une connotation idéologique. En des termes clairs, quelques fortunés jusque-là épargnés, pourront croire que dorénavant ils devront «passer à la caisse». Certes, l'esprit des dispositions des articles 29 du CGI marocain est le même que celui de l'article 168 du CGI français. La différence est que le nôtre a été institué par la démarche d'un remodelage typiquement local, d'une subtilité toute fiscale : la plus exacte évaluation de dépenses des contribuables lors de l'examen de l'ensemble de la situation fiscale. Un peu d'histoire Comme exposé, le législateur marocain a emprunté la démarche fiscale française avec une subtilité suffisante, parce qu'en fait, cette inspiration de date pas d'hier. Il faut remonter à la loi de Finances de référence, celle de 1993. Ces pseudo- signes extérieurs de richesse ont donc dix huit ans d'ancienneté, ce qui n'empêche pas certains organes de presse de parler de «nouvelles dispositions». Cette survivance à trouvé son salut, contre vents et marrées, justement grâce à ce remodelage purement marocain. Sinon, cette disposition aurait connu le sort de la déclaration de patrimoine, sa sœur jumelle, les deux dispositions ayant été prévues dans la loi de Finances 1993. En rappelant que cette dernière a été abrogée une année plus tard. À cette époque, les considérations politiciennes l'emportaient de la façon la plus fâcheuse sur les principes de justice fiscale. Signes extérieurs de richesse et cadre juridique Chaque fois que sont évoqués les signes extérieurs de richesse, c'est avec la fâcheuse tendance de négliger un élément déterminant dans la démarche, à savoir que la fiscalité est une branche du droit positif qui est régie par des textes de loi. Par ricochet, sa terminologie a une connotation foncièrement juridique, ce qui bannit tout discours de l'ordre de la spéculation. Dans le cas d'espèce, le seul et unique guide de bord par excellence et sans conteste, c'est le Code général des impôts. Plus précisément, chaque fois que la notion de signes extérieurs de richesse est évoquée, toute la lumière devrait être automatiquement focalisée sur l'article 29, sous la dénomination autorisée de : «évaluation des dépenses des contribuables lors de l'examen de l'ensemble de la situation fiscale». En résumé, en France, on désigne la notion des signes extérieurs de richesse par les éléments de train de vie du contribuable. Alors qu'au Maroc, on les désigne par les dépenses des contribuables. À première lecture de l'article 29 précité, on pourrait croire que le droit fiscal traque les dépenses effectuées par les contribuables pour les taxer ensuite. Serait–il répréhensible de dépenser son argent? Evidemment non, chacun étant libre de gérer ses ressources comme bon lui semble. Il demeure que fiscalement parlant, toute dépense présume l'existence d'un revenu. Dépenser un revenu est une chose et ne pas le déclarer en est une autre. En d'autres termes, et pour paraphraser le jargon journalistique, le fisc traque les revenus taxables et non les dépenses (les signes extérieurs de richesse). Il n'a jamais été dit nulle part qu'il faut s'abstenir de dépenser sa fortune pour ne pas être pris dans les mailles de l'administration fiscale. Autrement dit et de la façon la plus simple : au Maroc, dans l'état actuel des choses, il n'y a pas un impôt sur les fortunes, ni un impôt sur les dépenses concernant les personnes physiques. Le seul impôt existant qui frappe cette catégorie de contribuables, c'est l'impôt sur le revenu. Quel est le rôle de ces dépenses énumérées dans l'article 29 du CGI, puisque le seul impôt en lice est l'IR ? Système déclaratif et indicateurs de dépense : antinomie ou complémentarité ? Deux méthodes d'évaluation coexistent dans le droit fiscal interne. Rappelons la différence fondamentale entre ces deux procédés d'assiette. L'impôt sur le revenu (IR) est assis tout d'abord sur la constatation directe et exclusive du revenu et permet par conséquent à l'administration fiscale de calculer la base d'imposition d'un contribuable sur la somme des revenus réellement perçus par celui-ci. Tandis que la méthode des signes extérieurs est un outil d'évaluation de revenu dont les indicateurs de dépense sont la manifestation. Deux méthodes et deux procédés, à quoi cela rime-t-il ? Notre législation fiscale a opté depuis très longtemps pour le système déclaratif comme étant le seul et unique procédé capable de drainer la matière imposable au moulin du fisc. Mais le seul procédé qu'on ait inventé jusqu'ici pour parvenir à cette fin est la déclaration du contribuable lui-même, ce qui soulève plus d'une difficulté. Un système fondé sur l'obligation faite au contribuable de souscrire sa déclaration, pour produire tous ses effets, doit permettre une appréhension optimale du revenu. Sinon, ce procédé ne constituerait qu'une coquille vide, une vaine fiche de renseignements. Pourtant, cette obligation a été instituée comme la méthode idéale pour évaluer la matière imposable, à condition qu'elle reflète la réalité fiscale de chaque contribuable. Ce dernier doit participer en son âme et conscience à la détermination de sa capacité contributive. Par ailleurs, l'angélisme fiscal n'étant pas au nombre des vertus cardinales et quand bien même le serait il, le contribuable peut toujours se tromper... En raison de la liberté totale accordée à l'auteur de la déclaration, ce système laisse la porte ouverte aux omissions, aux irrégularités et à la fraude. Pour pallier cette carence, l'administration fiscale s'est dotée d'un dispositif de contrôle capable d'intervenir là ou les confessions consignées dans les déclarations ne sont pas toutes à prendre pour argent comptant. Chaque fois qu'on évoque la déclaration, on sous-entend qu'elle est établie sous réserve du contrôle de l'administration. La réussite du système déclaratif est donc tributaire de l'efficacité de son contrôle. Signes extérieurs de revenu, mode d'emploi Mais pourquoi recourir aux signes extérieurs de revenu (les indicateurs de dépenses) ? Il s'agit en effet, de deux procédés de recouvrement de l'impôt, et logiquement, choisir une méthode revient à écarter l'autre. À quoi rime cette institution hybride, tenant à la fois de deux méthodes d'assiette contradictoires? Le recours aux indicateurs de dépense conserve une place modeste dans l'édifice fiscal que le législateur a institué afin de parachever le système fiscal mis en place, pas comme une méthode d'évaluation d'assiette, mais en tant que procédé de contrôle de la déclaration au titre de l'impôt sur le revenu des personnes physiques. Toutefois, est-il exact qu'il soit nécessaire de recourir aux signes extérieurs pour remédier aux défauts de notre système fiscal ? La solution du problème réside-t-elle dans une approche fondée sur la dépense? La législation marocaine, dans son œuvre de réforme, a énoncé le principe fondamental de la déclaration avec une implication directe du contribuable. À ce titre, aucune rectification de ladite déclaration ne peut être faite d'une manière unilatérale par l'administration, bien qu'elle dispose des preuves tangibles susceptibles de mettre en cause la sincérité que l'on attache à la déclaration. Pour ce faire, l'inspecteur est tenu d'engager une procédure contradictoire clairement établie par la loi. Par ailleurs, tout acte administratif imposant la rectification des bases déclarées sans le recours à la mesure procédurale prévue par le CGI est considéré nul et non avenu. Et tout contribuable ne peut être recherché en paiement de rappel d'impôt tant qu'il n'a pas épuisé tous les moyens de recours garantis par les lois en vigueur. Toutefois, la présomption de sincérité attachée à la déclaration a besoin d'être couplée à un mécanisme de vérification. À cette fin, l'administration dispose d'un certain nombre de moyens d'appréciation selon la nature du revenu déclaré. En passant en revue ces différents modes d'appréciation, on peut s'apercevoir que le dispositif mis en place prévoit des mesures propres à chaque revenu catégoriel. Ainsi et afin de doter l'administration fiscale d'un outil d'appréciation susceptible de permettre à l'inspecteur de s'assurer de la sincérité de la déclaration dans sa globalité, il a été décide de compléter ce dispositif dans le cadre de la loi de Finances 1993, trois années après l'avènement de l'IR, par l'adoption de la méthode indiciaire. Celle-ci permet d'établir une corrélation entre les revenus déclarés ou considérés comme tels, avec le montant apparent des dépenses autres que professionnelles déterminées d'après des indicateurs énumérés et définis limitativement par la loi. L'application de la méthode indiciaire comme moyen de contrôle de la déclaration dans le droit fiscal marocain est régie par deux articles, en l'occurrence, l'article 29 dans le livre premier du CGI relatif aux règles d'assiette et de recouvrement sous le titre «évaluation des dépenses des contribuables lors de l'examen de l'ensemble de la situation fiscale» et l'article 216 du livre II du CGI, relatif aux procédures fiscales, sous le titre «L'examen de l'ensemble de la situation fiscale des contribuables».